Deux présidents ?
C’est officiel: notre pays compte désormais deux présidents. Quiconque a vu le premier ministre commémorer la rafle du Vel d’hiv, costume cravate sobres, regard martial, sur fond de shakos emplumés de la garde républicaine, quiconque à prêter attention à son discours emprunt d’une solennelle gravité et qui a salué le geste « courageux » de Jacques Chirac, a immédiatement compris de quoi il retournait.
Sans doute un hommage sincère à une cause juste.
Mais aussi mettre à profit une situation internationale, torpeur politique estivale aidant, qui se révèle pour ce qu’elle est, (à savoir autant de poudrières de l’Ukraine au Mali en passant par Gaza) afin de se mettre en scène et apparaitre à la hauteur des défis. Loin en tout cas des escapades africaines du maitre actuel de l’Elysée qui tente laborieusement de faire croire alors que les attentats ensanglantent le sahel et ses pays limitrophes que l’intervention militaire française fut un succès. Et en plein contraste avec un entretien du 14 juillet où l’optimisme et l’ironie du président de la république sont apparus d’autant plus décalé de l’opinion des français, qu’il a du reconnaitre par lui-même, ses erreurs de pronostic sur leur préoccupation majeure, le chômage massif. Une coupe du monde déjà oublié avec un résultat très moyen pour les tricolores, un été pourri, un défilé internationaliste donc polémique, une nouvelle paire de lunettes, même la rumeur d’un prochain mariage avec une actrice sémillante et déjà présentée à la famille, tout cela ne fait guère le compte au moment où les « terroristes » (ou présentés comme tels) de toute nature abattent des avions de ligne et un « déluge de roquettes » sur Israël, ce qui « enflamment » les banlieues préalablement chauffées par un traitement des média et du gouvernement incroyablement unilatéral de ce qui se passe en Palestine et quelques interdictions de manifester fortes à propos.
F.Hollande , qui sait déjà que la coupe et le 14 Juillet n’ont pas confirmé sa timide remontée dans les sondages, déjà titillé par un journaliste devant des millions de spectateurs sur son éventuel rivalité avec son premier ministre (non démentie d’ailleurs !) a vu immédiatement le danger. Discours de Vauvert où M.Valls fustige les immobilismes (et donc aussi celui de l’hôte de l’Elysée depuis deux ans), discours de la conférence sociale où s’éloignant de la prudence présidentielle pour sauver les apparences d’un supposé dialogue social, le premier ministre fustige à nouveau les syndicats et fait savoir clairement qu’il passera outre pour donner raison au MEDEF, discours enfin du Vel D’Hiv où est convoqué un prédécesseur du président actuel et qui empiète sans aucune hésitation sur le « domaine réservé », non seulement les questions internationales mais aussi l’histoire de la France.
Il fallait réagir. Mais la déclaration présidentielle faite à l’occasion d’une remise de médailles, dès le lendemain, sent le réchauffé, semble bien tiède après celle, la veille, vibrante, voire brulante, du ministre de l’intérieur devenu le premier d’entre eux. F.Hollande nous invite à ne pas importer le conflit du proche orient en France ? M.Valls a quant à lui choisi pour ses effets de manche qui suscitent de complaisantes ovations à l’assemblée la question sensible de l’antisémitisme nonobstant le fait que les actes antisémites ont baissé de moitié depuis les années 2000 selon les chiffres de la LICRA (et cela même si ces actes restent totalement inacceptables). Dangereuse posture qui peut tout aussi bien aggraver les actes en question ; et renforcer le sentiment des communautés originaires du Maghreb et du Machrek que le gouvernement a choisi son camps, celui d’Israël et de son puissant soutien, les Etats-unis. Loin d’apaiser les tensions entre communautés cette posture ne fait que les aggraver. Quoi qu’il en soit, sauf à envisager une grossière répétition du procédé théatral du gentil (Hollande) et du méchant (Valls), constatons que l’exécutif tire à hue et à dia.
On peut alors se demander si une nouvelle cohabitation ne s’est d’ores et déjà pas engagée ? Tactiquement M.Valls à l’âge où il peut attendre 2022. Il se rappelle qu’en France on ne devient pas président, jeune. Dans cette optique il n’a aucun intérêt à la réélection de F.Hollande, surtout si la droite s’avère durablement affaiblie par ses divisions et rudement concurrencée par le FN ; et donc promise à un quinquennat mou. Toutefois on le dit homme pressé, au risque de l’imprudence. N.Sarkozy sut convaincre l’électorat, malgré sa présence dans tous les gouvernements de droite de l’époque, qu’il incarnait la rupture. Il sut aussi, même temporairement, séduire l’électorat de droite extrême et d’extrême droite avec ses apparences de fermeté, le pillage sans états d’âme des thèmes du FN. M.Valls, qui sait le gout ponctuel des français pour les hommes providentiels et les solutions d’autorité, qui mesure aussi l’ampleur des résignations et révoltes au bout de six ans d’une crise sans fins, ne trouverait-il pas comme une source d’inspiration dans cette histoire récente ? On voit aussi que son approche, ségrégative, de la question des Roms et de l’immigration en général, que son insistance remarquée à pourchasser un humoriste au risque d’en faire une victime mais aussi d’étendre ses thèses antisémites, ne peuvent qu’interroger sur ses motivations. Les commémorations de l’été, traditions et histoire, sur fond de drapeaux, servent à peaufiner une image de rigueur et de poigne, cette dernière s’exerçant surtout contre les grévistes et les manifestants. Quel contraste avec le président hué par quelques factieux sur les champs Elysées !
