Mardi 22 mai, l’un des membres du collectif de photojournalistes LaMeute a été interpellé, parmi une centaine de lycéens et d’étudiants, au lycée Arago à Paris où il réalisait images et vidéos de l’occupation en cours, comme le fait depuis plusieurs mois ce collectif lors de différentes manifestations et actions citoyennes. D’abord enfermé de longues heures, avec l’ensemble des personnes interpellées, dans un bus garé sur le parking d’un commissariat, il s’est vu notifier sa mise en garde à vue à 20h20 ; reconduite pour 24h le mercredi au soir, cette garde à vue a légalement pris fin jeudi à 20h20.
Le jeune photojournaliste âgé de 21 ans a toutefois été maintenu en détention (sous « main de justice, bien que gardé par la police » selon une formule inimitable du ministère de l’intérieur) pour une troisième nuit, la justice disposant de 24h supplémentaires pour le déférer devant le procureur au Tribunal de grande instance de Paris. La comparution devrait avoir lieu ce jour.
Si l’ampleur, les conditions et la durée exceptionnelle de mise en garde à vue de dizaines de jeunes mineurs suscite une indignation légitime, le cas de ce jeune photographe y ajoute le mépris, le harcèlement et les mauvais traitements dont font l’objet, depuis 2016 au moins, les photographes et reporters indépendants, dont l’activité est jugée par les forces de police à la fois illégitime (alors que la possession d’une carte de presse n’est nullement une condition pour exercer le métier de journaliste) et gênante, par leur manière de documenter, au plus près du terrain, la manière dont s’exerce aujourd’hui le maintien de l’ordre.
Pendant trois jours et trois nuits, donc, un reporter pris parmi d’autres jeunes s’est vu priver de liberté, de tout contact avec ses proches et sa famille - mise au secret telle qu’il fut impossible, durant 48h, de le localiser précisément, la répartition de dizaines d’interpellés entre différents commissariats causant une situation désordonnée et illisible. Mince anomalie dans la confusion générale ?
En réalité, ce cas témoigne d’une logique qu’il révèle en la redoublant : arrêter des dizaines de jeunes dans le but de les faire taire, méconnaître le statut d’un journaliste indépendant et en profiter pour prolonger un brin sa détention, c’est dans chaque cas avoir l’esprit étroit et la main lourde : témoigner, d’un côté, d’une conception fort stricte des lois qui encadrent l’exercice démocratique d’expression et d’information, de l’autre d’une tolérance bien large à l’égard des moyens de les réprimer, d’une manière de prendre ses aises dans les petites et grandes brimades infligées à des jeunes, et d’une totale absence de discernement dans la décision grave de les priver de liberté.
Aux côtés des professionnels, le travail des journalistes indépendants témoigne aujourd’hui d’une vitalité importante et précieuse dans l’envie de montrer, de décrire et de donner son point de vue. Les traiter ainsi, c’est méconnaître leur apport à la vie démocratique - de même que mater le désir de se réunir, c’est mépriser l’envie de la jeunesse de contribuer à la vie démocratique. On ne saurait indéfiniment réprimer le présent sans insulter l’avenir.
Signataires :
Pouria Amirshahi, directeur de Politis
Raphaël Bourgois, journaliste
Sylvain Bourmeau, journaliste, directeur d’AOC
Laurence de Cock, historienne
Catherine de Coppet, chroniqueuse à France Culture
Jean-Marie Durand, journaliste, Les Inrockuptibles
Nassira El Moaddem, journaliste
Laura-Maï Gaveriaux, journaliste indépendante
Quentin Girard, journaliste, Libération
Tristan Goldbronn, journaliste et directeur de la rédaction de Radio Parleur
Mathilde Larrère, Historienne
Eric Loret, journaliste, Libération
Rosa Moussaoui, grand reporter à l’Humanité
Vincent Ollivier, avocat
Catherine Portevin, journaliste à Philosophie Magazine
Marion Rousset, journaliste indépendante
Louise Tourret, Productrice à France Culture
Michaël Zumstein, Photographe, Agence VU'
La rédaction de Causette
La rédaction de Fumigène magazine
La Société des journalistes de Mediapart
La Société des journalistes de Tv5monde
La rédaction de la revue Vacarme
Le collectif Les Journalopes
Le collectif LaMeute
La rédaction de la Revue du Crieur