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Billet de blog 29 novembre 2012

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50 shades of Grey: chronique médiatique d’une époque moderne

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Chronique traduite en turc et publiée sur uplifers.com le 30/11/2012 - http://www.uplifers.com/grinin-50-tonu-cinsel-bir-devrim-ya-da-medyatik-bir-firsat/

Impossible d’échapper à la vague médiatique 50 shades, la saga « érotique » présentée comme un best-seller mondial parce qu’il s’est bien vendu aux Etats et au Royaume Unis. Et comme il s’agit de cul, on a intérêt à connaître parce que sinon, au mieux on passe pour un autarcique attardé, au pire pour un coinçosse tendance prude.

L’intrigue : la soumission sexuelle d’Anastasia Steele, une pucelle de 21 ans étudiante en littérature, à Christian Grey, un néo-dandy raffiné, charitable, puissant et pianiste brilliant. Leur première rencontre se solde par deux orgasmes pour la petite (wow) qui du coup se laisse fouetter à foison par son amant-tortionnaire. D’après ce que j’ai compris, on parle de ce bouquin parce qu’il contient des scènes de cul sadomasochistes incluant bondage, pinces à tétons, et autres formes de domination/soumission explicites qui font mouiller les « mamans » (le livre est qualifié de « mommy porn » parce que c’est quand même grave soft pour un hard apparemment).

Avec ça, l’auteure britannique et producteur de la BBC, E.L. James a vendu plus d’exemplaires que J.K. Rowling et son Harrry Potter : 40 millions vendus en un an et demi. Mais contrairement à l’apprenti sorcier, ce néo-porno SM basse qualité ressemble plus à un événement médiatique qu’à un phénomène littéraire.

Burn after reading

Ne parlons pas de la traduction française du titre et regardons les titres de presse : “L’avènement du porno à la maman”, “Un porno SM dans le panier de la menagerie”, Le phenomena US arrive en France”, “50 nuances vous donne envie”, “Cendrillon et les masochists”, “50 nuances de Grey : pan-pan cul-cul!”, etc. Qu’est-ce qu’o fait quand on voit ça ? On va le lire ! Après l’avoir lu, les commentaires sont moins enthousiastes : « A peine plus excitant que le vieux film érotique du dimanche soir sur M6 et d’une bêtise inouïe », « La seule expérience SM c’est de lire ces 600 pages d’un ennui mortel et affreusement mal écrites », « E.L. n’a pas peur des clichés ». Mais on a quand même droit à un pseudo éloge de l’empowerment de la femme-esclave : « Une belle histoire d’amour à l’évolution positive : l’héroïne, d’abord soumise, prend finalement le dessus. DSK était sordide ; là c’est une sexualité heureuse, enfin réconciliée avec l’amour ». Um.

Si le livre est si mauvais, ou même passable, pourquoi on en parle autant ? Parce que dans notre société médiatique et médiatisée, il y a des trucs dont on ne peut pas ne pas parler. Surtout quand il s’agit de sexe. (Ne pas oublier : le sexe c’est subversif, le sexe ça vend.)

La sortie du livre en France a été accompagnée d’une bande originale, compilation des chansons évoquées, et d’un guide pratique « Décoder 50 nuances de Grey avec 20 jeux sensuels pour booster votre couple », compilation des positions. L’auteur a travaillé avec un fabriquant de sex toys pour créer une gamme de produits inspirés de ceux utilisés dans le bouquin. Le film (bien sûr qu’il va y avoir un film) sera produit par Universal et on attend la ligne de lingerie brandée « Fifty shades ».

Le traitement médiatique de la saga insiste surtout sur les retombées commerciales du bouquin, plus que sur ses qualités littéraires. Le succès des gadgets SM et des cours de bondage est directement associé à la sortie du livre et présenté comme un mouvement de libération d’une sexualité stigmatisée… Vraiment ?

“Just gonna stand there and watch me burn, well that’s alright because I like the way it hurts…”

Dans plusieurs de ses chansons, Rihanna miaule le plaisir exquis de la souffrance dans un couple, alors même qu’il n’y a pas si longtemps elle se faisait frapper par Chris Brown. La campagne actuelle contre les violences faites aux femmes n’arrive pas à endiguer le phénomène : la soumission physique, émotionnelle et sexuelle est tendance. Les femmes représentées dans la publicité et les magazines évoquent la disponibilité sexuelle. Dans 50 shades, la jeune vierge est envoutée par le panel de sensations nouvelles que lui fait découvrir le mâle puissant et sophistiqué. C’est rigolo que la cible principale de l’éditeur soit les ménagères de 40-50 ans.

A mon humble avis, l’attraction qu’exerce ce livre repose sur le désir paradoxal des femmes « modernes » de se voir soumise à une puissance mâle – dont l’existence a été gravement remise en cause par le féminisme ces trente dernières années. L’enthousiasme général est symptomatique de l’intégration contradictoire des acquis et des perspectives féministes.

Sur les forums féminins, des commentaires expriment l’identification avec la personne soumise sur laquelle est construite le roman : “J’ai commence à vraiment envier Anastasia!!! Lire ce livre c’est rêver de ses propres fantasmes, c’était exquis et je le recommande pour se détendre, c’est génial !!! », ou encore « Je veux rencontrer Monsieur Grey !! ».

L’augmentation de la liberté sexuelle a affecté la perception de soi, des relations et de la sexualité. Aujourd’hui, face à l’injonction sociale à la performance sexuelle, les hommes et les femmes essayent d’être à la hauteur de standards sexuels prescrits par les discours médiatiques, avec l’aide de gadgets en plastique et de cours de sexe.

Le test qui suit l’article dédié au bouquin dans un célèbre magazine feminine éclaire les termes du débat : « J’ose ou j’ose pas ? ». Parce que là est la question…

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