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Billet de blog 28 mars 2023

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Jeunes musiciens et danseurs en danger : non à la fermeture du Lycée Brassens !

Une tribune publiée le 26/03 dans Le Monde, reproduite ci-après. Signée notamment par Emmanuelle Haïm, cheffe d’orchestre, Gauthier Capuçon, violoncelliste... Suivent des explications concernant la fermeture du Lycée Brassens (Paris, 19e) et les raisons qu’ont ses élèves, leurs parents et professeurs de s’y opposer.

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  • « Acteurs du monde de la culture, nous demandons de reconnaître le caractère singulier des études artistiques »

« Alors que l’éducation nationale s’apprête à fermer des lycées publics qui accueillent des élèves ayant un projet artistique, quelque 250 artistes (…) appellent, dans une tribune au Monde, à « mettre fin à cet abandon ».

« Notre pays s’apprête à fermer, à Paris, sept lycées publics. La France a-t-elle décidé de faire des économies sur le dos de la jeunesse ? Parmi les lycées condamnés, trois accueillent des élèves ayant un projet artistique : Brassai, Brassens et Lucas de Néhou. Créé en 1993, le lycée Brassens était une innovation pédagogique permettant à de jeunes artistes d’horizons très divers, professionnels et amateurs de haut niveau, d’être scolarisés.

Il offrait à tous un enseignement public adapté : un mi-temps strict, une petite structure, des effectifs réduits et un projet éducatif cohérent avec leur travail artistique. Seul lycée à n’accueillir que des doubles cursus, le lycée Brassens est le symbole d’un engagement de l’Etat dans la vie culturelle de la France. Depuis 2016, les classes à double cursus ferment les unes après les autres. Il n’en reste plus que vingt dans tous les lycées publics de France.

Ces classes ont été fermées en excluant les élèves issus de banlieue et du périurbain. Comment justifier un discours sur la démocratisation culturelle si l’on refuse à des jeunes gens, engagés dans une pratique artistique intensive, d’accéder aux mêmes enseignements publics que leurs camarades du même âge, dans des conditions compatibles avec leur art, qu’ils viennent de Paris ou de Seine-Saint-Denis ?

Nous, artistes et acteurs du monde de la culture, qui pour certains d’entre nous avons eu la chance de fréquenter des classes à double cursus, demandons de reconnaître le caractère singulier de ces études et d’en tenir compte avant d’étioler davantage l’enseignement artistique. Nous en appelons au président de la République, à sa volonté politique qui, seule, peut mettre fin à ce qui est un abandon. Fermer un lycée public et mettre ses élèves à la porte, c’est un renoncement grave aux valeurs de la République pour l’enseignement et, dans le cas du lycée Brassens, pour l’enseignement artistique et la culture.

Le sens perdu de la mixité

Car enfin, c’est cette mixité, qu’elle soit géographique, sociale, de pratiques artistiques qui donnait tout son sens au lycée Brassens. La France s’enorgueillit de former d’excellents danseurs, musiciens, comédiens, artistes lyriques... Ils ont pu bénéficier d’un modèle français qui a veillé à leur formation intellectuelle.

Pour se tenir devant vous, sur des planches, ces enfants ont fourni des efforts colossaux : trois à cinq heures de pratique quotidienne. Et, avant de partager leurs univers créatifs, ils ont été des élèves formés à la citoyenneté et à notre culture commune, celle dispensée par l’école de la République.

Un renoncement grave aux valeurs de la République

La France a-t-elle décidé de renoncer à son rayonnement culturel ? Elle sacrifie les budgets de formations artistiques, par exemple de l’Institut Louis-Lumière, de l’Ecole supérieure d’art et de design (ESAD) de Valenciennes, de l’école Duperré, du Centre national des arts du cirque (CNAC), des conservatoires à rayonnement régional. Les étudiants voient leurs conditions de travail se dégrader, leur projet professionnel est menacé. »

Les premiers signataires de la tribune :

Thomas Bangalter, Daft Punk ; Emmanuelle Bertrand, violoncelliste, Victoires de la musique 2002 et 2022 ; Judith Chemla, comédienne ; Gauthier Capuçon, violoncelliste ; Jamel Debbouze, comédien ; Philippe Decouflé, chorégraphe ; Léa Desandre, artiste lyrique, Victoires de la musique classique 2017 et 2021 ; Emmanuelle Haïm, cheffe d’orchestre ; Cédric Klapisch, réalisateur ; Anna Mouglalis, comédienne ; Jean-François Zygel, pianiste, compositeur, etc.


  • Arguments à l’appui de la lutte contre la fermeture du Lycée G. Brassens (Paris 19e)

A l’automne 2022, le Rectorat de l’Académie de Paris et la Présidence de la Région Ile-de-France ont annoncé que le Lycée général Brassens (Paris, 75019) fermera définitivement ses portes à la rentrée 2023.

