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Billet de blog 24 décembre 2018

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Le pouvoir au bout du rouleau... compresseur

"Je vous ai compris" semble dire le pouvoir par des cadeaux votés en urgence. Mais le côté injuste et inapproprié de ces étrennes, et le manque de réponse aux demandes de justice fiscale et de place accrue des citoyens dans le fonctionnement démocratique ne font que mettre en évidence la volonté de faire taire ces derniers pour continuer la néolibéralisation rapide de notre pays.

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Illustration 1
© LB

Nous venons d'apprendre, en cette veille de Noël, que les membres du gouvernement allaient se reposer, fatigués qu'ils sont par une succession de crises (affaire Benalla, Hulot et maintenant Gilets jaunes). Ils vont donc prendre des congés. Moi je dis que c'est bien : le mois de janvier s'annonce rude pour le pouvoir, entre le maintien des mobilisations actuelles, et la rentrée prévue des fonctionnaires dans le mouvement, tandis que les étudiants, ayant maintenant passé leurs partiels, n'ont peut-être pas dit leur dernier mot. Enfin la fort bienvenue taxation à la source, et ses échecs prévisibles, va peut-être donner une conscience politique à ceux qui résistaient jusque-là et continuaient à « donner sa chance » à ce jeune Président, vierge de tout mandat politique et au passé de banquier d'affaires.

Ils sont fatigués, donc, mais nous aussi. Cela fait plusieurs dizaines d'années que les gouvernants successifs détricotent notre démocratie sociale, avec l'accord inconscient de ceux qui votent pour eux. L'Europe nous a été vendue comme une Europe sociale, pour faire bénéficier de nos principes redistributifs les peuples moins avancés que nous de ce côté-là. Las, c'est l'inverse qui s'est produit, et c'est loin d'être un hasard. D'ailleurs, les français ne s'y sont pas trompés, eux qui ont refusé le Traité européen par leur vote, malgré un matraquage médiatique en faveur du « oui » impressionnant, ayant bien étudié et analysé en quoi cette inscription dans le marbre constitutionnel d'une « concurrence libre et non faussée » représentait la fin de la démocratie.

Mais notre démocratie n'était déjà plus qu'un mot creux puisque, sans nouveau vote, le traité est passé quand même un peu plus tard.

Depuis, les citoyens ont pu constater l'évolution législative vers toujours plus d'avantages pour les possédants et la finance, et toujours plus de contraintes pour les citoyens, des plus pauvres d'entre eux aux classes moyennes non supérieures. Et cette évolution se faisant soit au nom de l'Europe, soit sous le prétexte de la mondialisation et de la compétition internationale, soit sous celui d'une normalisation incontournable, soit en faisant miroiter un marché (de dupe) nommé « théorie du ruissellement » : il faudrait que les grosses entreprises fassent beaucoup de bénéfices pour que les pauvres en profitent dans un deuxième temps (remarquez que c'est vrai qu'il doit y avoir plus de place au paradis pour les anciens esclaves des plantations de coton que pour les planteurs sudistes, mais est-on prêts à attendre jusque-là?).

Croyant encore être en démocratie, les français ont espéré que leurs votes allaient changé la donne. Mais de tentative en tentative, ils ont bien pu constater que tous ceux qui avaient le pouvoir continuaient, exactement comme avant, une politique néolibérale détruisant notre démocratie. Et la reddition post-électorale d' A. Tsipras en Grèce ne les a pas rassuré sur ce point. Un grand nombre d'entre eux se sont donc réfugiés dans l'abstention ou dans le vote Lepeniste.

Nombreux sont les citoyens qui savent que la plupart des médias, aux mains des grands groupes, font partie de l'arsenal du Capital pour les conduire à voter contre leurs intérêts. Mais ils sont quand même soumis à la pression de ces informations, discrètement mais systématiquement orientées, qui les soumet à la volonté néolibérale.

Et puis vint Macron

E. Macron s'avère être le plus gros problème que notre pays a rencontré depuis fort longtemps, alors que lui-même s'est présenté comme la solution afin d'être élu à la Présidence de la République.

Savoir utiliser les mécontentements pour se présenter comme le sauveur, alors que l'on est, à la fois un des membres du système que l'on fustige officiellement, et l'instrument-même de l'oppression contre laquelle on prétend lutter, c'est, dans le domaine de la manipulation, du grand art. Nous étions un certain nombre à tenter d'alerter sur le mensonge caricaturale de cette candidature, mais rien n'y faisait : Mélenchon, avec ses emportements, Le Pen, avec son incapacité absolue à être élue, Fillon avec ses costumes, semblaient bien plus dangereux que ce jeune homme souriant qui donnait à chacun l'impression d'une proximité (faussement) rassurante. Macron, c'était un gentil Rastignac, le mythe du self-made-man à la sauce française, le faux non-conformiste qui avait épousé une femme beaucoup plus âgée que lui. Le fait qu'il soit banquier d'affaires ? Comme Trump et ses fraudes fiscales, cela prouvait que, malgré son inexpérience politique, il saurait parler d'égal à égal avec les milieux d'argent...

