Les profondeurs de l’océan restent encore en grande partie inconnues, même des scientifiques. Quatre-vingt-dix pour cent des espèces restent à découvrir, et les fonds sont bien moins répertoriés que la surface de la Lune. L’océan, interminable et indomptable étendue bleue dont la profondeur et la force suffisent à donner le vertige, paraît inébranlable et pur, loin de toute menace venant d’activités humaines. Sous son manteau d’un camaïeu d’azur, ne transparaît pas la perte de biodiversité, la dégradation des fonds marins, et les pollutions en tout genre.
Alors pour nous, citoyens, entourés des édifices de ladite civilisation, en ville comme en campagne, la réalité est moins bleue encore. Nous avons mis de côté la nature, la compréhension de ce qu’est un écosystème, et oublié que nous en faisons partie, que nous en sommes dépendants. Dans ce monde d’instantané, de consommation et de béton, qu’est-ce que la mer si ce n’est plages, cocktails, plaisance, sports nautiques, pêche ou transport maritime ?
En 2015, le rapport « Planète Vivante Océans » de WWF indiquait que « l’océan générait des bénéfices économiques d’une valeur minimale de 2 500 milliards d’US$ par an ». Evidemment, cette estimation est bien faible au vu des nombreux services difficilement chiffrables qu’il nous offre. Bien que contestable et comportant de nombreux défauts, ce chiffre a au moins le mérite d’alerter, si ce n’est d’interroger, sur l’importance de ce vaste milieu que nous oublions tant.
Comment enseigner un milieu que nous ne connaissons qu’en surface ?
Comment se rendre compte du poids substantiel de l’océan dans notre vie, alors qu’il est si loin de nous, qu’il paraît si inaltérable ? Comment enseigner un milieu que nous ne connaissons qu’en surface ? Et comment appréhender un système aussi complexe, l’incroyable multitude de relations insoupçonnables entre l’océan, l’atmosphère, la terre, et les humains ?
On a longtemps estimé qu’en acquérant des connaissances sur le milieu marin, les individus voudraient naturellement contribuer à sa protection. Ce modèle est aujourd’hui – au moins partiellement – remis en cause. Cette année, le thème de la Journée Mondiale de l’Océan de la Commission Océanographique Intergouvernementale de l’UNESCO est « Le genre et l’océan ». Un rapprochement entre transition écologique, développement durable et justice sociale s’opère. De nombreuses associations et ONG portent une sensibilisation axée autour de nos impacts sur le milieu. La notion de développement durable et les sciences humaines et sociales arrivent doucement sur la scène.
L’émerveillement et la connaissance du milieu marin font naître des vocations, c’est indéniable, mais ils peuvent laisser de côté de nombreux individus qui ne comprennent pas toujours en quoi cela les concerne, ou ce qu’ils pourraient bien faire pour contribuer à une dynamique plus durable. La sensibilisation à l’environnement a eu tendance à suivre les pas des sciences naturelles, en attirant notre attention sur un dérèglement du climat et un effondrement de la biodiversité sans forcément pousser à comprendre en quoi les communautés humaines sont affectées par ce qui se passe « dans la nature ». A force de séparer l’humain de la nature, nous nous sommes presque convaincus que nous n’en faisions pas partie.
Changer les habitudes
Comment s’attendre à ce que l’on « fasse l’effort », que l’on change nos pratiques, pour protéger quelque chose que nous ne comprenons pas, dont les liens avec notre vie semblent aussi distants ?
La « Ocean Literacy » (ou éducation à l’océan), mouvement né il y a une vingtaine d’années en Amérique du Nord, tente de relever ce défi en cherchant à faire comprendre à tous les citoyens l’influence que l’océan exerce sur leur vie et réciproquement. Une approche plus transversale, incluant toutes les sciences et toutes les sensibilités, se justifie. Les relations entre humains et océan sont complexes, alors pour inclure la société dans le débat, nous devons appréhender non seulement le fonctionnement de l’océan, mais aussi les impacts sur les communautés humaines et les vecteurs de changement. La prise de conscience arrive de manières bien différentes pour chaque individu. Certains tombent dans la marmite dès leur plus jeune âge, parfois justement grâce à ces sorties ou activités péri-scolaires. Mais on peut aussi être bouleversé par la vue d’une plage jonchée de déchets au point de changer radicalement sa vie déjà bien vécue, ou par le visionnage d’un reportage télévisé. D’autres suivent un long cheminement. Pour certains ce sera simple, d’autres auront l’impression de vivre le parcours du combattant.
Quoi qu’il en soit, il n’y a pas qu’une façon de prendre conscience, il n’y pas qu’un modèle pour faire changer les habitudes, et encore moins bouleverser un système.
Ce serait dommage de réserver l’éducation à l’océan à la seule jeunesse, laissant citoyens, entrepreneurs, ou décideurs de côté dans cette quête, alors que c’est tous ensemble que nous formons la société et définissons les relations entre océan et humains.
L’association Sailing Hirondelle propose un projet de co-création de contenus d’éducation à l’océan, en cherchant à intégrer la complexité et diversité et des solutions. Une expédition d’un an sur les mers d’Europe du Nord Ouest pour y rencontrer les habitants des littoraux et narrer leur histoire dans la transition écologique, permettra de sensibiliser à l’importance d’une relation humain-océan durable en mettant l’accent sur ces interactions et interdépendances. Nous souhaitons rapprocher la crise écologique et l’océan des citoyens, en témoignant que cette crise est bien réelle, aujourd’hui, chez nous et nos voisins. Nous montrerons que les populations humaines, à l’origine de cette crise, sont acteurs de solutions. En croisant témoignages d’humains, connaissances du milieu marin et côtier, données scientifiques et savoirs sociétaux, nous donnerons un visage à la transition, et aux solutions qui s’offrent à nous, qui s’offrent aux citoyens de tout âge et de toute profession.
Evoquer la transition écologique sans discours culpabilisant
Evidemment, seule, la sensibilisation à l’environnement ne saurait suffire. Mais en élargissant son spectre, des jeunes aux moins jeunes, du public au privé, en incluant des sensibilités diverses et en usant de vecteurs variés, elle peut contribuer à une prise de conscience multi-échelle.
Quand on aborde le sujet de la transition écologique, on passe souvent du temps à désigner les coupables et à identifier à qui incombe la responsabilité d’agir, opposant individus et gouvernements ou multinationales.
Ce discours culpabilisant sert-il réellement la cause commune qu’est la protection de l’environnement ? Ce serait dommage, dans cette querelle, de perdre de vue que c’est autant à tous qu’à chacun d’agir. Les rapports de l’IPBES et du GIEC nous rappellent à l’ordre : sans un changement multi-échelle, la transition radicale nécessaire à une conservation du bon état écologique de notre planète ne saurait voir le jour – bon état écologique dont dépendent tout particulièrement les populations les plus vulnérables. La planète survivra, la nature a toujours su s’adapter. Qu’en sera-t-il des communautés humaines ?
« Nous n’héritons pas de la terre de nos parents, nous l’empruntons à nos enfants. »
Il en va de même pour l’océan.