Quelle humanité avons-nous construit où il est impossible de communiquer , d'agir , de s'informer , de se divertir sans passer par un logiciel quel qu'il soit ?
Il nous reste les concerts acoustiques de musique , les discours improvisés à capella , les dessins griffonnés , les toiles et les peintures ...
Se souvenir que tout ce qui passe par cette toile qui nous tient prisonnier , ce web que nous avons inventé , laisse une trace quelque part comme un trait sur le mur d'une prison . Le trait d'un prisonnier qui attend la sortie . Nous avons nous-mêmes construit cette prison , notre prison . Ce texte sera sans doute , grâce à tous les logiciels que nous avons inventé , le ciment qui permettra l'assemblage d'un autre parpaing , et l'élévation de ce mur qui nous retient prisonnier paraît sans fin .
J'imagine de téléphoner à quelqu'un avec un vieux téléphone filaire , pour un échange d'oú déjà l'humanité avait la distance d'un combiné plastique et la chaleur vibratoire d'une membrane soumise à un courant électrique .
J'imagine écrire à quelqu'un une lettre griffonnée sur un papier , avec l'imperfection de mon écriture , la senteur de l'encre , la trace de mon odeur et de mon parfum .
J'imagine l'attente , cet espace de temps à remplir , cet espace de temps qui se remplit de lui-même , cet espace de temps qui déboucherait peut-être sur une rencontre ...
Je rêve de cette rencontre , loin des connexions aléatoires , de ces vibrations parasites de ces matières qui nous séparent de nos champs magnétiques propres ( nous sommes tous émetteurs de champ magnétique en tant qu'être vivant qui nous sont propres et qui sont uniques ) .
Je rêve de la vibration d'une voix dans un corps qui serait proche et qui résonnerait en moi , dans mon oreille et dans mon corps . Je rêve de décripter les émotions qui l'accompagnerait ou qui la précéderait ...
Je rêve , je fume ma cigarette , je bois mon thé , je regarde mon stylo s'agiter sur mon bloc de papier .
Je rêve , un rêve qui s'efface ...
Cette rencontre que je sollicite , que j'ai sollicité dans de multiples courriers , ne se produira pas . Je n'envoie plus de lettres . Les précédentes n'ont pas eu de succès .
Le silence m'envahit , il me reste le piano .
Seul dans la nuit , sans public , sans partage de la mélodie improvisée qui va naître sous mes mains , et qui m'emportera , me reconnectera , me détendra . Avec ce sentiment de la jouissance solitaire , de l'apaisement profond que m'offrira cette parenthèse. Sans culpabilité et sans regrets . Avec le rêve de la perspective de pouvoir la partager ...
Je rêve , il fait nuit , demain le soleil résonnera comme un clairon et me chantera la chanson d'une attente interminable où je mènerai ce drôle de combat pour échanger corps à corps , cœur à cœur , avec l'un , l'une , de mes congénères sapiens sapiens .