M.Valls fait bien de se remuer. A force de fustiger, qui les cheminots et matelots, qui les avocats, huissiers et autre notaires, il finit par énerver. Certes il à encore la faveur des sondés mais il est désormais en première ligne et au moment des choix décisifs, celui des urnes, l’électorat de droite (dont plusieurs des représentants le soutiennent de plus en plus ouvertement !) ne sera pas au rendez-vous et celui de gauche depuis longtemps envolé. D’ici la, le premier ministre est au charbon face à l’agrégat des mécontentements divers mais puissants et sur la pente glissante qui va le mener sans doute à des scores aussi bas que son maitre élyséen dans les opinions.
M.AUBRY, pourtant guère réputée pour son sens tactique, l’a aussi analysé ; et sort du bois, au bout de deux longues années de silence, pour s’emporter contre une réforme territoriale, sans grand risque tant elle sait son impopularité auprès de élus locaux de tout bord. Sans doute se défend-elle aussi des coups bas en provenance de l’assemblée nationale (le rapprochement du NPDC avec la Picardie au risque de faire basculer la nouvelle région à droite voire au-delà, en est un de coup bas !) où, tant ses admirateurs de gauche la poussent à sortir de sa réserve, que ses concurrents au remplacement du premier ministre actuel, à commencer par le quatrième personnage de l’état, qui continue son drôle de jeu, aimeraient les uns et les autres qu’elle descendit dans l’arène, soit pour l’applaudir soit pour la livrer aux lions. Néanmoins prend-elle date. Comme l’occupant du perchoir qui ne manque jamais une occasion de tacler le couple exécutif qu’il s’était permis, irrévérencieusement, de noter au petit étaige de 7 sur 10, il y a peu. Ce qui se passe à l’assemblée, malgré les rodomontades de JM.Leguen et B.Leroux, ne cesse, en effet d’étonner. Plusieurs dizaines de députés des majorités présidentielles et gouvernementales s’y abstiennent ou vote contre et y mènent une critique quasi permanente de l’action de l’exécutif. Les cartes y sont souvent rabattues, voire redécoupées comme celle des futures régions. D’une fronde il s’agit bien et comme son exemple historique elle ne peut exister sans le soutien des puissants et importants. M.Valls, sauf à avoir la suprême habileté de susciter lui-même des obstacles qui peuvent justifier son départ anticipé pour garder toutes ses chances en 2017 et , en tout cas, conserver son capital pour 2022( parfois à son écoute quand il manie la langue du maitre d’école vis-à-vis des parlementaires ce qui ne fait que renforcer l’ire à son encontre, on se demande, quand même, s’il n’en rajoute ?) a donc bien des raisons de se démener.
Car par delà le théâtre politicien, assez fourni cet été (contrairement à celui d’Avignon qui a eu tort de ne pas être plus résolument du côté des intermittents), une réalité prévaut sur toutes les autres. La crise, qui va s’aggraver encore, taraude. De ce point de vue, celui des rapports de force sociaux et politiques, la comédie du pouvoir, depuis longtemps désertée par nombre de citoyens, malgré la diversion et le divertissement qu’elle constitue, n’empêchera les exacerbations à venir.
De ce point de vue donc, celui de ceux en position sur l’Aventin, la conférence sociale loin d‘être « la dernière du genre », « une conférence de trop », « une grande messe sans lendemains », a été au contraire des plus utiles. La plupart des salariés n’y ont prêté aucune attention et n’en n’attendaient rien. Le divorce entre les institutions, ses divers corps, y compris intermédiaires, est patent. La question est de savoir sur quoi débouche cette situation. Tant le président de la république que le premier ministre y ont reconnu, sans pouvoir s’en défiler, que l’accord sur la sécurisation de l’emploi comme le pacte de responsabilité succédant à celui de compétitivité ne donnaient aucun résultat. Les syndicats qui s’étaient prêtés au jeu sont désormais assis entre deux chaises, dénonçant une « rupture du dialogue social » le lundi pour le vendredi annoncer, sans rire, « des tas d’avancées ». D’ici à quelques mois les résultats des élections professionnelles, comme au lendemain de la signature par la CFDT de l’allongement de la date de départ en retraite en 2004, vont commencer à sanctionner, les imprudents. Qui en perdent d’ailleurs leur sang-froid n’hésitant pas à faire des parallèles douteux entre organisations syndicales et FN. Signe indiscutable d’une fébrilité qui en dit long. Le MEDEF, n’ayant cure du conseil présidentiel à ne pas sans cesse surenchérir, dépose une nouvelle revendication par semaine, le plus souvent accordé d’avance. Les choses sont au clair finalement ! Et ce n’est pas la moindre de ses qualités que la conférence les ai mise au grand jour. D’autant qu’avant la conférence, les luttes sociales qui parsèment l’actualité mais dont on entend jamais parler ont pris une telle tournure que les gouvernants ont du réagir.
