À l'ombre des égoûts
L'Anémone chatoyante de Rilke ne s'ouvre pas
Ses larges pétales éclatants se sont refermés
La lumière ici a une odeur d'eau puante
Mais la fleur ne s'invite pas à mourir
Elle vibre sous les détritus qui veulent l'accabler
Ô le « muscle floral » dans le long souterrain pestilenciel
À l'air libre quel hymne inconnu aurais-tu chanté
Des enfants voyous jouent sur les pentes
Ils pataugent pour faire un pont sur les courants nauséeux
Ici peut-être le jeu deviendrait possible
Les latrines à ciel ouvert déversent un flot inerte
Ce qui semble perdu ferait une peur raisonnable
Choc mirliton dans une cabane musicienne
Gérard Lemaire 2015 (ou 2016)
................
V
Muscle floral, ouvrant à l'anémone
par lents degrés le matin des prairies,
jusqu'à ce qu'en son sein les cieux déversent
leur clarté, leur pleine polyphonie,
muscle tendu de l'accueil infini
au cœur silencieux de cet astre en fleur,
accablé parfois de tant d'abondance
que c'est à peine, au signal du couchant,
si les plus loin rebords de tes pétales
peuvent alors se replier vers toi :
force et décision, toi, de tant de mondes !
Nous, les violents, nous durons plus longtemps.
Mais quand, dans quelle existence entre toutes,
nous ouvrons-nous enfin pour accueillir ?
Rainer Maria Rilke Sonnets à Orphée, deuxième partie