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Billet de blog 17 avril 2023

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Comme il vous plaira de Pierre-Alain Leleu : 1599-2023, la satire parle aux satyres

Adaptée sans prendre une ride, avec la verve et l’humour qu’on connaît de Pierre-Alain Leleu, la vieille comédie shakespearienne “Comme il vous plaira” renouvelle judicieusement sous nos yeux ébahis les thèmes éternels de l’amour en temps de guerres fratricides. Le brio de la mise en scène de Léna Bréban emporte et réjouit malgré les angoisses générées par nos temps de forte violence politique.

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https://www.theatrelapepiniere.com/comme-il-vous-plaira.html

En voyant la pièce jouée par la troupe de la Pépinière, on ne peut s’empêcher, quand on est pris par les évènements de notre actualité*, de penser à la fin de cette video contemporaine traitant de la surdité des pouvoirs en place dans nos pays :

* (ou, pire ! quand on sait les délices avec lesquels les tenants de l’ordre républicain se maquent bras dessus bras dessous aux ennemis néo-nazis de la république)

NI POÈTES NI AMOUREUX, LES PUISSANTS

Illustration 1
Puissants et Poètes amoureux © Contre Attaque

Comme il plaît à la comédie

Échapper à l’emprise des puissants est l’un des ressorts premiers de toute intrigue. Dans le peuple, il arrive que s’aiment les gens au sein des populations, difficilement, mais toujours en dépit des méchants qui ordonnent notre monde et dont l'ostracisme nous rejette aux affres de la déchéance, de l’isolement et de l’abandon. Ce n’est pas d’aujourd’hui que la fascination des puissants se double de son revers intrinsèque : le mépris des défavorisés. Des misérables. Au spectacle, l’action devant nos yeux a beau jeu de nous projeter vers l’autre scène, omniprésente celle-là, et inévitable, qu’on suppose celui des corruptions de cour, des guerres de palais, des tyrannies sociales et domestiques et que l'on doit supporter à se laisser pousser à l’errance du bannissement et à la précarité de la clandestinité avec les plus faibles et les catégories matériellement démunies. À la misère, la déchéance et la mort.
Dans ce contexte, la mise en scène de Léna Bréban élude le caractère tragique des réalités triviales et pointe subrepticement non pas l’ironie mais le travestissement d’êtres visant sinon à se réconcilier avec leur cercle d’origine ou à le fuir, du moins à se réconcilier avec leurs propres élans premiers, à reconnaître leur intégrité, à s’accorder la paix avec soi, un minimum d’harmonie avec l’autorité de nos proches et avec la diversité qui nous entoure.

Comme il plaît aux amours hétéros

Chorégraphiée à une cadence extrêmement soutenue, sans aucune pause ni altération, la direction d’acteur exacerbe les prouesses physiques et oratoires masculines, voire masculinistes, pour mieux les tourner en dérision à travers le faire-valoir des exclamations féminines, leurs fréquents « Ouhaoo ! » en chœur, leurs extatiques rythmiques chantant l’obsessionnelle force du mâle sur elles (“contre, tout contre”), leurs affolements difficilement retenus et la nécessaire ingénuité des ressorts pour échapper un tant soit peu honorablement au pouvoir impérieux exercé sur leurs pensées.

Comme il plaît au genre

Les partis-pris de la metteuse en scène propulsent l’enthousiasme. Non seulement ses partis-pris reposent sur l’utilisation des costumes atemporels et d’accessoires modernes, la culture pop et les références populaires, dont les effets de familiarité et de distance anachroniques emportent l’adhésion du public, mais ils mettent surtout en valeur ici le rôle des femmes dans les sociétés virilistes, patriarcales, excluantes, les nécessaires stratégies d’évitement et de travestissement des plus faibles. Avec le personnage central de Rosalinde, surtout, Léna Bréban s’accorde l’occasion d’écorner les normes de genre, les assignations sexuées, la typification homme/femme ; il en ressort un miroir “reformant” autour des questions relevant de l’identité personnelle, de sa reconnaissance par les autres, et de la naissance du sentiment amoureux, sa pertinence, ses épreuves pour s’en affranchir ou mieux le cerner.

Comme il plaît à la tradition romanesque

La satire adaptée par Pierre-Alain Leleu éclaire trois trajectoires amoureuses, toutes trois hétérosexuelles selon la doxa : au centre, le couple principal, des héros Rosalinde-Orlando qui veulent résister à la supposée maladie d’amour dont il faudrait guérir et se guérir mutuellement ; en périphérie, d’une part le couple faire-valoir Célia-Olivier à qui un seul attouchement suffit pour ne jamais plus se lâcher (du moins le temps de finir le spectacle), et d’autre part le couple banal Audrey-William qui se court après, sans savoir que faire de l’ambivalence des impressions d’attrait et de répulsion dont chaque partenaire devient tour-à-tour victime et bourreau.
Même peu crédible, le happy-end qui conduit à la réconciliation finale apparaît comme un idéal à atteindre. Dans le cadre étroit d’une satire bucolique, on peut difficilement aller plus loin, les réalités du monde sont en effet rapidement esquissées au théâtre.

