Démocratie et Poésie.
L'idéal de la Poésie est démocratique, l'écriture de poèmes ne l'est pas, car ce que l'on appelle le talent, voire pourquoi pas le génie (pas toujours si éloigné du précédent qu'il ne le laisserait croire), demeure un « processus », une maturation, un travail bien entendu (non reconnu par la société retardataire, massive !), une alchimie alliant les reflets, les jeux et les énigmes du corps et de l'esprit, du sang et de la pensée, de la parole et de ses actes... Ce cheminement reste encore, en 1995, le lot du « traditionnel poète ». La guerre n'est pas disparue de nos horizons, et l'Idéal de paix, de démocratie ici-bas reste, sur cette terre de souffrances – pardonnez-moi d'utiliser ces termes, ces expressions peu modernes – un rêve, eh oui, une utopie progressiste. La réalité : cent kilos de dynamite par habitant « tête de pipe » sur la planète (l'individu reste à naître...). Que faire ?
Dans le courant du monde, immergé, le poète écrit des poèmes. Seul. Ses immémoriaux désirs de paix ne peuvent passer que par là.
Chacun a un droit démocratique à la poésie, dans l'esprit de ceux qui le veulent, mais les puissances du Réel sont toutes autres et travaillent contre ces volontés. Il fallait en effet pour ces temps trop masqués une poésie sans émotion, une poésie de clercs (fût-elle jamais autre que par retrait ?), en tout cas retirée du peuple, fonctionnant d'abord pour l'intérêt bien compris de ses auteurs ; il fallait une poésie de tradition française, ésotérique mais vidée d'ésotérisme... Et nous sommes là aux antipodes de tout esprit démocratique, bien sûr. L'alexandrisnisme n'a jamais nourri les adolescents fiévreux mais les courtisans et les chambellans obèses.
Qui ne partagerait pas la volonté de voir la Poésie revenir à son essence ? Mais les forteresses sont là, et les clairons et les canon font rage de toutes parts. Il faut des vagues de guerriers pour déranger ces mastodontes d'établis ! Il faut des bataillons suicides encore pour effleurer d'une piqûre ces géants à la tête plus vide qu'une étymologie...
Il faut aussi, surtout, un sentiment plus fort que l'humanité n'a encore jamais connu. Seul celui-là peut répondre à l'abîme et au fonds de commerce de l'ésotérisme nihiliste.
Gérard Lemaire 1995
publié dans « La Cigogne » n°27 septembre-octobre 1995, « le seul journal littéraire qui colle à l'actualité... », revue belge, éditeur responsable : Bernard Godefroid, débutée en 1991, jusqu'à la mort de cet éditeur en 2016