Jeudi matin sur le quai du métro.
Comme souvent, la rame arrive devant moi toute pleine de monde.
Comme souvent, pas le choix, je me jette dedans, debout, dans la seule posture possible, celle de la sardine.
Comme souvent, même, j’en suis à m’imaginer recevoir de l'huile juste après la fermeture des portes et je suis presque déçu, que ça soit la seule étape qui manque.
Pourtant, cette fois si, un petit truc a retenu mon attention et m’a détaché de cette vision en conserve.
Je ne m’en suis pas rendu compte tout de suite, le temps de retrouver une position verticale à peut près confortable. Mais j’entendais comme un léger bruit bizarre qui ne pouvait pas venir de la rame, ni de la musique que certains avaient dans les oreilles.
Pas suffisamment fort pour être tout de suite perceptible, mais suffisamment quand même pour que je me concentre dessus.
J’ai lâché mes oreilles sur le sujet.
Et c’est la droite qui, au bout d’une station, a trouvé ce que c’était.
Aucun doute possible, un bruit distinct de MAS-TI-CA-TION.
Une fois identifié, c'était trop tard, j’ai regretté encore une fois ma curiosité.
Parce qu’au final, dans mes oreilles, il ne me restait plus que ce bruit, rien que ce bruit pour m’occuper.
Les autres, petit à petit, s'étaient effacés.
Je n'avais malheureusement pas mis de musique et je n’avais donc pas d'écouteur pour m'isoler.
Ce n'était plus possible d'aller chercher mon casque dans mon sac sans gêner tout mon entourage. C’est à dire sans me forcer à passer ma main entre un dos, une paire de fesses, et une hanche collée à ma sacoche (2 demoiselles). Elles m'auraient surement pris pour un pervers si j'avais osé effleurer tout ça.
Donc, par défaut, j'ai pris mon mal en patience.
Et mon oreille droite a pris la totalité du bruit de la MAS-TI-CA-TION en cadence et décadence.
J’ai bien essayé de penser à autre chose, de repenser par exemple à cette notion de boite de conserve mais peine perdu.
J'avais l'impression d'avoir le menton du type ou de la demoiselle posé sur mon épaule avec sa bouche qui MAS-TI-QUAIT directement à l'entrée de mon canal auditif à l’aide d’un mégaphone pour haranguer, provoquer mon tympan et désorienter mes neurones.
Le bruit n’était pas fort, non. Mais, je n’arrivais pas à y échapper. Il me mangeait de l’intérieur.
J’étais sur le point de craquer nerveusement.
En raison d'un accident de mastication voyageur, le trafic est fortement perturbé sur la ligne 12. Le trafic reprendra lorsqu'on aura pu décoller le dit voyageur de la barre verticale de maintien sur lequel il a été greffé de force et avec une extrême violence au niveau de la bouche
Tentant...
Je devinais sans problème le trajet du chewing-gum :
Molaire en bas à gauche qui passe le paquet à Canine pas loin, puis à Incisive en haut à droite suivi d’une magnifique reprise de volée de la langue qui passe ensuite à ...
…
A un moment, je me suis dis que j'allais tourner la tête, pour voir à quoi il ou elle ressemblait, le regarder avec mon regard noir qui fait peur pour lui montrer tout mon mépris et lui expliquer que bon, ça serait bien qu’il la ferme un peu sa bouche.
Je lui laissais quand même une chance, je suis plutôt réservé et pas vraiment adepte des clashes entre inconnus dans les transports en commun.
Mais, 2 stations plus loin, j’ai fini par le faire.
Je veux dire, j’ai décidé de tourner la tête pour affronter celle du masticateur.
Il faut bien avoir à l'esprit que dans ce cas, la première personne que l'on voit, ce n'est pas celle qui à la tête posé sur votre épaule.
On balaie un ensemble de personnage pour arriver à notre cible.
Et, au fur et à mesure de ma progression, je me suis décomposé.
La première personne que j'ai vu, mastiquait ... la suivante aussi ... et ainsi de suite ... 8 en tout !
En fait, pour arriver au soliste de mon oreille, je me suis tapé 2 quatuors en Chewing-gum majeur.
Nous rappelons à notre aimable clientèle qu'un wagon mastication est disponible en voiture 4.
Je n’ai rien dit.
J'ai revissé ma tête sur mes épaules, et j’ai regardé droit devant moi.
On quittait le quai blanc d’une station, pour le noir obscur d’un tunnel et moi j’étais vert.
Voila l'histoire dans son contexte madame la Juge,
Il faut me comprendre. Je pense donc que je ne peux pas être jugé pour attouchement ni perversion dans un lieu publique, j’essayais juste de récupérer nerveusement mon casque en aveugle dans ma sacoche.
Verdict attendu en début de semaine prochaine.