Je m'interroge encore pour savoir si la deuxième grande marche d'E. Macron (la première ayant été celle qui l'a mené au pouvoir) celle qui l'a conduit à défaire notre État social à marche forcée, doit son tempo à ses donneurs d'ordre (tous les grands groupes qui ont mis la main au porte-monnaie pour son élection, mais aussi les tenants du pouvoir qu'il a rencontré au Bilderberg avant les élections, ou qu'il a connu par l'intermédiaire de son inscription dans le mouvement des Young Leaders ou dans son parcours d'inspecteur des finances et de banquier d'affaires) ou à lui-même ? Probablement les deux. Mais cette question ne me semble pas secondaire car d'elle découle la façon dont il va gérer la crise dans la durée : en Jupiter, gérant tout tout seul, ou en enfant qui a une maman et de nombreux papas riches et qui leur obéit ?

Du côté du peuple : la prise de conscience

Je reprends ici un commentaire posté à la suite de l'article de Laurent Mauduit « Macron cajole les policiers et méprise les autres fonctionnaires ». Le blogueur Dacha évoque les cahier de l'OCDE, fort ancien, sur « La faisabilité politique de l'ajustement » (ici en pdf). C'est le cahier 13, que l'on trouve encore sur le site de l'OCDE, et dont Dacha donne quelques éléments fort éclairants que j'invite le lecteur à consulter. Il s'agit d'une description argumentée d'un grand nombre des stratégies à mettre en œuvre pour faire accepter au peuple des mesures spontanément impopulaires. Cette simple lecture rendrait complotiste le plus farouche anti-complotiste, tant ces stratégies sont toutes mises en œuvres depuis des années et des années.

Toutes les stratégies décrites dans ce cahier de l'OCDE relèvent de la communication perverse, c'est-à-dire communiquer d'une façon étudiée pour parvenir à faire agir les citoyens contre leur intérêt, ou les conduire à accepter des choix les desservant, par des manœuvres de communication qui les trompent, les aveuglent, les inhibent ou les anesthésient. A ce titre, les stratégies du gouvernement, amplifiées par les médias mainstream, sont très éclairantes : ces derniers jours, c'est la violence des manifestants contre certains policiers - alors qu'une personne a été tuée par l'usage des armes par les forces de l'ordre et que de nombreuses autres ont été blessées par des grenades - et le soupçon d'antisémitisme de quelques uns qui va être sans vergogne étendu à tout le mouvement. Accuser l'autre de ce que l'on fait, c'est-à-dire par exemple souligner la violence de manifestants contre les forces de l'ordre à la place de reconnaître les abus de certains membres de celles-ci, c'est typique des moyens de la communication d'emprise. De même nous voyons à l’œuvre le "diviser pour régner" tout aussi typique. Rien que le fait d'utiliser le terme de "communication" au lieu de celui de "propagande" est déjà significatif...

Mais, ce que les pervers et ceux qui utilisent ces stratégies ne veulent pas savoir, c'est que ces stratégies ont toujours une limite: la désinformation demande toujours plus de ressources pour se maintenir, l'intensité de la pression perverse se doit aussi d'augmenter parce que la seule répétition entraînerait à terme la prise de conscience, les échanges entre les personnes doivent être de plus en plus limités et contrôlés pour les mêmes raisons, le réel doit être de plus en plus nié parce qu'il a tendance à insister et donc à révéler les manipulations et leurs conséquences délétères voire désastreuses... Quelques exemples de dictatures « populaires » Chine, URSS, éclairent facilement mon propos.

Cette course en avant des stratégies perverses est niée par les conseillers en comm' politique et managériale parce que, cyniquement, ils n'ont pas intérêt à scier la branche sur laquelle ils sont assis, mais aussi parce que manipuler quelqu'un à ce point, et a fortiori une foule, donne une ivresse qui fait perdre le sens des réalités. Ceux qui utilisent ces techniques, soit empiriquement, soit scientifiquement, se mettent à mépriser profondément ceux qu'ils soumettent par leur stratégie perverse, et se vautrent eux-mêmes dans un sentiment de toute-puissance dont ils devraient se méfier. En effet, cette course en avant ne peut que mener, un jour, à la chute finale.