« Tout l’univers est un théâtre »

On attendait le morceau de bravoure dans le discours de l’exilé Jacques (« All the world’s a stage » en anglais) dont on sait qu'il évoque sept étapes de la vie humaine comparées à des rôles joués sur scène. Jacques décrit sept âges de l’homme : nourrisson, écolier, amoureux, guerrier, juge, vieillard et… la seconde enfance. Pierre-Alain Leleu s'en tire avec finesse au milieu de joyeux drilles réfugiés dans les bois. Au-delà de sa vision pessimiste et ironique de l’existence, ce trait mélancolique contraste avec la joie et l’optimisme des autres personnages de la forêt, tout en préparant la réconciliation finale qui sera évoquée aux protagonistes dans la dernière scène par le personnage du messager-conteur.

Shakespeare mélangeait (allègrement) les registres ; son adaptateur Pierre-Alain Leleu, également porteur du rôle du bouffon “Gratte-Caillou” (en kilt) et du seigneur en exil Jacques, mêle gaillardement la romance et la pastorale à la satire : jeux de mots coquins, antithèses complexes, paradoxes vertigineux… ce qui aboutit à une folâtre envolée de toute l’équipe, dynamique, vive et alerte, athlétique et ludique. À noter que le terme “Gratte-Caillou” est un équivalent tout-à-fait approprié pour restituer le “Tuch Stone” shakespearien.

Illustration 2
Billet doux amoureux d'Orlando répandu en forêt © Léna Bréban / Pierre-Alain Leleu

TOUT FINIT EN CHANSONS

« Nous avons toute la vie pour nous amuser, nous avons toute la mort pour se reposer » entonnent les comédiens en conclusion de l’épilogue dit par Rosalinde. C'est aussi surtout que la musicalité est la règle de ce spectacle. Tout y est réglé comme du papier-musique. En cela, Léna Bréban a su créer un spectacle festif, enlevé et scandé de chants fonctionnant en repères introductifs ou en chutes épicuriennes. L’ensemble qu'elle organise de manière orchestrale met en valeur non seulement le texte de Shakespeare et son adaptateur, mais aussi les talents des comédiens au service de la pièce. Elle a choisi une scénographie modulable, inspirée du théâtre de tréteaux, qui permet de passer facilement d'un lieu à un autre. Elle a également intégré des chansons originales, composées par Victor Belin et Raphaël Aucler, qui rythment la pièce et soulignent les émotions des personnages. Elle a dirigé une troupe d'acteurs talentueux, dont Barbara Schulz dans le rôle de Rosalinde, qui a reçu le Molière de la comédienne en 2022 . Sa mise en scène a été récompensée par le Molière du théâtre privé la même année.

Parmi les chansons utilisées, le web nous fournit ces titres :

Lena Bréban utilise aussi des musiques originales composées par Pierre-Alain Leleu et interprétées par les comédiens eux-mêmes, qui jouent de la guitare, du violoncelle, du piano, du ukulélé, de la flûte ou du tambourin. Ces musiques accompagnent les scènes de la forêt des Ardennes, où les personnages chantent des chansons pastorales ou satiriques écrites par Shakespeare. 

Nombreuses allusions à la crise sanitaire, à la politique, à la mode, au cinéma, etc. Le doublet créé avec l’adaptateur Pierre-Alain Leleu permet de mettre en relation le cadre de la pièce (le XVIe siècle) et les préoccupations actuelles des spectateurs. Parce qu’ils sont enjoués, les intermèdes musicaux composés par Victor Belin et Raphaël Aucler rythment la pièce et soulignent les émotions des personnages. Variant les styles rock, pop, rap et jazz, l’équipe théâtrale déploie ses talents autant pour la musique que pour l’art dramatique.

ADAPTER COMME IL VOUS PLAIRA

Dans “Comme il vous plaira” Pierre-Alain Leleu se révèle un adaptateur à la fois respectueux et inventif. Il respecte le texte de Shakespeare, sa structure, ses personnages, ses thèmes et son humour. Il en conserve la plupart des répliques originales, en les traduisant en français moderne et en les adaptant au contexte actuel. Il ne modifie pas l’intrigue ni le dénouement de la pièce. Il élude avec parcimonie les longueurs dans les passages originaux parfois trop complexes ou inutiles ; il ajoute au contraire quelques lignes de sa main permettant d'éclairer les situations ou approfondir certains traits des personnages, leur fournir une cohérence plus appropriée à l’ensemble. Incontestablement, il fait travail d’'auteur à part entière. Avec la presse unanime à son sujet, on peut lui reconnaître d’avoir su habilement rendre hommage à l’œuvre du dramaturge anglais, en soulignant sa richesse et sa profondeur.

