Depuis plus de trois mois nous sommes aux prises avec un virus nouveau, inconnu, déroutant. Il est surprenant de voir et d’entendre ce déferlement de pensées, de croyances, de peurs, de certitudes, d’incertitudes qui ont émaillé ces mois où la communication est totalement envahie par le COVID 19, comme si en dehors de cela il ne se passait plus rien d’autre sur terre. Les guerres, la famine, le climat, la déforestation, la culture, le terrorisme, tout ce qui se passe dans le monde a disparu des écrans.
Au début les responsables politiques étaient très rassurants : une grippette, un petit virus exotique et lointain ; mais petite à petit ce virus s’est répandu le long des axes intenses de la mondialisation ; la voie était ouverte à cette maladie inconnue épidémique puis très vite pandémie fulgurante qui semble n’épargner personne, même dans les contrées reculées, même dans les petits villages de nos campagnes, au cœur de nos cités. La « peste », comme au moyen âge, envahissait tout.
Alors nous avons été confrontés à des discours étranges, formatés à la fois dans un déni de réalité et une tentative désespérée de faire croire que l’état savait tout et contrôlait tout. Que de certitudes avons-nous entendues sur les signes cliniques, l’évolution de la charge virale, les processus d’aggravation, les thérapeutiques, la prévention.
L’état s’est ridiculisé par l’entremise de ses édiles, grands savants à la retraite ou confinés au fond de leur laboratoire, occupés à lire les dernières publications internationales pour montrer leur science ; politiciens incultes en infectiologie, avides de reprendre des discours scientifiques mal digérés pour en tirer des décrets inappropriés : la saga des masques est Kafkaienne, oppressante, absurde et cauchemardesque, réglée et distillée pour nous faire croire que le ministre contrôlait tout et anticipait tout, dans une suite de contradictions honteuses et démoralisantes pour le public qui ne comprenant plus rien n’en fera qu’à sa tête dans ce brouillard.
Comment croire les conseils d’aujourd’hui après toutes ces contre-vérités, alors qu’il faudrait maintenant une fermeté assumée, notamment sur le port des masques : mais l’état a peur, il ne faut rien rendre obligatoire, surtout pas ; peut-être une révolution est-elle à craindre dans leur esprit décontenancé ? Peut-être un risque pour leur carrière ? Quant au prix des masques, là encore une mafia s’en empare pour amasser des fortunes en vendant plus de dix fois le prix de reviens ce produit enfin reconnu comme indispensable.
Comment respecter cette autorité défaillante, incertaine, changeante, couarde ? Comment respecter également tous ces pseudo scientifiques qui font la queue auprès des chaînes de télévision pour donner leur version, pour apparaître dans cette lucarne magique où leur égo prospère au prix d’incertitudes incessantes, pendant que chez elles des personnes meurent dans la discrétion et l’oubli, simplement accompagnés par leur médecin généraliste désarmé, critiqué, abandonnés par un pouvoir incapable de fixer un cap.
Ces médecins généralistes sont condamnés à regarder mourir leurs patients, à les aider dans une démarche palliative avec comme seule arme le paracétamol : interdiction de traiter en dehors de recommandations thérapeutiques scientifiques … qui n’existent pas ; le dernier rapport du HCSP est dramatique : tout est flou, rien n’est proposé, des médicaments il y a peu en vente libre sont interdits, toute tentative innovante pour envisager de soigner est passible de sanctions. C’est une posture psychanalytique qui leur est imposée : on observe, on mesure, on ne soigne pas. Finalement on submerge l’hôpital, pendant que de grands savants font de la recherche. Mais quelle recherche ? L’étude DisCovery qui était annoncée en mars par le ministre comme devant apporter la bonne réponse avant fin avril est en panne : formatée à la va-vite, imposée à l’Europe, mal construite, elle est un échec retentissant et aucun pays européen n’a inclus de patients sauf un au Luxembourg : pendant ce temps les malades meurent, mais la science reste impassible, défaillante, occupée à ses batailles d’égo. Nous en arrivons déjà aux insultes, aux grossièretés, même dans la bouche du Ministre. Un ministre, neurologue hospitalier, huit citations sur Pub Med dont seulement quatre en premier auteur, donne de manière grossière des leçons à un spécialiste mondial en infectiologie, auteur de 10 fois plus de publications internationales, honoré de nombreuses distinctions ? Une gabegie honteuse.
Nous en restons donc aux recommandations : surtout ne faites ni ceci ni cela, distillées par une armée de scientifique loin du terrain, qui ne voient pas les malades mourir. Il n’y a pas d’arme, pas de bouclier semble-t-il. L’ennemi, c’est l’autre, et il est partout, invisible, il n’y a pas de zones de repli. Alors survient pour chacun le traumatisme psychologique dont tous les éléments sont présents : un évènement imprévisible, vide de sens, générateur d’effroi et d’impuissance, que l’on ne peut ni fuir ni combattre. Tout y est, alors que faire devant ce tsunami de peur et d’anxiété, ce figement que cela génère ? Des soignants désespérés, traumatisés, abandonnés par un pouvoir délabré. Des malades terrifiés ; une population désespérée, en proie au délitement professionnel et social dont on sait que surement cela devra un jour se payer. Cette situation sociale génère de la violence, de la dépression, des burnouts, de la pauvreté ; mais aussi du déni, une insouciance affichée bravant l’ennemi comme on escalade une barricade pour offre son corps aux tirs ennemis : c’est la guerre, évidemment, avec tous ces excès.
Alors que les politiques défaillent, que faire ? Abandonner, détourner le regard ? Je crois qu’il est temps que chacun prenne ses responsabilités pour occuper ce vide politique, en décentralisant une décision sociale efficace qui reste à ce jour vacante : il est temps de se protéger, et les masques si longtemps décrié sont maintenant par les mêmes encensés ; temps de remettre en route la société, en tirant si possible les leçons de cette crise : repenser le système de soins pour plus d’efficacité et moins de bureaucratie, repenser l’économie pour la relocaliser, la rendre plus solidaire et plus verte, repenser la société pour la rendre moins consumériste, plus responsable.
Il est temps de prendre soin de ces personnes pour lesquelles fuir le virus mène à la pauvreté et l’isolement : combien de morts cette effraction traumatique va-t-elle ajouter à cette infection : par la violence, par la désocialisation, par la déstabilisation psychiatrique des plus faibles. Plus qu’une deuxième vague, c’est le délitement de note société, de notre civilisation qui est à redouter. Il faut pour prévenir cela anticiper les mesures à prendre : soutien social, responsabilisation des citoyens en les associant à cet effort, pragmatisme et humilité politique. Souhaitons que cette déflagration qui a fait trembler le monde soit le vecteur de la reconquête pour une société plus humaine.
Docteur Jean-Pierre Alibeu
Ancien Spécialiste des Hôpitaux du CHU Grenoble-Alpes
Praticien Hospitalier honoraire
Ancien expert du Haut Conseil de la Santé Publique