Ainsi, nous semblons être, effectivement, à ce moment de bascule où la succession de mensonges de plus en plus gros, de pressions sur les citoyens de plus en plus fortes et de conséquences graves dans la vie de ceux-ci de plus en plus évidentes, conduit a une prise de conscience collective massive et irrémédiable. A ce stade, l'utilisation de la force pour faire taire ou de la désinformation pour décrédibiliser peuvent ne faire qu'augmenter la prise de conscience générale. Le rouleau compresseur d'un pouvoir écrasant les contestations grâce à une communication séductrice, ne peut d'un coup se transformer en dictature dure. Pendant longtemps, les français ont cru au mensonge qu'ils, du moins collectivement, étaient d'accord avec les réformes qu' E. Macron imposait à marche forcée. Mais non, ils souhaitaient des réformes, certes, mais pas celles-là. Et la différence de points entre les premiers candidats au premier tour de la présidentielle était faible. D'ailleurs, chacun l'aurait emporté contre MM Le Pen, même Benoît Hamon. E. Macron a gagné contre M. Le Pen et pas sur son programme. Point. Le problème, et le rapt de voix, ce sont les élections législatives qui ont donné les pleins pouvoirs au néolibéralisme masqué sous un visage poupin et l'air d'être innocent des vicissitudes politiciennes. Les législatives, placées juste après les présidentielles, pour « donner au Président les moyens de mettre en place sa politique", c'est juste une façon de tuer toute possibilité de contestation du pouvoir par les représentants du peuple. Rien que ce calendrier justifierait à lui seul une réforme constitutionnelle, ou, plutôt parce que notre monarchie présidentielle est vraiment, non seulement pas respectueuse de la Constitution ni de la volonté des citoyens, mais dangereuse, une Sixième République.

Alors, maintenant ?

On peut mentir longtemps à peu de gens, ou pas longtemps à un grand nombre de personnes, mais pas longtemps à tout-le-monde (Karl Marx, un peu modifié). Donc, même si le rouleau compresseur de désinformation auquel nous sommes soumis, passe à la vitesse supérieure, il est trop tard. Les Gilets jaunes ont parlé sur les ronds-points. Ils ont échangé sur les réseaux, et maintenant, apparemment, sur les messageries cryptées. Les divisions savamment entretenues entre différentes catégories de pauvres ne tiennent pas quand ces derniers partagent des chocolats donnés par des soutiens au mouvement, et se réchauffent ensemble. Et, surtout, Internet aide à prendre conscience de la communication d'emprise. Un seul exemple ? Celui de ces trois policiers pris à partie par des Gilets jaunes qui les font tomber de moto et jettent une trottinette dans leur direction. Effectivement, c'est violent. Mais si l'on voit la vidéo depuis le début, on voit un policier lancer une grenade sur un groupe important de manifestants, apparemment pacifiques, et assez loin des policiers. On entend d'autres grenades exploser. La réaction des manifestants semble être une réaction à ces agressions apparemment gratuites. Qui reprend cela (que l'on trouve sur Mediapart)?

Ceux qui détiennent le pouvoir, à mon avis, ont peur. Et pas seulement en France, car je pense que certains, ailleurs, craignent la contagion. Les paroles répétées en boucle « le mouvement s'essouffle » ne peuvent pas les rassurer, même si un peu de prophétie auto-réalisatrice ne les embêterait pas. Je crois que, sous l'indifférence affichée, certains, en haut lieu, et particulièrement l'oligarchie financière et industrielle, réfléchissent.

En effet, toutes les armes n'ont pas été utilisées. Il reste encore les grands mécanismes de détournement d'attention de l'opinion publique: disparition d'enfants, crimes sexuels, révélation de corruption, catastrophe ou attentat. Ou l'apparition d'une crise internationale : nouvelle crise financière ou guerre... Pour le foot et le sport en général, il me semble que c'est raté, vu la saison...

Les prochains jours et les prochaines semaines vont donc être cruciaux pour l'avenir de notre pays. Le mouvement, apaisé par les agapes de fin d'année, va-t-il s'éteindre progressivement ? Ou bien la pause de Noël va-t-elle permettre au contraire à la mobilisation, toujours soutenue par la population, d'évoluer en mouvement social généralisé, avec grèves et démission du gouvernement, d' E.Macron ou dissolution de l'Assemblée Nationale ?

Nous verrons bien, mais, quoi qu'il en soit, les citoyens ont compris qu'une dictature molle est une dictature, et que les sourires du pouvoir ne sont là que si le peuple se soumet à la loi du Capital et à l'exploitation de la France d'en-dessous par les 1% du dessus.

Je pense qu'ils ne l'oublieront pas.

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