Jules Spector Lyon-Caen
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Billet de blog 18 mars 2023

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Le retour de l’ancien monde

« Comment en sommes-nous arrivés là ? » répètent en chœur depuis quelques jours les commentateurs politiques, anciens responsables de haut rang, éditorialistes et autres visiteurs du soir d’un président désormais bien seul.

Jules Spector Lyon-Caen
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Le déclenchement de l’article 49.3 de la constitution, jeudi après-midi, a cristallisé la colère des français, des oppositions de droite comme de gauche, et jusqu’au camp présidentiel où l’usage de cette disposition controversée pour faire passer au forceps une réforme elle aussi controversée - pour rester gentil - a laissé un goût amer. Les députés macronistes, qui semblaient heureux du pouvoir accru du parlement depuis les élections de juin et la majorité très relative qui en a découlé, se retrouvent à nouveau des playmobils comme au quinquennat précédent, juste bons à appuyer en cadence sur les boutons de leurs pupitres.

Quelques heures après l’annonce, des milliers de personnes se retrouvent spontanément sur la place de la concorde, en face de la représentation nationale. Partout dans le pays s’organisent des manifestations, rassemblements improvisés, où éclate la colère de ces citoyens qui ont le sentiment, pour changer, que tout est décidé depuis en haut. Chose plus rare, les syndicats - y compris les plus réformistes, comme la CFDT - et les oppositions de tous bords se retrouvent dans la critique, non plus de la réforme des retraites en tant que telle, mais de la méthode de gouvernement qui a cours depuis quelques mois. Que le gouvernement fasse la sourde oreille à des manifestations, cela n’a rien de nouveau. Que 150 000 gilets jaunes radicaux qui cassent des statues en plâtre à 400m de l’Élysée obtiennent plus que 3,5 millions de manifestants pacifiques pendant des semaines, rien de nouveau non plus. Que la 5e république engendre un mode de gouvernement vertical, violent et sourd n’est toujours pas nouveau.

Ce qui est nouveau, c’est ce sentiment démocratique, ce sentiment de tous les possibles. Ce sentiment que nous n’avions pas eu depuis longtemps de penser qu’après-demain pourrait être si différent d’hier - au sens propre. Après-demain seront votées les motions de censure déposées vendredi, celle du RN qui n’aboutira pas, et celle du député centriste Charles de Courson, qui recueille déjà à coup sûr les votes du RN, de la NUPES, du groupe LIOT (à l’exception de 4 élus), et de 10 députés LR ayant déjà annoncé leur vote. Ce qui porte la balance à 266 votes en faveur de la censure, contre les 287 nécessaires. Et si des députés MODEM ou Renaissance votent la censure, pour signifier leur rage d’être considérés comme des paillassons par l’exécutif ? Ou si Édouard Philippe veut porter le coup de grâce à Emmanuel Macron et obtient les voix manquantes pour faire tomber le gouvernement ? Et si les députés LR se rebellent contre Ciotti et Marleix, et votent en fonction de leur peur des électeurs, avec la promesse annoncée cet après-midi de ne pas avoir de candidat RN en face d’eux aux prochaines élections s’ils votent la censure ? Tout cela est de la politique-fiction, bien sûr. Mais voir le gouvernement l’emporter lundi, même de justesse, l’est tout autant voire plus. Et quand bien même il l’emporterait, Borne et ses ministres les plus combatifs sur les retraites sont déjà grillés. Il sera impossible de gouverner le pays dans les mois et années à venir, à moins d’espérer le retour d’une apathie politique dans le pays semblable à ce qu’elle avait été dans la période covid et post-covid, ce qui semble être plus un doux rêve du président qu’une option réaliste.

Le pays semble donc s’enfoncer petit à petit dans une crise politique dont on ne pourra sortir que par le haut en faisant « table rase » des errements du passé, de la verticalité, de l’austérité. En d’autres termes, la seule issue à la crise politique dans laquelle nous risquons bien de nous embourber est la démission du premier responsable, le président de la république. Être prétendument centriste n’échappe pas à l’idée de radicalité, et on peut bel et bien dire qu’il y a eu radicalisation du macronisme. Quoi de commun entre celui qui dénonçait en 2017 la « religion républicaine » et celui qui engage un combat contre les six millions de français musulmans par la loi séparatisme en 2021 ? Quoi de commun entre celui qui déclarait en 2019 qu’il serait injuste de décaler l’âge de départ à la retraite pour le faire par la force quatre ans plus tard ? Quoi de commun entre celui qui déplorait les violences policières sur les manifestants anti-loi travail en 2016 et celui qui refuse d’employer ce même terme pendant la crise des gilets jaunes ? Il y a bel et bien une radicalisation du macronisme. Et les premiers responsables de cette radicalisation sont peut-être tenants de la gauche sociale, syndicale, associative, la « rue », qui en demandant de réelles garanties sociales et démocratiques pendant le premier mandat a fait sauter l’imposture du « en même temps » et a forcé le macronisme à se replacer idéologiquement sur une ligne plus droitière, la seule cohérente avec ses orientations économiques. Et nous sommes là, à crier face à des sourds, à chercher désespérément des solutions pour éviter la grave crise institutionnelle qui ne profiterait qu’à l’extrême-droite, qui se délecte, et reste en embuscade en cas d’échec d’une proposition de gauche rassembleuse.

Alors, comment en sommes-nous arrivés là ?

