C'est en lisant ce billet:
http://blogs.mediapart.fr/blog/jamesinparis/290413/appel-laide
que cette lecture m'est revenue à l'esprit.
"Patas arriba" est une expression castillane pour imager la maison à la renverse, meubles ou contenu des placards "sens dessus dessous". C'est d'ailleurs le titre donné en français à cette publication: "Sens dessus dessous, l'école du monde à l'envers".
Eduardo Galeano publie en 1998 "Patas Arriba, la escuela del mundo al revés"
C'est à peu près à cette époque que je le lus pour la première fois. Je l'ai fait depuis à chaque fois que la révolte me monte trop, trop au nez (elle me monte souvent, mais ce n'est pas pareil à quand elle me monte trop, trop...).
De sentir que je ne suis pas seule et que d'autres avec bien plus de talent, de logique, de maitrise de la pensée et des mots pour le dire sont capables d'assumer notre irrationnel inconscient collectif et de l'exprimer avec tant de sagesse, de causticité positive*, de sens du partage dans les responsabilités sans recherche uniquement du classique bouc émissaire, tout cela m'aide à tenir, à remettre à l'endroit ou à accepter le genre humain tel qu'il est, tel que nous sommes faits. Accepter n'est pas s'y soumettre.
Pour toi JAMESINPARIS cette première citation du livre, qui apparait en position liminaire. Citation qui devrait te faire sourire philosophiquement:
"Les gens ne respectent rien de nos jours. Avant, nous mettions la vertu, l'honneur, la vérité et la loi sur un piédestal .... La corruption règne dans la vie américaine aujourd'hui. C'est la loi là où aucune autre loi est respectée. Elle mine le pays. Vertu, honneur, vérité et loi ont tous disparu de notre vie. "
Déclaration d'Al Capone au journaliste Cornelius Varderbilt Jr. le 17 octobre 1931 – Revue Liberty -
Eduardo Galeano, pour moi probablement cousin lointain d'un certain Jésus de Galilée ou d'autres Jésus d'ailleurs, ou encore plus proche de nous et pour faire chauvin, d'une certaine Ségolène, surnommée "la madone" ou "la dinde" du Poitou (c'est selon que le ricaneur s'identifie dévot ou laïc, pour paraphraser, dans un autre contexte, notre co-abonné ici et journaliste politique à France Culture, Hubert Huertas ).
Galeano, donc, fait partie de ces individus humains qui, comme ces cousins et cousines éloigné(e)s auxquels je fais référence sans pouvoir tous les nommer, ont le don à un moment de leur vie de pointer et de mettre en lumière les errances factuelles des congénères, errances qui font tort au bien vivre ensemble, de le dire ou d'agir en cohérence avec leurs convictions avec courage et simplicité. Tout comme Jamesinparis a eu le cran de faire et de risquer de se retrouver ainsi "patas arriba".
Chacun, chacune selon des moyens d'action divers ou possibles, ponctuellement ou maintenant le rythme à longue distance, modifiant ou faisant bouger ainsi des lignes, frappant les dissonances. Ouvrant les chemins de la pensée et les possibilités de l'action citoyenne et politique à d'autres. Sans pour autant prétendre à béatification aucune, tel comme pas mal de leurs détracteurs semblent exiger de ces personnalités qui s'avancent un moment, sortent des sentier battus et prennent de risques tout en se sachant, restant et tenant à le rester, des humains, donc imparfaits.
Pourtant Eduardo, pour revenir à lui, n'a pas été ni brûlé/grillé, ni sacrifié à l'autel de la bien-pensance ou du politiquement correct, pas encore, malgré son engagement et parti pris ou positionnement sans ambages contre les abus de tout pouvoir.
Engagement et parti pris exprimés dans ses chroniques et romans polémiques qui décrivent la réalité de l'Amérique Latine sans concessions, par exemple "Dias y noches de amor y de guerre" ouvre romanesque qui parle des dictatures en Argentine et Uruguay, dont en position liminaire du livre une note dit:
"Todo lo que aquí se cuenta, ocurrió. El autor lo escribe tal como lo guardó en su memoria."
"Tout ce qui est ici raconté, est arrivé. L'auteur l'écrit tel qu'il le garda en mémoire..."
Pas brûlé ni sacrifié, donc. Exilé souvent.
A cette école d'un monde à l'envers que Galeano décrit, le cours de "coupe et couture" pour produire des ennemis sur-mesure commence ainsi:
"Beaucoup de grandes entreprises promeuvent le crime et du crime vivent. Il n'y a jamais eut autant de concentration des ressources économiques et connaissances scientifiques et technologiques pour la production de la mort. Les pays que plus armes vendent au monde ce sont les mêmes pays qui ont en charge la paix mondiale. Heureusement pour eux la menace de la paix se fragilise, les noirs nuages s'éloignent tandis que le marché de la guerre offre d'heureuses perspectives de charniers rentables. Les usines d'armes travaillent autant comme les fabriques qui produisent ennemis sur-mesure.(...)
De chaque dix dollars que le monde dépense en armement, quatre dollars et demi reviennent aux Etats Unis. Selon l'Institut International d'Etudes Stratégiques les principaux pays exportateurs d'armes sont les Etats Unis, le Royaume Uni, la France et la Russie. La Chine figure aussi en bonne place. Et ce sont, comme par hasard, les cinq pays disposant du droit de veto au Conseil de Sécurité des Nations Unies.
Personne ne devrait être surpris par le déséquilibre mondial entre la guerre et la paix. Pour chaque dollar dépensé par les Nations Unies pour le maintien de la paix, le monde investit deux mille dollars en dépenses de guerre, destinés à sacrifices humains ou le chasseur et le prise sont de la même espèce et où la majeur réussite revienne à celui qui en tue le plus.
(...)
Au cours des dernières années, par exemple, les Etats Unis ont bombardé librement le quartier le plus pauvre dans la ville de Panama, puis aplati l'Irak. La Russie punit les cris de la Tchétchénie... La France a violé le Pacifique Sud avec ses essais nucléaires. Et chaque année la Chine exécute légalement dix fois plus de personnes par un peloton d'exécution que des morts eut sur la place Tienanmen. Comme dans la guerre des Malouines de la décennie précédente, l'invasion du Panama a donné l'occasion de tester de nouveaux jouets, et la télévision tourné l'invasion de l'Irak en une vitrine mondiale pour les armes les plus récentes sur le marché: Venez voir les nouveaux bibelots de meurtre à la grande foire de Bagdad"
Tous les "cours" de cet école d'un monde à l'envers sont édifiants. Malheureusement, mon bouquin est publié en espagnol. Mais je traduirai encore quelques "cours" qui me touchent tout particulièrement. L'extrait de celui-ci c'était en honneur de jamesinparis et je compte sur sa compréhension, s'il me lit, sur le style et la synthase.
* Causticité positive: Patas arriba peut indiquer aussi la préparation à un grand nettoyage et remise en état propre d'un espace déterminé.