julo94 (avatar)

julo94

Chercheur en philosophie

Abonné·e de Mediapart

2 Billets

0 Édition

Billet de blog 26 juin 2017

julo94 (avatar)

julo94

Chercheur en philosophie

Abonné·e de Mediapart

L'autre, ou l'enfer de Céline Pina

Dans un billet sobrement intitulé «Nique la France» : peut-on être député d'une nation que l'on déteste? », Céline Pina règle ses comptes avec les « indigènes de la République », « indigènes » qu'elle semble abhorrer viscéralement. Que leur reproche cette militante d'une conception de la laïcité qui confine au fondamentalisme? Analyse.

julo94 (avatar)

julo94

Chercheur en philosophie

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Qu'ont bien pu faire Danièle Obono et les "indigènes de la République" à l'auteure et ancienne élue locale pour mériter une offensive si acerbe?Un freudien répondrait probablement: l'image peu flatteuse que ces derniers nous renvoient de notre passé commun, comme de notre présent, et donc d'une République loin d'être la blanche colombe immaculée qu'elle prétend être, à fortiori lorsqu'elle entend promouvoir des valeurs qu'elle voudrait « universelles ». 

Promouvoir « l'indispensable universalité de nos valeurs républicaines », voilà d'ailleurs ce qui motive l'essayiste, et ce afin de « lutter contre tous les totalitarismes ». Car vouloir imposer ses propres valeurs à l'ensemble des peuples n'a rien de totalitaire, et n'est absolument pas ce que l'on reproche à l'autoproclamé État Islamique. Passons sur cette contradiction. Que nous apprend donc cette prosélyte du culte républicain pour qui la tenue du salon de la femme musulmane à Pontoise en 2015 se devait d'être « dénoncé » comme une atteinte à « nos » valeurs de liberté et d'égalité universelles? Précisément que cette universalité serait à géométrie variable et que « nos » valeurs ne s'appliqueraient qu'à nous, les « justes », c'est à dire les blancs occidentaux d'obédience judéo-protestante et bien entendu libérale -ceux qui oseraient critiquer les bienfaits du libéralisme émancipateur étant exclus de facto de cette élite civilisationnelle. Les indigènes ne sauraient en effet prétendre à cette liberté d'exercer leur propre culte -forcément « archaïque », et donc à l'égalité de traitement censée l'accompagner.

Pis, dénoncer cette inégalité de traitement, et donc cette entorse honteuse à nos propres principes, relèverait du crime de lèse-république. « Cachez-moi cette schizophrénie axiologique que je ne saurais voir », voilà en effet le message implicite de ce « coup de gueule » autodéfensif que pousse Céline Pina dans les colonnes du Figaro. On ne saurait cependant mieux niquer la France qu'en bafouant ainsi ses valeurs. Leur prétendue universalité supposerait que leur application ne souffre d'aucune exception, à fortiori lorsque des enfants de la République entendent en dénoncer la coupable relativité.

La France a été un pays colonisateur, et, au regard de nos ingérences permanentes en Afrique et au Moyen-Orient pour officiellement y imposer la démocratie comme on imposait jadis la religion chrétienne, l'est toujours. On ne change pas les faits en les niant, pas plus que l'on honore ses valeurs en les piétinant. Le racisme et la xénophobie, loin de reculer, s'affirment quotidiennement au pays des Droits de l'Homme, que ce soit dans la rue, les urnes ou les médias. Pis, ils tendent même à se décomplexer, banalisés par un discours politique irresponsable qui n'a plus honte de soutenir que « l'homme africain n'est pas assez entré dans l'Histoire » ou que « les Roms ont vocation à rester en Roumanie ou à y retourner ». "L'islam bashing" semble même être devenu le sport national depuis que les éditorialistes et les « intellectuels » qui squattent le devant de la scène médiatique on fait de l'islamophobie une vertu républicaine, exigeant des musulmans non seulement qu'ils s'excusent de l'être mais surtout qu'ils renient leurs origines comme leur foi pour embrasser la seule religion républicaine possible : le libéralisme libertaire.

A l'instar d'une Caroline Fourest, d'un Philippe Val ou d'un Manuel Valls, Céline Pina fait d'une conception dévoyée car exclusive et islamophobe de la laïcité l'alpha et l’oméga du pacte républicain comme du contrat social. « Liberté, égalité et fraternité pour et entre les athées libéraux exclusivement », voilà qui résumerait leur conception de la devise républicaine. La justice sociale, la solidarité, à la rigueur, mais uniquement envers les libertins pour qui le seul paradis possible est bel et bien sur Terre, dans les grandes surfaces notamment, et le seul progrès celui du pouvoir d'achat comme de la croissance matérielle. Les mêmes libertins pour qui la simple évocation des mots « spiritualité », « ascèse » ou même « pudeur » suscite une méfiance toute pavlovienne, et pour qui la possibilité de s'épanouir hors de la consommation frénétique relève du pathologique.

Ne faut-il pas se sentir coupable pour ainsi vouloir à tout prix faire disparaître ce qui, de par sa différence, nous renvoie notre propre image et en souligne le caractère pathétique? Car là est le point commun des figures précitées : ne supportant pas le reflet de leur propre vacuité existentielle, ils tentent par tous les moyens de briser le miroir de l'altérité, l'Autre rendant par effet de contraste manifeste ce que nous sommes, et non ce que nous croyons ou aimerions être. Aussi la charge de Céline Pina à l'encontre de Danièle Obono et des « indigènes de la République » qu'elle est censée représenter n'a d'égal que le ressentiment et la frustration qu'une vie sans consistance et sans horizon aura fait naître et aura entretenu jusqu'à la haine de soi, haine transposée sur autrui par transfert homéostatique -et donc inconsciemment.

Insupportable différence qui nous rappelle à nous même et aux névroses auxquelles nous tentons de tourner le dos. Impardonnable altérité qu'il nous faut gommer pour oublier que l'autre, c'est aussi, et peut-être d'abord, nous-même. Coupable empathie qui voudrait nous voir reconnaître le même dans l'autre, et qu'il nous faut donc étouffer sous les slogans stériles de la raison suffisante. « L'enfer c'est les autres » disait Sartre, du fait même de cette spécularité propre aux relations intersubjectives, spécularité déformante en ceci qu'elle déforme l'image que nous nous faisons de nous-même.

Pour Céline Pina l'enfer c'est l'indigène, qui déforme l'image trop lisse que l'occident se fait de lui même. Et comme on le sait, et comme doit par ailleurs le savoir madame Pina, on ne saurait reprocher la fièvre au thermomètre.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.