Par Xavier Monnier, 22 mai 2023, Blast. Deux ans après avoir été arraché au gouvernement dans la douleur, le précieux agrément d’Anticor est à nouveau menacé. Cette fois, l’affaire se joue devant le tribunal administratif qui pourrait retirer à l’association anticorruption cet outil l’autorisant à porter plainte dans les dossiers de probité publique. Chronique d’un combat sans fin dont l’épilogue semble avoir été écrit à l’avance par le pouvoir politique.
Le 12 juin prochain, l’avenir d’une certaine idée de la lutte contre la corruption en France est en jeu. Ce jour-là, la 6e section du tribunal administratif de Paris doit se prononcer sur la légalité de l’arrêté PRMX2110865A du 2 avril 2021.
Portant l’imprimatur de Jean Castex, cet acte administratif renouvelait l’agrément gouvernemental d’Anticor. Accordé pour trois ans, ce sésame permet à l’ONG de se constituer partie civile en soutien des plaignants dans les affaires judiciaires liées à la probité ou d’ester de sa propre autorité en justice, au nom de l’intérêt général, en saisissant un juge d’instruction quand un parquet trop frileux refuse d’ouvrir une enquête. Obtenu pour la première fois en 2015, il avait été renouvelé sans difficulté en 2018. Aussi précieux qu’indispensable pour dévoiler et dénoncer les atteintes à la probité, ce dispositif prévu par la loi est une faille dans l’armure d’airain qui protège le fléau de la prévarication et ses auteurs. Une petite fenêtre ouverte à la société civile qui risque de se refermer brutalement, claquée au nez des 6 000 adhérents de l’association et de ses dirigeants... (la suite de l'enquête sur Blast)

Agrandissement : Illustration 1

Anticor : A propos ; Articles ; Affaires.
Anticor, c'est 0 subvention, 159 procédures, 85 groupes locaux, 4 salariés, 6 659 adhérents.
Plaidoyer
La corruption et la délinquance financière portent atteinte aux principes qui fondent la République. Le préambule de la déclaration des droits de l’homme de 1789 proclame que « l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements ».
L’égalité devant la loi, la liberté d’expression, le droit pour les citoyens de demander compte aux agents publics de leur administration, leur égale admissibilité aux emplois publics, la séparation des pouvoirs sont autant de remparts contre les abus de pouvoir et la corruption. Ces principes sont devenus vulnérables, comme les droits économiques et sociaux proclamés par la Constitution française de 1946.
Au regard de cette situation, il appartient au législateur d’être à la hauteur des enjeux. La contribution d’Anticor propose une approche du local au global, du politique à l’économique. Une réflexion pertinente sur la lutte contre la criminalité économique ne peut être limitée au champ des infractions financières ou fiscales. Chacune des propositions nous semble utile pour endiguer les dérives de la vie politique et économique.
Prises dans leur ensemble, ces propositions appellent une réflexion sur l’architecture du pouvoir et sur la porosité entre pouvoirs politiques et économiques. Au regard de la perspective annoncée d’une réforme constitutionnelle, nous envisageons aussi des propositions susceptibles de faire partie de la loi fondamentale.
Nous appelons à des règles plus effectives et à des institutions plus efficaces pour les appliquer.
Cette réflexion n’est pas exclusive d’autres propositions qui appellent une intervention de la France au niveau international, pour lutter contre un nouveau capitalisme criminel[1]. L’économie criminelle est en effet un facteur aggravant de la crise économique. Aux États-Unis, la crise des subprimes est avant tout la conséquence d’une fraude gigantesque au crédit hypothécaire.
En Europe, les répliques de la crise révèlent aussi fraudes et corruption. En Islande, pays de 320.000 habitants, 100 milliards de dollars se sont volatilisés en 2009. En Irlande, 70 milliards d’euros ont été perdus lors de la faillite de l’Anglo-Irish Bank dans un contexte marqué par une confusion des intérêts entre secteur bancaire et autorités publiques. Un cercle d’initiés aurait aussi bénéficié de « prêts cachés » d’un montant considérable.
En Espagne, la faillite frauduleuse de Bankia a conduit à l’arrestation et à la condamnation de Rodrigo Rato, ancien ministre de l’économie et ancien directeur général du Fonds monétaire international. La dette grecque a été longtemps dissimulée par des moyens frauduleux avant sa révélation en 2010. Ce maquillage résulte principalement de la levée de fonds hors bilan par le biais d’instruments financiers mis au point par la banque Goldman Sachs. Cette opération a rapporté 600 millions d’euros à cette dernière.
De plus en plus, la criminalité cesse d’être un phénomène marginal. La déréglementation économique offre une capacité de miser sur les trafics de ce qui reste interdit par les États-nations, sans que ceux-ci aient les moyens d’imposer leur prohibition : c’est le cas de la fraude fiscale comme du trafic de stupéfiants. Les paradis fiscaux sont des pays qui vendent leur souveraineté pour être compétitifs sur le marché de la loi et tirer d’importants profits.
La mondialisation, fondée sur cette logique de déréglementation, sécrète donc une criminalité consubstantielle, inscrite dans la logique des nouvelles formes de production économique et financière.
Roberto Scarpinato, procureur de Palerme, analyse ainsi la situation actuelle : « Il y a en ce moment en Italie une bataille entre le pays légal et le pays illégal. Il s’agit d’une guerre totale ayant pour enjeu le futur même de la démocratie et de la nation. La Cour des comptes italienne, l’organe de justice comptable, a calculé en effet que la corruption provoque chaque année des dommages aux caisses de l’État à hauteur de 60 milliards d’euros, un chiffre énorme.
La corruption est en train de détruire en Italie le service public, d’appauvrir la population et d’accélérer le déclin de la nation. À cause des contraintes budgétaires imposées par l’Union européenne, à présent il n’est plus possible de soutenir les coûts de la corruption en augmentant la dette publique, comme cela se faisait durant la 1ère République, et donc, aujourd’hui, les coûts de la corruption sont payés en détournant les fonds et l’argent de l’état destinés aux services publics.
Mais l’Italie est en réalité un laboratoire national où, grâce à l’action de la magistrature, de la police, de la vigilance d’une presse indépendante, est rendu visible un processus complexe et global de transformation et de restructuration du pouvoir qui est aussi en train de se réaliser dans d’autres pays européens, mais de façon invisible »[2].
Pour lutter contre la délinquance financière au sens large, c’est toute une culture de la légalité, de la probité et de l’intégrité dans la vie publique qui doit être développée.
Le Parlement doit être le moteur d’une grande ambition en ce domaine, s’il veut être à la hauteur des enjeux.
[1]Jean-François Gayraud, Le nouveau capitalisme criminel, Odile Jacob, 2014.
[2] Roberto Scarpinato, Le retour du Prince, la Contre allée, 2015