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Billet de blog 3 décembre 2018

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Monsieur Macron, je vous fais une lettre

Monsieur Macron, je vous écris cette lettre, sachant pertinemment que vous n'en ferez rien. Vous ne la lirez même pas. Et vous avez raison, Monsieur le Président : qui suis-je, petite blogueuse insignifiante pour oser vous adresser la parole, fût-ce par le canal numérique ? Une rien, ou presque.

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Illustration 1

Monsieur le Président : qui suis-je, petite blogueuse insignifiante pour oser vous adresser la parole, fût-ce par le canal numérique ? Une rien, ou presque. Mais, cependant, une qui en connait beaucoup, d'autres riens ou presque, de ceux qui se sont mis très en colère parce que vous alliez encore augmenter les taxes sur le gas-oil, ou de ceux qui n'ont plus l'énergie de se mettre en colère et qui souffrent, ou de ceux qui auraient besoin que vous traversiez la rue pour leur trouver du travail... Je rappelle d'ailleurs que dans votre formule si piquante, c'est vous qui proposez de traverser la rue pour trouver un emploi au chômeur qui vous interpelle : je comprends donc que c'est ça, votre solution au chômage, votre engagement personnel à trouver un emploi grâce à quelques allers-retours présidentiels sur les passages protégés entourant l’Élysée.

Bon, mais je m'égare, j'ai des choses à vous dire, Monsieur le Président. Et, d'abord, que vous vous trompez. Mais alors vous vous trompez dans des dimensions qui feraient douter de votre intelligence, si celle-ci n'avait pas éclaté dans la façon dont, parti de pas grand-chose et depuis pas longtemps, vous avez su obtenir en peu de mois l'onction présidentielle avec un score presque plébiscitaire qui ferait pâlir d'envie tout prétendant au trône. Score qui vous a donné le pouvoir absolu en favorisant une chambre à votre botte.

Donc vous vous trompez. Sur quoi ? Sur ce que c'est que gouverner. Avec l'aide de vos amis du CAC 40, vous avez réussi une sorte de putsch, favorisé par les médias qui ont complaisamment fait monter la candidature de M. Le Pen, et ridiculisé J.-L. Mélenchon. Fort opportunément, F. Fillon s'est empêtré dans une histoire de costumes et B. Hamon a décidé de se maintenir malgré des sondages très négatifs. Et vous avez trouvé de l'argent chez un petit nombre de très généreux donateurs, tout en mettant en avant le grand nombre de vos petits donateurs. Franchement, cela a été du grand art.

Depuis, comme prévu, vous avez endossé le costume de Président : de façon un peu royale, certes, jupitérienne, même, mais vous êtes persuadé que les français aiment ça.

Ça, c'est une de vos erreurs. C'est votre côté vieille France, version Vuitton. Certes, tous les peuples ont une nostalgie de gloire passée associée à un ou plusieurs grands hommes. Mais les français, s'ils aiment leurs rois, c'est pour mieux leur couper la tête... Qui aime bien châtie bien (vous voyez bien que j'en fais partie, de ce peuple juste capable d’ânonner des proverbes...).

Bref, je continue. Vous voilà donc Roi, euh, je veux dire Président. Et vous commencez votre règne en faisant aux très riches les cadeaux qu'ils attendaient, et que, peut-être, vous leur auriez promis contre leur soutien financier et médiatique : je veux parler de la suppression de l'ISF, et de la transformation du CICE en crédit d'impôt aux entreprises sans contreparties en terme d'emploi pour les salariés (sans compter que les deux mesures s'additionnent au niveau du budget 2018, quand on aime, on ne compte pas...).

