« Jouer avec le feu », c'est ainsi que Daniel Cohn-Bendit qualifie l'alliance, surprenante il est vrai, de Syriza et des Grecs indépendants, parti souverainiste plutôt conservateur, pour gouverner la Grèce. Il n'a pas tort, mais... Mais si les nouveaux dirigeants d'Athènes jouent avec le feu, c'est bien parce que, justement, il y a le feu, non ? Et depuis un moment. Et je me demande si ce n' est pas d'abord Bruxelles, masque commode de Berlin et Paris pour le coup, qui l'a allumé, ce feu, en laissant la Grèce s'enfoncer. Le problème de l'Europe (masque commode, etc...), c'est qu'elle est libérale, or, ce dont la Grèce a besoin, de de reconstruire son Etat, avec les moyens réels de, par exemple, prélever l'impôt (un impôt juste, de préférence), de mettre en place des contrôles pour que les capitaux des Grecs les plus riches ne partent pas vers des banques même pas off shore, puisqu'il s'agit des banques françaises et allemandes, bref un Etat à même de re-faire fonctionner à peu près normalement le pays. Rien de tout ça n'a été entrepris depuis 2008. Mais qu'est-ce qu'ils ont fichu, les prédécesseurs de Tsipras ? Ils ont accepté que l'on diminue drastiquement les revenus, les retraites, que l'on fasse des coupes claires dans tous les budgets, que l'on privatise à mort tout ce qui pouvait l'être, etc. En dehors de ça, rien. Si un bilan désastreux : système éducatif ruiné, mortalité infantile en hausse, paupérisation accélérée, etc.
Mais, imprégnés de libéralisme, les dirigeants fran.., euh, allem..., euh, non, européens, même s'ils se disent de gauche, semblent idéologiquement incapables ne serait-ce que d'entendre parler de restaurer un Etat un tant soit peu fort en Grèce.
L'auteur de ces lignes avait déjà écrit quelque chose du genre le 19 septembre 2011, alors que le message de la Grèce était déjà le même : « voyez donc ce qui se passe quand l'Etat n'est pas assez costaud, quand il n'y a pas assez d'Etat, nous nous retrouvons dans la m... ».
Hélas, de notre côté des médias, il n'y a toujours pas grand monde pour entendre ça. Pourtant, une fois de plus ce qui se passe en Grèce met à bas le fondement de la théorie de nos inconditionnels de l'ultralibéralisme qui énonce, grosso-modo, que trop d'Etat, ça entrave le développement économique, que l'Etat doit arrêter de chipoter avec ses taxes en tout genre, et que les entreprises et les particuliers se porteraient bien mieux sans impôts.
Pourtant, un pays comme l'Allemagne a fait, dans les années qui ont suivi le Deuxième guerre mondiale, l'expérience de ne plus avoir d'Etat. Et heureusement d'ailleurs, que les autres pays ont accepté d'effacer purement et simplement sa dette.... kolossale (en fait, elle avait été reportée à... après la réunification, c'est-à-dire, à l'époque, aux calendes... grecques ! Et jamais remboursée depuis, d'ailleurs).
La France aussi en a fait l'expérience : "Rien n'y manque, excepté l'Etat, il m'appartient de l'y remettre", avait noté Charles de Gaulle en arrivant dans ses anciens bureaux de la Défense, à l'hôtel de Brienne, à Paris en août 1944. Apparemment, les dirigeants français ont oublié ça aussi.
Espérons que Tsipras, lui, y pense ardemment, puisqu'aujourd'hui, c'est précisément son job.