Fut ressorti l’arsenal des grands jours avec un petit parfum de « guerre froide » : sondages stigmatisant les grévistes et les syndicats, la CGT en particulier ; tribunes appelant à leurs éradications ; déploiement conséquent des forces dites de l’ordre ; désinformation généralisée sur les conditions et les objectifs des conflits et notamment l’occultation complète de la défense des services publics et des systèmes de solidarité vis à vis des précaires ; soutiens gouvernementales aux diatribes anti syndicales des petits patrons ; haro sur les salariés et leurs syndicats forcement et définitivement corporatistes. Et pour faire bonne mesure le ministre du travail, reprenant la promesse présidentielle et malgré la protestation du PS, va accélérer le relèvement des seuils sociaux et la diminution des branches, alléger à nouveau le code du travail, en « passant en force » si les partenaires ne se mettent d’accord, bref va rabougrir la représentation du personnel à tout niveau. Singulière manière de favoriser le « dialogue social » en en fermant les lieux. Et en réduisant toujours plus au silence l’une des parties, évidemment celle des salariés.
C’est qu’une grande peur s’est levée en début d’été. Que la colère sourde qui agite le salariat et le conduit pour l’instant à la résignation, au désintérêt de la chose politique ou syndicale et qui s’exprime souvent par des luttes locales dont la dureté mais aussi la spontanéité ne sauraient surprendre, trouvent de la cohérence et des débouchés dans des mouvements pus vastes. Cheminots, marins, intermittents, contrôleurs et bien d’autres, grâce à l’ébauche d’un front syndical autour de la CGT, de FO, de SUD et de la FSU, ont clairement démontré que les luttes collectives et d’ampleur restaient parfaitement possibles. Et que leur coordination, donc leur poids accru, n’était pas aussi éloigné qu’on le pense. Il va être utile que des organisations syndicales incarnent enfin un débouché possible aux millions d’abstentionnistes qui rongent leurs freins depuis de nombreux mois. Pour la CGT, traditionnellement mais pas seulement syndicat de lutte et de protestation et qu’on a présenté abusivement comme ayant entrepris un tournant « réformiste », le temps des indécisions et retards à l’allumage, ne semble pus de mise. Sinon les mauvais résultats électoraux, l’électorat, ne s’y retrouvant plus, se poursuivront. L’atonie du mouvement social ces derniers mois a pu toucher les états-majors confédéraux. Le réveil d’’un mouvement pus large qui cherche sa coordination ne l’autorise plus. Comme le préconise T.LEPAON l’intervention des salariés est peut être désormais en route.
C’est dire l’inanité de certains spécialistes autoproclamés de la question syndicale qui osent voir dans les événements des syndicats dépassés par leur base et déphasés quand à la pseudo réalité d’un dialogue social qui , dans les entreprises, serait très vivant et en progrès ! Et de sortir comme seul argument la signature par les uns et les autres d’une pléthore d’accords locaux (le plus souvent d’ailleurs obligés par les lois votées et qui contraignent les acteurs ce dont se plaint sans retenue le patronat !). On se demande alors pourquoi faudrait-il réformer le code du travail comme le réclament désormais de concert gouvernement et patronat ? On se demande aussi comment faire rentrer dans cette vision idyllique les centaines de milliers de licenciements (dont des dizaines de milliers de délégués du personnel !), les centaines de milliers de « ruptures conventionnelles », les litiges prudhommaux qui s’envolent, l’inspection du travail promise à une réforme régressive et qui n’en peux plus et constate chaque jour la non application du code et des accords collectifs, le parlement et la justice qui se trouvent contraints de reconnaitre de plus en plus l’inhumanité des relations de travail sous les auspices du management néolibéral au point d’inventer un droit relatif au harcèlement et au stress, enfin ces dizaines d’enquêtes de toutes natures et de toutes indépendances qui nous décrivent des salariés allant au travail la peur au ventre et en masse ? Pour ces millions la, loin des tribunes de circonstance et de commande dans un quotidien du soir, l’urgence absolue et que le syndicalisme et par delà la politique, leur offrent des possibilités concrètes d’actions collectives et unitaires avec des acquis à portée de main. Il y a seulement quatre ans des millions de salariés étaient dans les rues contre la réforme de leur retraite. Le potentiel est toujours la. La crise a pu résigner et désarmer ; mais tout autant exacerber. D’ailleurs les pseudos « émeutes » que le pouvoir en quête d’autoritarisme à bon compte et sur le dos, pèle mêle, des jeunes, des banlieues et des musulmans, a fortement provoqué, nous indiquent à tous que d’une façon ou d’une autre la question sociale devra être résolue.