Extraits du livre Blablacar et son monde, Fabien Ginisty, co-édition Le Passager Clandestin - L'âge de faire, 2024.
Si vous pratiquez Blablacar, vous avez peut-être constaté que certaines personnes utilisent un alias sur la plateforme. J'ai moi-même été passager d'un "Benoît" qui s'appelait en fait Mohamed. Il m'expliqua très tranquillement et avec le sourire que c'était comme ça, qu'il n'y avait "pas de problème". Si j'étais dans sa situation, je ne sais pas comment j'agirais. Mais n'est-ce pas scandaleux de devoir renier, en quelque sorte, son prénom, pour passer outre le racisme ordinaire ? L'existence de discriminations sur la plateforme a en effet été statistiquement démontrée : "Les conducteurs ayant un nom à "consonance arabe ou musulmane" ont une probabilité significativement plus faible d'attirer des passagers que des conducteurs ayant un nom à "consonance française". [...] L'explication avancée est l'existence de comportements discriminatoires de la part des utilisateurs de Blablacar", écrit l'économiste Thierry Pénard, doyen de la faculté de sciences économiques de Rennes 1 et co-auteur d'une étude sur la détermination des prix sur les plateformes, en 2016. (1) [...]
Les auteurs relèvent que " d'autres caractéristiques que le prix influencent la demande, notamment l'âge (la demande est plus forte pour les conducteurs ayant entre 30 et 40 ans), et le genre (les femmes ont une probabilité plus élevée de remplir leur voiture)." Mais surtout, leur recherche montre qu'à caractéristiques identiques, " le taux de remplissage pour un conducteur ayant un prénom à consonance arabe ou musulmane est de 13 points de pourcentage inférieur à celui d'un conducteur ayant un prénom à consonance française."
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Jusqu'où l'homophilie sociale est-elle acceptable ? Être choisi selon le confort de la voiture, la conduite ou la ponctualité, pourquoi pas. Mais être choisi, ou pas, en fonction de son sexe, de l'origine de son prénom ou de son âge, n'est-ce pas instituer, poser comme normal ce qui pourrait s'apparenter à une forme de sexisme, d'âgisme, de racisme ? [...]
L'anonymisation aurait, à l'opposé, le pouvoir de lutter contre les préjugés. Le hasard de la rencontre, à l'image de l'auto-stop, nous permettrait de rencontrer des gens qu'on n'a pas l'habitude de croiser. On s'apercevrait à quel point les "inconnus" sont des gens comme nous.