Chez les directeurs de la communication territoriaux, les élections départementales ont fait des dégâts. Le “mercato” de l’année dernière n’était même pas terminé que s’ouvrait déjà celui de 2015. Depuis le mois d’avril, dans les collectivités, on se bouscule dans les placards en attendant la sortie.
« Le placard, c’est l’illustration du couple incestueux que forment politiques et fonctionnaires. » Christophe Degruelle est l’un des rares politiques qui accepte de s’exprimer sans détour sur ce sujet tabou. Président d’Agglopolys, la communauté d’agglomération de Blois (48 communes, 107 000 hab.), l’ancien chef de cabinet de Jack Lang au ministère de l’Éducation nationale est un fervent défenseur du statut : « Dans la fonction publique territoriale, on peut à la fois protéger le fonctionnaire et organiser sa mobilité. Ce qui me met mal à l’aise, c’est le statut de contractuel. Pour les postes d’encadrement très liés aux politiques, les emplois de cabinet organisés par le décret de 1987 sont plus conformes à la réalité. Il ne faut pas se mentir, sur ces postes-là, le “spoil system” à l’américaine est une solution honnête ». Et la cédéisation des contractuels n’a fait finalement qu’accroître le nombre des placardisés…
Se soumettre ou pas ?
Seules deux solutions s’offrent au placardisé, avec des nuances selon qu’il sera titulaire ou contractuel, à durée déterminée ou indéterminée. En poste dans une station de montagne huppée, un directeur de la communication s’est vu proposer, à six mois de la fin de son contrat, le poste de “responsable de la programmation culturelle”. Plutôt que d’aller au conflit, il a accepté le placard, espérant sauver le renouvellement de son contrat. Peine perdue car, quelques semaines après sa “promotion”, il recevait une lettre recommandée qui lui ouvrait toutes grandes les portes, cette fois-ci, de Pôle Emploi. À l’inverse, il y a quelques années, un de ses collègues, qui venait d’obtenir sa réintégration après un licenciement abusif, a fait constater par voie d’huissier qu’il avait été remplacé entretemps au poste qu’il devait réintégrer. Un référé administratif a contraint la collectivité à lui proposer une transaction contre l’abandon de sa procédure.
Quelle stratégie adopter ?
Ancien président du Tribunal administratif de Strasbourg, aujourd’hui rapporteur au tribunal administratif de Lyon, Francis Mallol (*) a jugé plusieurs affaires de placardisation, dont certaines ont été très difficiles à vivre pour les agents qui avaient eu le courage d’engager une procédure : « Même en cas de victoire devant la juridiction administrative, la mise au placard est vécue comme une violence. Psychologiquement, les agents en sortent rarement indemnes ». C’est bien pour cette raison que Francis Mallol privilégie la négociation à l’option contentieuse, même si, dans la fonction publique, les transactions restent très encadrées : « Si l’option contentieuse est nécessaire, il faut savoir que les juges sont très attentifs à toute forme de harcèlement, comme la mise au placard ». Il faut tout d’abord recueillir des preuves, constituer pour les magistrats un faisceau d’indices. Mais il faut aussi beaucoup de courage, car dénoncer ces violences est le plus souvent dangereux. Et ça l’est d’autant plus que les témoignages seront difficiles à obtenir, surtout, bien sûr, au sein même de la collectivité. Le plus souvent, le placardisé se retrouvera seul face à l’exécutif et sa hiérarchie. Il n’aura d’autre solution que s’engager dans un contentieux administratif. En définitive, la cédéisation aura été une protection toute relative, sauf à s’aménager un placard douillet en attendant les prochaines élections…
(*) Francis Mallol est notamment l’auteur de « La gestion des ressources humaines en 10 questions » publié aux Éditions Sorman.