La réponse peut se trouver dans le fonctionnement même de nos institutions. Les travers du présidentialisme induit par la Ve république ont déjà été expliqués mille et une fois par des constitutionnalistes bien plus compétents que moi. Évidemment que les outils mis à disposition de l’exécutif, prévus en cas de crise, seront utilisés abusivement pour faire passer au forceps un projet de loi dans un climat politique incertain. Évidemment que les dispositions prévues pour sauver la démocratie en cas de crise seront utilisées hors de ce cadre et couleront la démocratie au nom de la république. Évidemment qu’un gouvernement aussi fier, aussi sûr de lui, aussi délié des logiques de parti et de leurs équilibres, utilisera tout ce qu’il a à sa disposition pour gagner du temps et des votes. Tout cela n’est ni nouveau, ni surprenant, et je ne suis pas celui qui vous l’apprendra.

Peut-être, cependant, la réponse n’est-elle pas là. Peut-être la réponse est-elle dans le fonctionnement même du macronisme. Qu’est-ce qu’au fond le macronisme ? C’est un bonapartisme tempéré, un césarisme pragmatique. C’est l’idée que le pays a besoin d’un chef énergique et pragmatique pour répondre aux défis de notre temps, y compris parfois contre la volonté du peuple. C’est ce qu’ils appellent « faire en fonction de l’intérêt du pays et pas de son intérêt politique ». C’est paradoxalement un argument utilisé par les royalistes : un chef au-dessus des logiques partisanes se préoccupera paradoxalement plus de l’intérêt du pays. C’est la logique startup, où l’efficacité prime souvent sur la décision collégiale. En effet, la France met du temps à voter ses lois - 150 jours en moyenne, contre par exemple 30 jours dans la Hongrie de Viktor Orban. Mais il s’agit de jours de débats, de réflexion collectives, de vie démocratique - démocratie qui manque cruellement en Hongrie. 

On nous a promis, en 2017 comme en 1958, la fin du régime des partis. Ceux-ci étaient considérés comme facteurs de ralentissements politiques, d’instabilités et de déni de démocratie - les votes internes des partis prenaient, selon eux, plus d’importance que le vote populaire. On nous a promis une politique plus rapide, plus efficace, et en un sens plus « morale ». Et cela a eu des avantages ! Le quinquennat précédent a en effet vu disparaître dans une certaine mesure les apparatchiks des partis, dont François Hollande était le plus grand représentant. Mais lui-même a été limité dans sa folie libérale - alors qu’élu sur un programme socialiste - par la fronde interne au PS à partir de 2015-2016. Le macronisme nous a alors proposé une autre forme de démocratie. Une démocratie libérée de ses corps intermédiaires - partis, syndicats, élus locaux moyens. Une démocratie plébiscitaire donc, où le chef suprême est en contact direct avec ses citoyens comme on l’a vu pendant le grand débat national.

Mais, pour l’instant, la démocratie sans les partis semble effacer la démocratie elle-même, au nom de la république ou de la nation, selon les obsessions de chacun. Les partis et leurs logiques internes avaient au moins la qualité de limiter le pouvoir du président élu, qui restait lié aux votes internes et à l’orientation décidée en congrès, ou a minima aux frondes internes. François Hollande en a fait l’expérience douloureuse : on ne gouverne pas sans ceux qui nous ont fait élire. Mais le macronisme, dans sa haine de ces logiques partisanes, reste seul dans ce marasme politique. Il n’y a aucune élection interne et donc aucun débat sur la ligne politique - tout comme à la France Insoumise d’ailleurs, un rapprochement entre le fonctionnement de ces mouvements serait pertinent mais ce n’est pas l’objet de cet article. Macron n’est donc lié par rien ni personne, et surtout depuis mai dernier, depuis que le risque de perdre l’élection prochaine n’existe plus pour lui.

Reste alors la démocratie plébiscitaire. Mais lorsque le peuple refuse les projets du grand chef, il ne reste plus rien de cette démocratie plébiscitaire. Alors il reste la violence politique - symbolique, par le 49.3, et dans les chairs, par cette réforme injuste pour à peu près tout le monde sauf les 5% les plus aisés. Le nouveau monde s’est radicalisé, isolé, s’est retranché dans ses positions avec l’idée d’avoir raison contre tous, et nous a enfoncé dans une crise de régime dont ne risque de sortir vainqueur que les tenants du néofascisme.

Les partis sont lents, énervants, un peu antidémocratiques et parfois méprisants. Mais jamais, nulle part, une démocratie n’a fonctionné sans partis. Jamais un chef charismatique n’a permis l’expression du peuple plus qu’une flopée de gestionnaires médiocres. Alors si quelqu’un peut nous bricoler une démocratie parfaite, respectueuse et sans ces partis si détestés d’ici lundi, on prend. Mais en attendant, comme dirait Churchill que je suis bien étonné de citer, « c’est sans doute un très mauvais système, mais c’est le moins mauvais de tous les systèmes ».

Alors peut-être avons nous regardé au mauvais endroit. Peut-être la faute originelle n’était-elle pas la constitution de 1958 mais ce jeune énarque si souriant et si compétent, loin de toute contrainte archaïque de la démocratie parlementaire. Peut-être nous sommes-nous trompés sur la nature réelle du « nouveau monde », du « jour d’après ». Peut-être qu’élire un banquier et haut fonctionnaire qui n’avait jamais fait l’expérience du compromis et de la collégialité était bien plus dangereux qu’un vieil apparatchik médiocre gérant des équilibres partisans. Par sa violence et son mépris, Macron n’a pas divisé mais a uni le peuple français contre lui. Peut-être, finalement, que le nouveau monde ressemble plus à l’ancien régime que nous le pensions. Et peut-être, après tout, faudra-t-il un nouveau 1789 pour répondre aux exigences démocratiques et sociales. En attendant, à nous d’inventer un réel nouveau monde.

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