Cette appétence pour le bling-bling, dont le repas du soir du premier tour, assez inélégant puisque vous n'étiez pas encore élu (mais vous, vous saviez que l'élection se jouait au premier tour) a donné une idée, a inauguré une suite de repas plus protocolaires, mais aussi plus prestigieux, puisque, Monsieur le Président, votre sens aigu de la dignité présidentielle vous fait désormais rencontrer vos homologues dans de très glorieux palais de la République. De même, j'ai appris récemment que, outre la vaisselle Élyséenne que vous changez à grand frais, vous redécorez ce palais à la décoration, selon vous, vieillotte. Et avec l'aide de Madame apparemment, qui semble vous accompagner dans cette recherche de magnificence mobilière.

Cela semble anecdotique ? Peut-être. N'ayant pas eu l'heur d'être invitée à l’Élysée, je n'ai pas pu souffrir du côté ringard de la décoration du lieu. Mais c'est une erreur de montrer au peuple que l'on utilise le temps présidentiel à installer son luxe, tandis qu'on lui demande à lui de faire chaque jour davantage d'efforts financiers. Louis XIV faisait ça, certes, mais, à l'époque, la grandeur du Roi éclairait un peu ses sujets. De nos jours, ce sont les amours de Kim Kardashian et Cie, ou les vidéos de youtubeurs connus, qui éclairent le bas peuple, et ces derniers font bien attention, eux, à ne pas mettre en avant la richesse parfois insolente que leur notoriété leur a donnée. La vie privée de nos dirigeants ne nous intéresse que quand elle fait scandale. Or la richesse obtenue par notre suffrage est pour les français un scandale, qui date de longtemps. Une fois qu'un peuple a destitué un roi, c'est toute la royauté qui est tombée avec lui, et pour toujours. Le droit divin, c'est fini. Il n'y a plus que le droit électoral : c'est plus sévère, mais plus juste, et le fait que, comme tous les français, il peut m'arriver de feuilleter Point de vue chez ma coiffeuse ne veut pas dire que j'éprouve une nostalgie louche de l'ancien régime mais, au contraire, que je déguste, en voyant ces personnes censées être plus que moi parce que nobles, le plaisir sans nom de l'égalité républicaine.

Donc les gilets jaunes. Je pourrais dire « Gilets jaunes » parce que, pour le coup, il y a de la noblesse, dans ce mouvement.

Pourquoi se sont-ils mis en colère, d'après vous, Monsieur le Président ? Parce que les français sont rebelles au changement ? Ou parce que l'augmentation de la taxe sur le gas-oil, présentée comme une mesure punitive pour utiliser un combustible polluant, et une mesure écologique parce que 19% de la taxe allait (peut-être) être utilisée pour la transition écologique, a été la goutte qui a fait déborder un vase que vous ne saviez pas plein ?

Vous aurez compris, je l'espère, que je penche pour la deuxième hypothèse.

C'est le problème, avec la manipulation : celui qui manipule finit toujours par mépriser le manipulé, qu'il méprise même parfois dès le départ. Ce qui le conduit à ne plus avoir aucune objectivité dans la détermination du moment où il est sur le point d'aller trop loin.

De plus, on peut considérer qu'il existe une certaine ivresse de la manipulation. Comme on se sent puissant quand on soumet une foule par la seule force de son verbe ! Plus quelques sourires de connivence et quelques mains sur l'épaule à la pression soigneusement pesée, sans compter quelques manigances discrètes et jeux de services rendus bien calibrés. Et quelques arrangements astucieux pour que les inévitables trahisons n'aient pas de conséquences graves.

C'est une ivresse qui a besoin, pour se maintenir, d'aller chaque jour plus loin. Sinon, le plaisir s'affadit et, surtout, les manipulés pourraient réaliser leur déconfiture. C'est pourquoi ces techniques de communication interpersonnelle ont pratiquement toujours tendance à s'étendre : il faut multiplier les actions, les faire se succéder à un rythme rapide, sans pause, et sans que quiconque ne puisse se retourner. C'est l'accession au pouvoir de Louis XIV, celle de Bonaparte ou la Longue marche de Mao (vous voyez que je choisis d'illustres exemples).

