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Billet de blog 12 août 2025

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Dégât des os n°3

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

 Nous sommes déjà tous assis dans la salle du Nord lorsque la
 manageuse et la soignante arrivent en infériorité de nombre que
 compensent le mouvement vif et la position debout.


« Pour commencer, nous allons faire une activité, on débriefera
 ensuite. » La manageuse, assise à présent face à nous, termine à
 peine d’introduire l’assemblée par ces mots, que nous comprenons à
 demi, que la soignante bondit sur l’estrade, se met à lire d’une voix
 chaude encore ignorée jusqu’à ce qu'elle susurre : « Fermez les yeux,
 mettez vos mains sur les cuisses ». Et d’autres mots qui se perdent.


 En contre-plongée, ma colonne vertébrale se glace, mes mains
 restent immobiles, mon cerveau sonne l’alerte. Mes yeux regardent
 alentour, ceux des autres sont déjà fermés. Les postures raidies, les
 mains à plat. Le silence. Que personne ne bouge. Puis je décide de
 partir à l’issue de la communication interne que mon cerveau et mes
 jambes improvisent. Je ne sais pas à qui en vouloir le plus : aux
 collègues qui s’exécutent en un geste ? Ou à la manageuse qui, dans
 son fantasme, voudrait voir tous ses subordonnés obéir d’une seule
 âme tout en feignant de lutter contre le stress au travail, dans son
 déni ?


 Je me demande souvent ce qu’est le harcèlement, se sentir harcelé.e.
 Est-ce la conséquence de ce déni même, nourri de bonnes
 intentions ? Harceler c’est ne pas voir, ne pas comprendre, ne pas
 entendre. C'est ne pas vouloir voir, ne pas vouloir comprendre ni
 entendre. C’est trop croire, c’est forcer, obliger, manipuler, c’est pour
 ton bien.
 Bien des aspects de la lutte contre le harcèlement sont les
 instruments du harcèlement lui-même. C'est l’exhortation à aller
 bien, à sourire, à s'asseoir en rond, à dire. Mais si tu pleurs : « Sors, tu
 veux prendre l'air ? » Alors il faut taire. C’est la trace qui reste, c’est le
 fil invisible tendu aux pieds, c’est la pensée qui te conduit à enjamber
 un matin de janvier, jeune retraité, le garde-corps du pont de Cheviré.


 Me croirais-tu si je te disais qu'un de tes anciens manageurs est
 aujourd'hui cadre au soin ? Il n'y a qu'un pas avant la chute. Il n'y a
 qu'un pas entre le harcèlement et la sécurité sociale d'aujourd'hui
 devenue l'alibi maltraité-maltraitant des marchés.
 Quand la manageuse t’a reçu dans son bureau, j’ai vu qu’elle avait
 surélevé son siège. Je l'imagine utilisant la manette car elle te savait
 plus grand qu’elle. Elle voulait t’impressionner, te réduire. 
 Il faut le dire, on utilise aussi des femmes aujourd’hui pour faire le
 sale boulot : manager sans ménager, appliquer des réformes
 difformes, mater loin de celle qui t'a vu naître, tordre les pensées,
 agent violent qui étouffe les défenses. 
 Retourner l'arme contre soi. 
 Sauter.
 Car il y a bien longtemps qu’il n’y a plus de navires 
 qui flottent sur la Loire. 
 Seulement des corps innocents 
 qui se disloquent.

Kaat

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