FAUT-IL SAUVER LA FRANCE D'ELLE-MÊME ?
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C’est depuis la Guadeloupe que j’écris ce texte. La Guadeloupe avec la Guyane, la Martinique, et la Réunion dans l’océan indien, forme un quatuor d’anciennes colonies à esclaves, départementalisées depuis 1946 par l’État français et constituant aujourd’hui les derniers reliquats de ce qui fut l’un des plus grands empires coloniaux.
Depuis ces territoires, chapelet d’îles à 7000 kilomètres de l’hexagonale ‘‘métropole’’, me parviennent les échos télévisuels dissonants du combat que se livrent Emmanuel Macron et Marine Le Pen, les deux derniers candidats à l’élection présidentielle française. A l’ère de la réalité augmentée et des réseaux sociaux, ce combat semble se dérouler sous les fenêtres de nos maisons créoles. Car voici la Guadeloupe, noyée par un flot d’appels ‘‘patriotiques’’ à voter pour l’un ou l’autre candidat. Et l’on rappelle aux citoyens des ‘‘Outre-mer’’ que par leurs votes, ils font vivre la ‘‘démocratie’’. Eux qui vivent dans une démocratie aux tristes accents, où tout a été mis en place pour contrarier l’accès à la souveraineté de leurs territoires sous séquestre.
Quel paradoxe de demander à ces territoires-là de venir supporter comme au match de foot, la puissance qui les domine (depuis 1635 pour la Guadeloupe) ! Selon les observateurs, les ‘‘Outre-mer’’ ne pèsent pas assez pour faire basculer l’élection française. Quoi qu’il en soit, doivent-ils jouer les arbitres-assistants dans le sauvetage d’une France qui se demande depuis des années si elle doit mettre à sa tête un Président d’extrême droite, flirtant ainsi, dangereusement avec les vieux démons de l’Europe des chemises brunes et des croix gammées ?
Les ‘‘Outre-mer’’ qui sont le costume de soirée de la France. Retirez-lui les îles de la Caraïbe et la Guyane, ôtez-lui La Réunion et Mayotte et puis arrachez lui la Kanaky-Nouvelle Calédonie et la Polynésie, vous aurez un pays nu. Un pauvre pays rabougri à sa plus simple géométrie hexagonale. Difficile de masquer plus longtemps cette réalité-là : que les ‘‘Outre-mer’’ se retirent et la France ne sera plus qu’un pays appauvri qui tombera de son piédestal. Un pays européen qui n’aurait plus la puissance que lui donne sa présence stratégique dans toutes les mers du monde. Adieu les territoires lointains et leur flamboyante mosaïque humaine, les réserves en termes de ressources naturelles, de biodiversité animale et végétale, les pharmacopées traditionnelles encore inexploitées, leur potentiel énorme pour la recherche scientifique, l’accès à l’espace via la porte étoilée de Kourou en Guyane, sa forêt, son or et son pétrole, le nickel de Kanaky-Nouvelle Calédonie…
Pendant des décennies, un discours propagandiste arrogant a martelé sans relâche que ces ‘‘Outre-mer’’ mourraient de faim sans la France, affirmant que la ‘‘présence’’ française avec tous ses travers étaient une ‘‘chance’’.
Pour autant, les peuples de ces pays qui lui confèrent son rang parmi les ‘‘grandes nations’’, ne sont pas traités avec le respect qui leur est dû. L’État français exerce sur eux une emprise colonialiste qui ne dit plus son nom, prolongeant des siècles de domination raciste. Cette domination, est sans trêve dénoncée. L’État français a beau jeu de faire la sourde oreille et d’inventer des mots visant à marginaliser ceux qui réclament la Justice et le Droit. ‘‘Victimisation’’ est l’un de ces mots sensés culpabiliser les récalcitrants. ‘‘Repentance’’ en est un autre, un bouclier derrière lequel se cachent ceux qui ne veulent pas entendre parler de l’histoire coloniale au prétexte qu’ils n’étaient pas encore nés.
Le FN (Front National) toiletté en RN (Rassemblement National) dans une stratégie de conquête du pouvoir, est un parti politique dont l’ADN est tissé de racisme, de xénophobie, d’idéologie fasciste antidémocratique, incompatible avec l’ADN des ‘‘Outre-mer’’. Il n’y a pas à tergiverser avec les ‘‘idées’’, ‘‘thèses’’, ‘‘programmes’’ proposés par ce parti qui avance masqué et qu’il faut, avec une ferme lucidité, refuser de considérer comme tous les autres.
Quel que soit le choix que fera la France luttant avec ses propres démons, les peuples des ‘‘Outre-mer’’ ne doivent pas perdre de vue les combats légitimes qu’ils mènent contre la domination française :
- la quête de souveraineté,
- le changement des rapports avec la puissance qui les domine du fait du blocage du processus de décolonisation,
- la lutte contre le racisme systémique,
- le respect du droit des citoyens empoisonnés par le chlordécone et autres pesticides,
- la lutte contre les fléaux du chômage de masse et des discriminations qui frappent la jeunesse…
- le combat pour la reconnaissance et l’application du droit aux réparations des crimes esclavagistes et coloniaux,
- la lutte contre les monopoles hérités de la structure ethno-raciale des sociétés plantationnaires,
- la réduction des monocultures d’exportation et de la dépendance alimentaire, …
Autant de sempiternelles batailles qu’il faudra avec courage et dignité, livrer au lendemain de l’élection du Président de la République française.
Jocelyn Valton, 22 avril 2022