Rentrée scolaire aux points.
Voici l’histoire de la mutation d’une professeure de langue d’une cinquantaine d’années, plus de 20 ans d’expérience, bien notée, en période de cov-19, et qui a voulu changer d’Académie.
Cette histoire est basée sur des faits réels.
« Installée » depuis treize ans dans un lycée public de bonne réputation dans une grande ville de province, elle décide pour des raisons personnelles et familiales (rapprochement de conjoint), et sans le moins du monde être contrainte professionnellement, de changer d’Académie.
Tout cela se déroule en période de confinement durant la période 2020-2021.
À ce stade de sa carrière et de sa vie, prenant son courage et ses illusions à deux mains, elle se lance dans la course à la mutation et découvre les règles du jeu.
Le système de mutation s’effectue en deux étapes. La première consiste à demander de changer d’Académie sans savoir si un poste est libre ou va se libérer dans celle de destination et surtout de quel type de poste il s’agit et à quel endroit !
Ah oui, il y a aussi le nombre de points accumulés à l’ancienneté dans le poste dont on part, auxquels d’autres sont ajoutés en fonction des caractéristiques de la situation sociale, familiale ou de santé de l’enseignant.
À quoi servent les points ? À déterminer, et cela reste d’une grande opacité, un « classement » de l’agent qui permettra d’obtenir tel ou tel poste à tel endroit dans telle Académie, si le poste est libre.
À cet environnement pour le moins opaque, il faut ajouter une autre nuance qui vaut son pesant d’or ; si la mutation est accordée vers la nouvelle académie, l’enseignant est obligé de partir, même si c’est pour y trouver un poste absolument pas à la hauteur de celui qu’il laisse. Mais de toute façon, comme nous venons de l’écrire, dans la première phase, ce dernier ne sait rien, strictement rien de ce qui risque de lui arriver.
Autrefois, à la première mutation de notre professeure, au début de sa carrière, tout s’enclenchait en une seule étape ; elle demandait telle ou telle ville, tel ou tel poste identifié dans l’Académie actuelle ou une autre. Si le vœu n’était pas satisfait, elle gardait son poste (cela devenait trop simple, visiblement, ou trop cher à gérer).
Armée donc d’un nombre de points conséquents liés à son ancienneté et au bonus de rapprochement de conjoint, notre professeure part tout de même à l’assaut de la nouvelle académie, car elle a reçu son accord de mutation.
Vient alors la seconde phase. Il vous est demandé d’effectuer des vœux toujours sans savoir s’il y a un poste !
Notre professeure y va donc des endroits pour lesquels elle se sentirait apporter son expérience, c’est-à-dire plus de 25 ans en Collège, Lycée et en poste –bac, dont un dernier poste assez exigeant en termes de niveau.
Avec grosso modo 600 fois plus de points qu’un collègue débutant, elle pensait cela suffisant pour au moins un des postes qu’elle briguait en tant que titulaire dans la nouvelle Académie, dans une zone comptant une vingtaine d’établissements (bien que les stagiaires aient la priorité, il faut effectivement former les jeunes !).
Quel fut le résultat ?
Aucun de ses vœux n’a été pris en compte et notre professeure s’est retrouvée titulaire en zone de remplacement (remplaçante tout en étant professeure attitrée), statut par lequel passent beaucoup de nouveaux profs, après plus de 25 ans d’expérience et à plus de 50 ans et dans un collège auprès duquel elle a dû frapper à la porte, certes près de chez elle, mais où elle n’était pas particulièrement attendue !
Elle est donc partie vers l’inconnu pour se retrouver en situation de fragilité sur le plan de son évolution professionnelle, alors que sa nouvelle Académie a accepté sa mutation ! Certes il y a la notion de service public, qu’elle a respecté, mais tout de même!
Ainsi, bien que sortant d’un poste de titulaire dans lequel elle était à l’aise, et partant pour des raisons parfaitement justifiées au niveau personnel et familial, notre professeure s’est retrouvée, malgré son CV, dans un statut de remplaçante avec un sentiment d’incompréhension assez marqué et une désillusion complète.
Elle a cependant assuré cette année scolaire « contre fortune bon cœur », en prenant en plus de plein fouet, toutes les contradictions de la vie courante dans un collège de l’Éducation nationale en plein cov-19, l’attitude de collègues titulaires en place pas particulièrement solidaire, des enfants difficiles, des parents aussi, en particulier de par la période traversée, et un principal qui bien que jouant son rôle sur les basiques de sa fonction , entre autres la discipline, lui a tout de même demandé pourquoi elle ne développait pas d’activités à l’étranger en pleine pandémie!!!!