En marche. Vous voyez l'idée ? On pourrait dire aussi : fixer un cap, et le suivre, indépendamment de tous les freins que de pauvres inconscients pourraient tenter de mettre sur la route de celui qui sait...

Le problème du manipulateur, c'est qu'il se manipule lui-même. Or, quand celui-ci obtient le pouvoir, à quelque niveau que ce soit, il finit souvent par n'être plus entouré que par des gens qui ne lui ouvrent pas les yeux sur la réalité de l'autre, et sur les conséquences de la manipulation, soit parce qu'ils ne la voient pas eux-mêmes, soit parce qu'ils savent que cela va les conduire à être exclus.

Je vous ai perdu ou vous suivez toujours, Monsieur le Président ?

Donc, les gilets jaunes.

Les gilets jaunes, c'est le peuple, celui des campagnes et des banlieues, celui qui gagne à peine sa vie alors qu'il travaille, parce qu'il a tellement de frais qu'il a l'impression de ne travailler que pour payer des taxes et des dépenses contraintes.

Celui qui était content d'avoir une voiture, mais qui a dû faire des réparations non prévues dans son budget serré parce que le nouveau contrôle technique les lui a imposées. Tandis qu'il devine que bientôt sa voiture sera considérée comme trop vieille pour rouler alors qu'il n'a pas les moyens d'en acheter une autre, et qu'il ne peut pas vivre sans sa voiture : ni travailler, ni accompagner ses enfants, ni faire des courses, ni aller voir des amis...

Les gilets jaunes ne sont pas le sous-prolétariat : le sous-prolétariat n'a pas de voiture. C'est le Français moyen.

Vous êtes fort, Monsieur le Président, en fait, car vous avez prétendu n'être ni de droite, ni de gauche, et c'est vrai : vous êtes seulement pro-business, c'est là votre colonne vertébrale idéologique, et même, pro-finance. Mais, maintenant que cela se sait, partout ou presque en France, vous avez réussi à réconcilier ces deux courants, la droite et la gauche s'unissant contre une vente à la découpe de notre démocratie au capitalisme financier par l'intermédiaire d'une Commission européenne, et d'un FMI, aux ordres de celui-ci. Je ne dis pas que la droite est pure vis-à-vis du capitalisme, ce serait idiot. Mais le nombre de ceux qui se revendiquent de ce courant et qui ne verraient pas d'objection à la dissolution de la France dans une Europe fédérale exsangue, aux pays livrés au privé comme aux US, sans filet social, est plutôt faible. En tout cas, ils ne sont pas tous avec vous, loin s'en faut, parce que les chefs d'entreprise savent, par expérience, que le capitalisme financier n'est bon à long terme que pour les capitalistes eux-mêmes, les dirigeants de PME, comme les salariés, faisant partie des maillons faibles pouvant sauter à tout moment.

Il y a des chefs de petites entreprises, chez les gilets jaunes, qui croulent sous les normes et les règlements qui les étranglent. Et qui sont à la merci d'une concurrence déloyale par un grand groupe (sans compter le CETA, le TAFTA qui reviendra un jour, vraisemblablement, etc...). Alors le gas-oil en plus...

Vous vous trompez, Monsieur Macron, parce que, ayant été élu sur une manipulation et pas mal d'opportunisme et grâce à un haut niveau de communication politique, et étant parvenu à faire passer des réformes contestées sans que cela ne crée de vastes mouvements de protestation populaire, vous pensez qu'il suffit de continuer sur ce mode et que cela va marcher. Il n'est pas difficile de constater tous les éléments qui montrent que votre stratégie (et celle du gouvernement) est de diaboliser les gilets jaunes et de les assimiler à des casseurs. Mais c'est faux. Les gilets jaunes, c'est Monsieur et Madame Tout-le-monde, qui ont voté pour vous, souvent, et qui se rendent compte que, non seulement vous faites une politique contre eux et pour les très riches mais, surtout, que vous les méprisez.