Il s’agit d’une décision unilatérale, brutalement présentée comme non négociable, et qui ne repose que sur des mensonges, d’après des critères fallacieux, ceux d’une gestion austéritaire des deniers publics, démantelant l’Education nationale tout entière, et rien d’autre.

Si une telle décision va à son terme, elle implique un désastre pour les jeunes musiciens et danseurs en France. Pourquoi ? Car le Lycée Brassens est l’unique établissement entièrement dédié qui leur permet de suivre une scolarité en « double cursus » artistique avec horaires aménagés ; ce qui leur assure de poursuivre à la fois une formation artistique de haut niveau et le cursus conduisant à l’obtention d’un Baccalauréat général.

Depuis 2017, sans discontinuer, la DASEN (« Direction Académique des Services de l’Education Nationale ») du Rectorat rétrécit le nombre et restreint la diversité sociale des élèves sélectionnés au Lycée Brassens. En supprimant chaque année des classes de Seconde, la DASEN tarit de fait le recrutement de ce lycée. C’est aussi le cas des filières « double cursus » des Lycées Racine (Paris 8e), Lamartine (Paris 9e) et La Fontaine (Paris 16e..)

Quand on veut tuer son chien, on prétend qu’il a la rage : chacun connaît le dicton. C’est ainsi que, par la seule décision du Rectorat, ont été exclus de nombreux élèves postulants, aussi excellents soient-ils et aussi contraignantes leurs formations artistiques soient-elles. Ainsi, entre 2016 et 2022, l’effectif des élèves admis en double cursus au Lycée G. Brassens a diminué d’un tiers ! Les élèves exclus venaient principalement de Conservatoires régionaux (CRR) et municipaux (CM) de Seine-Saint-Denis, sans compter les élèves de nombreux Conservatoires municipaux d’arrondissement (CMA) de Paris même !

C’est un choix absurde : la demande de « double cursus » en musique et danse est toujours aussi forte. Et pour cause : ne serait-ce qu’en Île-de-France, croît à l’inverse le nombre d’élèves qui sont inscrits au CNSMD (Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse), aux CRR (Conservatoires à Rayonnement Régional : Aubervilliers, Boulogne-Billancourt et Paris), aux CMA parisiens et dans d’autres Conservatoires et écoles artistiques de qualité.

Chacun peut mesurer l’ampleur des mensonges cyniquement avancés pour prétendument justifier la fermeture du Lycée Brassens : cet établissement et ses élèves souffriraient d’un « IPS » (« Indice de Position Sociale ») trop élevé et, ce faisant, le lycée d’un « manque de mixité sociale. » La lecture égalitariste —pseudo bourdieusienne— de statistiques qui ont bon dos !, est une imposture intellectuelle et une hypocrisie.

En effet, il est très aisé de vérifier que ces statistiques sont truquées dès lors qu’elles résultent directement et intentionnellement des seuls diktats du Rectorat. Les professeurs du Lycée Brassens ont été de fait exclus du processus de sélection des élèves, comme du choix de ses critères. Conséquence fatale : des élèves candidats, auparavant admis, ont été refusés ! Mais, des tenants et aboutissants d’une telle situation Madame Claire Mazeron, directrice de la DASEN, ne veut pas entendre parler. Elle refuse avec le plus arrogant des mépris toute concertation avec les usagers, les élèves, leurs parents et professeurs.

Le Rectorat prétend assurer le « transfert » de la formation dispensée au Lycée Brassens au sein du Lycée Bergson (Paris 19e). Autre mensonge, car un tel « transfert » est impraticable, voué à l’échec et cyniquement conçu comme tel.

Car, de fait, la communauté éducative du Lycée Brassens formée pour accompagner les élèves en « double cursus » se trouvera inévitablement dissoute. En outre, ni les locaux ni la logistique adéquate (emplois du temps des élèves, salles de classes dédiées avec leurs équipements appropriés) n’ont été programmés ni budgétisés dans le projet d’établissement du Lycée Bergson, encore moins les travaux indispensables n’ont-ils été mis en route. Rien ne permettra donc d’y instaurer, à la rentrée 2023, une authentique formation en « double cursus » pour les jeunes musiciens et danseurs actuellement accueillis au Lycée Brassens.

Aucune urgence ne peut être invoquée pour justifier la fermeture insensée et brutale du Lycée Brassens, ni les fermetures de filières en « double cursus » dans les autres (rares) établissements parisiens.

Seul le Recteur d’Académie fixe la carte de formation en la matière. C’est le moment de lui rappeler l’importance de garder ce dispositif éducatif si nécessaire pour les artistes de demain au sein de l’enseignement public. Un « double cursus » dont l’excellence, étant accessible à tous, n’a rien d’un privilège ni du prétendu élitisme dont les technocrates du Rectorat de Paris n’ont pas honte de l’accuser. Balayer devant sa porte : c’est aussi un dicton bien connu.

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