Mais la surprise finale vint en fin d’année scolaire.
Rester au poste qu’elle avait occupé en tant que remplaçante toute cette année 2020-21 n’était évidemment pas possible.
Au-delà des ambiguïtés du Principal et de certains collègues, les points qu’elle avait obtenus en partant de son ancien poste dans son ancienne Académie étaient presque tous perdus en raison du processus de mutation d’une académie vers l’autre, ne lui laissant aucune chance d’obtenir le poste qu’elle avait occupé en tant que remplaçante durant l’année, bien que vacant, par manque de points. Un comble !!!
Elle se retrouvait donc dans une situation de début de carrière à 50 ans et plus de 25 ans d’expérience, pour avoir demandé une mutation.
Mais l’affaire ne s’est pas conclue pour autant, puisque le Rectorat l’a nommé en tant que remplaçante sur trois établissements (collèges) pour la nouvelle année scolaire, dont un, en REP !
Alors, bien sûr, elle va assumer son service en tant que « bon petit soldat » de l’éducation.
Dans cette histoire, il faut ajouter qu’à aucun moment, les syndicats qui étaient au courant de cette situation n’ont bougé !
Alors oui, ils sont d’abord là pour défendre le collectif, mais en arriver à ne plus avoir la moindre main par rapport à un processus aussi effarent, injuste, complexe à souhait et totalement opaque, c’est à se demander s’ils n’en sont pas indirectement complices.
Voici donc comment fonctionne le système de l’éducation nationale basé sur des points dans le cadre d’une mutation. Les enseignants sont peu inspectés et lorsqu’ils le sont, l’inspection a peu de conséquences vraiment contraignantes sur le plan du maintien en poste, sauf exception grave.
Ce n’est donc que dans les cas de mutation qu’il est possible de détecter si l’administration de l’Éducation nationale gère vraiment ses Ressources humaines.
La réponse est ici évidente dans ce cas particulier. Sur un plan individuel, il n’y en a pas !
Nous avons par ailleurs vu sur un site de l’Éducation nationale que le système de points était LE système des ressources humaines. S’il permet de prendre en compte des situations particulières, il ne s’agit certainement pas de gestion de ressources humaines, mais il est vrai que si un logiciel calcule une affectation de besoins en fonction d’un certain nombre de points, cela ne coûte évidemment pas trop cher.
Par ailleurs, ce système qui défie le sens commun (dont les conséquences néfastes ont été peut-être renforcées par la cov-19) est clairement une prime à l’immobilisme dans une société où tous les discours ont le terme mobilité à la bouche, et même s’il a probablement été en partie conçu pour éviter des mutations abusives. Vu l’ineptie du « tout en points », il est fort possible qu’il soit aussi un « pousse-au-crime » et qu’il aboutisse dans la réalité à l’inverse de ce qui avait été espéré, juste en effectuant une réflexion en passant…
Le système que nous venons de décrire ne peut que pousser individuellement au dégoût et la désillusion, à la sensation que l’Administration, dans laquelle l’enseignant s’est investi des années pour défendre et assurer une fonction, en se « coltinant » parfois toutes les difficultés et contradictions de notre société actuelle, n’a aucune considération pour son personnel.
Ce sentiment est renforcé par le fait qu’aux académies, il est très difficile d’avoir un interlocuteur et qu’on vous renvoie le plus souvent sur un site internet, mal conçu souvent, qui défend une image normée plus qu’il ne donne de réponses, ou n’existe tout simplement pas !
L’attitude de l’administration ne participe-t-elle pas dans ce cas à la dévalorisation de la fonction de professeur ?
Quel est le respect des élèves indirectement dans ce qui vient d’être décrit ?
Les discours à rallonge et lénifiants du ministre actuel de l’Éducation nationale en interne, en particulier dans le cadre de la cov-19, tombent très à plat et à côté lorsqu’on est confronté à ces processus, et cela d’autant que les rémunérations en début de carrière sont faibles.
Être professeur à l’heure actuelle n’est pas aussi simple et de tout repos, comme certains voudraient nous le faire croire.
Les démissions de l’Éducation nationale et le manque de candidats aux concours ne sont peut-être pas un hasard.
Éric Marsault