L’inventivité de l’adaptateur français ne se borne pas à transposer la pièce dans un autre langage et une autre époque. Il y ajoute un peu de sa touche personnelle, son regard, son interprétation, en osant des dialogues supplémentaires permettant d’éclairer les motivations ou les sentiments des personnages. Il introduit des références culturelles ou historiques qui rapprochent la pièce du public contemporain.

Une inventivité où brillent l'illogisme et l'absurde, le non-sens, les défis de la raison et de l’entendement, autant dire : une articulation mathématique aussi bien que linguistique. L’interprétation générale de la troupe se ressent de cette inventivité à travers ses jeux de mots qu’il a le talent d’allier aux sonorités, aux rythmes et aux effets comiques. Originalité et créativité, pas un critique ne contestera ces qualités chez « P-A.L ».

Son style est donc un équilibre entre fidélité et liberté, entre tradition et modernité, entre admiration et audace. Il réussit à faire vivre la pièce de Shakespeare à travers son propre langage et sa propre sensibilité.

La mise en scène de Léna Bréban rajoute de la fête à un texte déjà festif, ce qui conduit naturellement à un travail de passion, de rigueur et de plaisir, justement récompensé par quatre Molières en 2022 : celui du théâtre privé pour la mise en scène de Léna Bréban, celui de la comédienne pour Barbara Schulz, celui du comédien dans un second rôle pour Pierre-Alain Leleu et celui de la comédienne dans un second rôle pour Ariane Mourier.

INFOS SUPPLÉMENTAIRES GLÂNÉES SUR LA TOILE

Le prix du Brigadier 2022 a été décerné le 7 février 2023 au Théâtre des Bouffes-Parisiens, qui a récompensé deux événements théâtraux de la saison :

  • La pièce “Comme il vous plaira” de William Shakespeare, adaptée par Pierre-Alain Leleu et mise en scène par Léna Bréban, qui a été saluée pour sa fraîcheur, sa modernité et sa fidélité à l’esprit du dramaturge anglais. La pièce a été jouée au Théâtre de la Pépinière à Paris, puis en tournée dans toute la France.
  • Le spectacle “Le Sale discours” de David Wahl, applaudi pour son originalité, son intelligence et son humour. Ce monologue sur l’écologie mêle science, poésie et absurdité. Il a été présenté au Théâtre du Rond-Point à Paris, puis au Festival d’Avignon.

Le prix du Brigadier est une des plus anciennes récompenses théâtrales en France. Il est fondé en 1960 par l’Association de la Régie théâtrale. Il est décerné à ce qui est considéré par son jury comme l’événement théâtral de la saison, ou à ceux qui contribuent à celui-ci. Il peut ainsi couronner un spectacle, un auteur, un comédien, un metteur en scène ou un décorateur. Le nom du prix fait référence au brigadier, bâton qu’utilise le régisseur pour frapper les trois coups annonçant le début de la représentation théâtrale1.

http://police.unsa.org/les-essentiels/article/grilles-indiciaires

https://www.culture-tops.fr/actualites/prix-du-brigadier-2022

Illustration 3
Comme il vous plaira © François Fonty : La Pépinière

La troupe prévoit de continuer à jouer ce spectacle à Paris et province pour la rentrée d’automne 2023. Quelques annonces :

La pièce sera à l’affiche du Théâtre de la Porte Saint-Martin à Paris, du 5 septembre au 31 décembre 2023. Représentations du mardi au samedi à 20h30 et le dimanche à 16h.

La pièce sera également en tournée à Lyon, Bordeaux, Toulouse, Nantes, Lille, Marseille, etc. Dates et lieux exacts annoncés prochainement sur le site du Théâtre de la Pépinière, qui produit le spectacle.

La pièce a été sélectionnée pour participer au Festival d’Automne à Paris, du 15 septembre au 15 décembre 2023. Ce festival est un rendez-vous culturel majeur qui propose chaque année une programmation pluridisciplinaire et internationale dans le domaine des arts vivants. La pièce sera présentée dans le cadre du cycle “Shakespeare aujourd’hui”, qui met en lumière les adaptations contemporaines des œuvres du dramaturge anglais.

Dossier de presse : https://www.theatrelapepiniere.com/wp-content/uploads/2022/10/DP-COMME-IL-VOUS-PLAIRA.pdf

https://sortir.telerama.fr/evenements/theatre/comme-il-vous-plaira-1-828876.php

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