Je suis allée à deux manifestations des gilets jaunes. J'ai fait un billet à propos de la première « Mes 143 copains aux gilets jaunes, lutte des classes et désinformation » ici stigmatisant la désinformation officielle sur l'ampleur du mouvement.

La deuxième, c'était hier. Je dois dire que c'est la première fois de ma vie que je vois la police envoyer des bombes lacrymogènes sur des manifestants paisibles venus en famille, et qui, souvent, n'avaient jamais manifesté de leur vie. Moi-même, j'ai été à plusieurs reprises environnée de ce nuage toxique (dont mes lentilles m'ont bien protégée - je dis ça au lecteur attentif qui risquerait d'être confronté à ce risque...). Peut-être que, devant la mairie de ma bonne ville de Bordeaux, peu révolutionnaire de tempérament, quelque excité faisait des bêtises, je ne sais pas : de là où j'étais, on ne le voyait pas. Mais les grenades lacrymogènes, elles, étaient bien lancées vers nous qui ne faisions rien du tout. Aussi n'ai-je pas été étonnée d'entendre la colère d'une dame, venue là, elle aussi, comme elle le disait « juste pour manifester » et qui était agressée par les « lacrymos ». Elle était furieuse que l'on porte, à son âge, atteinte à son droit de manifester alors que son projet était juste de dire qu'elle n'était pas contente.

Le peuple est mécontent, Monsieur Macron, mais il va l'être plus encore si vous continuez à suivre votre cap, comme vous le dites, droit dans vos bottes, comme si vous aviez affaire à des enfants inconséquents. Si vous laissez la police maltraiter des citoyens innocents.

Un dernier truc. Hier, par deux fois, j'ai vu des casseurs arriver. A chaque fois un groupe de quatre jeunes hommes, mettant cagoule et bonnet, et se préparant à quelque chose qui m'a semblé être de la castagne : « Merde, c'est trop tard », « Si on se fait attraper on se barre »... C'est à peu près ça que j'ai entendu. J'ai hésité à leur conseiller la modération, mais je n'ai pas osé, ils étaient quatre, je suis une femme et je ne savais pas leur degré de détermination. On était sur les bords d'une foule de gilets jaunes tranquilles, avançant en demandant, de loin en loin, votre démission. Je n'ai rien dit (je ne parle pas de la démission...). Pas plus qu'au deuxième groupe, reconnaissable lui aussi au premier coup d’œil.

Mais moi je ne suis pas de la police.

Alors je me pose une question : si moi je suis capable de reconnaître des casseurs faisant irruption dans une manifestation, avant qu'ils ne cassent rien, pourquoi la police n'est-elle pas capable de le faire ?

De tout temps à jamais, il a été dit qu'il y avait des policiers infiltrés qui faisaient exprès de favoriser les violences pour discréditer les manifestations. Franchement, j'espère que ce n'est pas le cas. D'abord parce que ce serait très cruel et injuste. Mais, aussi, parce que, en l'occurrence, cela ne servirait qu'à radicaliser des manifestants qui, a priori, n'avaient pas envie d'en découdre.

Vous avez été élu sur votre charme, Monsieur Macron, et ce charme vous a permis, un temps, de prendre des mesures autoritaires « en douceur ». Mais ce charme n'opère plus, en tout cas plus assez, j'espère que vous l'aurez compris. Alors l'autoritarisme ne peut plus passer que pour ce qu'il est : un abus de pouvoir.

Si vous êtes aussi intelligent que vous pensez l'être, il est temps de réfléchir à ce que c'est que gouverner un pays : pas l'administrer, pas l'emmener dans une direction, mais représenter le peuple qui est souverain.

L'auriez-vous oublié ?

Ce serait dommage... Et, étant donné le contexte actuel, extrêmement inquiétant.

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