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Billet de blog 22 mars 2025

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Les banlieues érogènes - Les yeux overseas (16)

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ils étaient là, dans le restaurant de l’hôtel. Elle était cachée derrière son assiette, le visage masqué par la perruque ébouriffée d’une énorme « Caesar Salad », le truc standard – laitue, poivrons, blue cheese (une sorte de Roquefort pas mauvais mais un peu mou), poulet, et d’autres machins… Il y en avait au moins pour quatre européens. Il s’escrimait sur l’épaisseur sanglante d’un « New Yorker Sirloin Steak », l’entrecôte du Nouveau Monde. Fallait goûter. C’était obligatoire. Se disait-il. En réalité il aurait préféré un steak ordinaire, mais bon, c’était ainsi que fonctionnait la discipline de la découverte. Devant lui, la pinte de « Coors » dormait à demi-éventée. Ils étaient là dans ce resto, fatigués d’avoir tant marché, d’avoir tant de cris dans la tête. Les jambes étendues sous la table, chaussures abandonnées ils cherchaient chacun les orteils de l’autre entre les chaussettes. Mais elle, elle n’avait pas de chaussettes, et c’était sa peau qui caressait le coton de ses chevilles, à lui. Alors, il eut envie d’un toucher plus précis. Parce que sa peau à elle était douce. Alors, il eut envie d’elle. C’était si sensuel. Alors, ils montèrent dans la chambre, quittant le restaurant sans mot dire, glissant dans le couloir vers l’amour au plein milieu de Manhattan. Ils s’étaient rechaussés en sortant du restaurant. C’était dommage.

6h30 – réveil en fanfare. Avec cette horreur de réveil marron. Mais s’où sortait-il au fait ce réveil si laid ? Ah, oui, il s’en souvenait. Il l’avait pris un jour sur la table de nuit de ses parents, dans la chambre silencieuse et ancienne. Un jour où les persiennes laissaient filtrer l’odeur sans odeur de l’après-midi d’un dimanche. Quelle horreur ce réveil. Mais en fait, il sonnait bien. Et que demande-t-on avant tout à un réveil ? De sonner en fanfare à 6h30 – Debout les damnés de la Terre, debout les forçats de la faim ! Pour vaincre la misère et l’ombre, Debout ! Debout ! (Debout !). Elle l’écoutait chanter, elle encore dans le lit, et le voyait s’agiter à travers la surface dépolie du verre de la douche, par la porte entrouverte. C’était un spectacle étonnant, il se frottait avec une énergie étrange, une fascination de savon – le dos, la tête (dégarnie) – et le petit bidon ruisselant de flotte New Yorkaise. Il devait être plein de bulles et de mousse qui sent bon du sol au plafond. Elle remonta la couverture jusqu’au bout de son nez. L’idée de devoir passer à la douche, dans ce box sans rémission à un instant si matinal, la rebutait. Elle était si bien dans la tiédeur des draps, la tiédeur et la chaleur plus grande à certains endroits. Comme cette place, là, où il avait posé la tête la nuit dernière, à demi sur l’oreiller, à demi sur son sein, au septième ciel après l’amour. Cela avait si bon, si long, si tendre, et tant et tant aimant. Elle se disait qu’ils auraient pu passer toute la journée au lit, pour comprendre encore les choses de l’autre, le battement d’un cil, le détail d’un début de ride, ou le grain de la peau. Mais non… Il ressortait tout lustré de la douche en déclamant – Aujourd’hui grande journée ! Greenwich Village, Empire State Building et toute la clique ! Voilé dans la toge de sa serviette de bain – Ben… Ben, t’es pas encore levée ? Elle eut envie de lui jeter au visage son tee-shirt, son blue-jean et ses godasses – Ben… t’es pas encore levée ? Il l’énervait avec les règles de son univers, quoi merde. Elle, le sien – d’univers – n’était pas comme ça. Mais… Mais comment résister à cet empereur romain vêtu de tissu éponge qui sortait tout glorieux de la salle de bains ? Alors elle se coula hors du lit douillet, tandis qu’il allumait la télé. Il y avait les pubs à la télé.

Walk – don’t walk. Cela commençait à faire partie des habitudes, ces invectives pour piétons. Ici, il ne fallait pas flâner au beau milieu des avenues, il fallait traverser vite fait, en évaluant le tsunami potentiel des voitures. Ils avançaient dans le matin éclairé d’un soleil blanc, sous la brume. Comme la veille au soir, ils passaient à nouveau les croisements tentaculaires de Times Square. Elle foulait le macadam, les pieds dans de petits souliers plats. Il y avait l’appareil photo dans le sac en osier qui battait en bandoulière, au rythme de ses hanches serrées dans le blue-jean frangé. Elle avait enfilé un blue-jean frangé. Ils tournaient au coin de la 6ème avenue et de Broadway. Lui, quand il était môme, Broadway et Hollywood se mélangeaient les pinceaux. C’étaient Broadwood et Hollyway, la Voie Sacrée, les chewing-gums et Fred Astaire qui chantait sous la pluie new yorkaise, dans des studios pleins de palmiers. Il lui glissa ce souvenir à l’oreille, mais elle n’entendit pas, il y avait trop de sirènes, trop de tintamarre qui montait du trottoir au ciel. Il fallait crier, elle faisait des signes, secouait la tête, et disait – Quoi ? – l’air étonné. Elle répondait des mots qui se noyaient dans le vacarme – J’entends pas – il répétait, elle s’agitait – Mais j’entends pas ! Elle tendait l’oreille, elle fléchissait la tête, mais ça ne marchait pas. Lui, se disait que Broadwood ou Hollyway c’était mieux au temps du cinéma muet.

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