Demain, 2021, peut-être l’année où je tomberais amoureuse, moi qui n’ai pas été amoureuse depuis si longtemps. Il passera sa main dans mes cheveux, je lui demanderai de me lire dans son meilleur allemand qu’il ne parlera peut-être pas mes poèmes préférés de Celan, nous irons faire de longues balades avec Hélium juste avant d’aller nous réchauffer avec un bon café, il sera celui qui criera le plus fort pour m’encourager pour mon premier semi-marathon et nous irons danser, oui nous irons danser la salsa le dimanche soir, comme tous les dimanches... et puis un jour nous aurons peut-être envie de vivre ensemble, va savoir...
Mais si pour toi cela sonne pour banal, il n’en sera pas de même pour moi. La différence entre toi et moi ? Peut-être le fait que je suis handicapée et que tu ne l’es pas. Je suis aujourd'hui malvoyante et pour m’indemniser d’avoir été la victime du doigt aveugle du destin, certains aiment l’appeler Dieu, je touche pour vivre l’Allocation Adulte Handicapé. Enfin, pour être plus précise, je devrais plutôt dire que pour cacher vulgairement sous un gros tapis tissés des fils de l’arrière-pensée caritativo-judéo-chrétienne et d’une pseudo politique sociale soigneusement évidée par l’idéologie capitaliste les violences systémiques de notre société validiste qui fait que les personnes handicapées sont les premières discriminées, que nous sommes tenues à l’écart du travail, des interactions sociales, que nos compétences sont jugées douteuses, que nos corps et nos vies sont jugées indésirables, que 80% des femmes handicapées ont été, sont, ou seront victimes de violences sexistes ou sexuelles, pour cacher tout cela et pour faire face tous les jours aux imbéciles, aux ignorants, aux prosélytes de bonne foi et aux agresseurs, je touche l’AAH, oui. Pour essayer de vivre ma vie la plus autonome possible dans cette société validiste oppressive et discriminante je touche l’AAH et c’est bien là, malgré tout, la seule et maigre reconnaissance de ma situation de handicap.
Mais alors si demain j’étais amoureuse, si demain je souhaitais vivre avec celui qui sera tombé fou sous mon charme ? Dis-toi simplement que le cas serait fait de mon individualité, de mon autonomie, et que, comme aux belles heures des années 30 je me verrais reléguée en personne à charge et dépendante de mon conjoint. Pas besoin d’être mariée ou pacsée, vivre ensemble seul suffira pour amputer mon AAH en fonction des revenus d’un autre. Je devrais abandonner par amour mon autonomie financière et avec elle ma dignité, ma liberté, et lui devra accepter par amour de partager ses revenus. Je deviendrais invisible, subordonnée, assujettie, emprisonnée dans un rapport de domination que ni lui ni moi n’auront choisi mais qu’une loi arriérée aura choisi pour nous. Si je devais vivre avec mes parents, mon AAH ne serait pas recalculée en fonction de leurs revenus, si je touchais une pension d’invalidité, ma pension ne serait pas recalculée en fonction des revenus de mon hypothétique amoureux mais obstinés dans leur violence administratives qu’ils sont, hypocrites et détachés du poids du choix qu’ils nous obligent à faire, gouvernement après gouvernement, mandature après mandature, députés et sénateurs se tiennent la main pour refuser de réformer une évidente absurdité de la loi alors même qu’ils ne se font pas prier pour tailler dans le vif de nos droits, pour financer l’auto-reproduction bourgeoise et pour ménager toujours plus les plus riches.
Qui donc peut avoir envie de se trouver aux prises avec un pareil choix dans sa vie, franchement ? Peut-être vaudrait-il mieux que je ne tombe pas amoureuse en 2021 finalement... ou peut-être faudrait-il mieux que toi comme moi tu te révoltes ? Qu’avec moi, qu’avec nous tu fasses nombre, qu’en dis-tu ?
Alors pour faire pression ensemble sur l'Assemblée nationale, c’est par ici : https://petitions.assemblee-nationale.fr/initiatives/i-358