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Billet de blog 14 février 2012

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Les parasites autour de Hrant Dink

L’assassinat de Hrant Dink a pris une tout autre envergure. Hrant Dink n’est plus Hrant Dink, mais un moyen d’atteindre un objectif d’ordre plus général. Dans un premier temps, Hrant a été qualifié de « laïc de gauche » permettant ainsi de discréditer les liens affectifs que celui-ci avait tissés avec la société. Ainsi, Hrant Dink  a été transformé en personnalité constituée sur la base de la société d’une part, et d’autre part en héros à l’extérieur à cette même  société.

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L’assassinat de Hrant Dink a pris une tout autre envergure. Hrant Dink n’est plus Hrant Dink, mais un moyen d’atteindre un objectif d’ordre plus général. Dans un premier temps, Hrant a été qualifié de « laïc de gauche » permettant ainsi de discréditer les liens affectifs que celui-ci avait tissés avec la société. Ainsi, Hrant Dink  a été transformé en personnalité constituée sur la base de la société d’une part, et d’autre part en héros à l’extérieur à cette même  société.

Puis dans un deuxième temps, l’État a laissé place au gouvernement élu. Étant donné que l’axe de la lutte pour la liberté se construit sur la base de l’opposition à l’AKP,  en clamant que les procès en cours sont infondés, l’Ergenekon (état profond turc) tente de relancer l’État.

Toutefois, cette attitude qui peut être considérée comme « idéologiquement immorale » transforme Hrant en une existence vide, uniquement basée sur des stéréotypes.

Ce procédé consistant à transformer la mémoire de Hrant en un instrument au profit de la gauche en Turquie, n’est rien d’autre que d’instrumentaliser un évènement étant censé susciter un certaine retenue et un profond respect, afin d’en tirer un quelconque bénéfice. La dernière attitude en date de ce type, s’est manifestée sous la plume de la chroniqueuse Ece Temelkuran. L’article de Temelkuran publié dans le Guardian, a été sans le moindre doute bien accueilli par les milieux laïcs.

Cependant, pour les personnes familières avec la Turquie, avec le désir d’entendre sa foi, cet article qui est une combinaison d’une perception et d’une compréhension biaisée ne méritant pas d’être désigné autrement que comme un article corrompu.

Temelkuran a intitulé son article : « Les journalistes turcs ont très peur, mais nous devons lutter contre cette menace ». Par ces mots nous comprenons bien que Temelkuran se pose comme un exemple de courage tentant d’indiquer la marche à suivre à ses collègues. Or malheureusement, cet intitulé a fait mauvaise presse donnant lieu à une drôle d’analyse. Selon cette analyse, l’expulsion de Temelkuran de Habertürk, serait le résultat de pressions du gouvernement autour de l’assassinat de Hrant. Selon les écrits de Temelkuran, l’entité ayant fait suivre Hrant et commanditer son assassinat ne serait autre que le gouvernement.

Concernant l’affaire Ergenekon, Temelkuran ne la présente bien entendu  pas comme un complot à l’instar de ce que révèlent les aveux qui ont été faits à ce sujet, ou bien les efforts pour remettre en cause la légitimité du parti AKP et prend soin de ne pas mentionner les autres meurtres. Bien au contraire, elle présente l’Ergenekon comme une « revendication », et laisse entendre qu’il s’agit d’une tentative de diffuser de fausses allégations afin de « semer le chaos et de préparer le terrain pour fomenter un coup d’État ». En résumé, par ses propos, Temelkuran  présente des idées alimentant des thèses ultranationalistes qui ne sont en fin de compte pas tellement éloignées de l’idéologie d’Ergenekon. Même pour « errer » au sommet de cette fondation corrompue, il y a eu besoin d’un pont pour passer d’une réalité à l’autre. Temelkuran emprunte un pont similaire, notamment concernant l’arrestation d’Ahmet Sik et de Nedim Sener. Temelkuran, va même jusqu’à affirmer que concernant l’assassinat de Hrant seul, il s’agit des deux seuls journalistes s’étant donné la peine d’analyser la situation et d’enquêter sur les véritables évènements ayant eu lieu en coulisse.

Passons outre cette erreur fondamentale, mais dans son livre, Sener donne l’impression de protéger non seulement certains politiciens, mais aussi l’armée tout entière. Tandis que le livre de Sik n’a en réalité rien à voir avec cette question, puisqu’il a été à la base écrit pour prouver l’impact du mouvement Gülen sur l’État. Sener n’est pas inculpé à cause de son livre, mais à cause d’un livre écrit par Hanefi Avci. Ce qui pose problème, c’est que ces ouvrages semblent quelque peu servir les intérêts des cercles Ergenekon, mais en réalité nous ne parvenons pas vraiment à démêler le vrai du faux. Cependant, la question principale concernant ces deux personnes, ne porte pas sur leurs idées ou relations politiques. Si les paroles des deux journalistes - Sener a été arrêté en criant « pour Hrant » et Sik en disant « qui touchera se brûlera », ne sont pas forcément des exagérations démontrant à quel point ceux-ci sont imbus de leur personne, elles mettent tout de même en évidence les faiblesses de leur monde intérieur.

Nous ne pouvons sous aucun prétexte approuver le jugement des deux journalistes. Les raisons du licenciement de Temelkuran devraient être partagées avec le public et il est important que ces raisons soient justifiées. Mais se servir de cette situation pour en faire des instruments idéologiques et utiliser Hrant en guise d’instrument idéologique de victimisation est profondément immoral. Car non seulement la vérité est foulée, - tout comme la vie de cette personne cruellement assassinée, mais comme si cela ne suffisait pas, on se sert de cette figure afin de reconstituer une vérité de toutes pièces.

En attendant, le livre écrit par  Temelkuran ne manque pas d’inclure ce que souhaitait écrire Hrant et notamment quelques remarques embarrassantes du Ministère de l’Intérieur. Par ce procédé, le parti AKP est rabaissé au rang de simples ministres tandis que celle-ci se positionne au niveau de Hrant.

Apparemment, les journalistes « turcs » n’ont pas aussi peur que ça. Au contraire, ils sont particulièrement courageux. Il y en a même qui n’hésite même pas à aller franchir la frontière afin de manipuler les perceptions à l’extérieur du pays.

Etyen Mahçupyan

Rédacteur en chef du journal Agos

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