Le ministre annonce depuis bien longtemps déjà qu’il veut modifier la politique d’éducation prioritaire pour « la rendre plus efficace ». « Les Échos » ont donné à lire cette citation : « Les moyens considérables qui sont mis par la France dans son éducation prioritaire doivent être beaucoup plus efficaces dans le futur, et la philosophie est de se dire comment les moyens doivent, non pas indemniser la difficulté, mais stimuler la réussite et permettre de se fixer des objectifs », affirme Jean-Michel Blanquer. La formule d’une éducation prioritaire qui actuellement « indemnise la difficulté » est particulièrement insultante pour l’ensemble des collègues qui travaillent en éducation prioritaire. Quant à dire que les moyens mis sont considérables, même s’ils ont significativement augmenté en 2015 avec la mise en place des REP+, des « plus de maîtres que de classes » puis en 2017 avec les CP dédoublés, ils sont encore assez loin de ce que recommandait l’OCDE dès 2013 qui proposait de consacrer 0.13% de PIB à l’école en éducation prioritaire.
On sait que le ministre a demandé un rapport à Pierre Mathiot et Ariane Azema encore en cours de travail pour une publication en juin 2019. On sait bien que ce rapport ne sera publié que s’il a l’heur de plaire au ministre et de lui permettre de développer la politique néo libérale à laquelle il aspire. (Voir ce que j’en disais déjà en octobre).
En attendant, ce que l’on commentera ou pas en juin, on voit bien qu’il n’y a plus de pilotage de l’éducation prioritaire au niveau national et manifestement certains recteurs accentuent le mouvement au niveau académique. Ce billet et les suivants vont donc être consacrés à tous les signes de cet abandon institutionnel.
Une circulaire de rentrée indigente en ce qui concerne l’éducation prioritaire
La circulaire de rentrée publiée au BOEN n’évoque l’éducation prioritaire que pour rappeler les CP et CE1 à 12, rappeler les dédoublements à venir en grande section et évoquer les petits déjeuners et les cités éducatives. Aucune réflexion sur la conduite des apprentissages, sur la formation et sur le travail collectif en réseau spécifique à l’éducation prioritaire. Aucune conception positive de l’action pédagogique à conduire dans ces écoles et collèges. Les recommandations qui l’accompagnent sont muettes sur ces questions. En outre la partie consacrée à l’éducation prioritaire est inscrite dans la partie IV de la circulaire consacrée à « Cultiver le plaisir d’être ensemble » ce qui est un comble pour l’éducation prioritaire qui justement vit au quotidien la ségrégation. En outre comme on pouvait s’y attendre le dispositif ministériel trouve désormais sa pleine traduction (avant la publication du rapport commandé à Mathiot et Azema qui pourtant devait faire des propositions sur ces points, ce qui montre, s'il en était besoin, le peu de cas qui est fait du travail commandé ) dans cette formulation : « Assurer l’équité entre tous les territoires de la République », où les problèmes des quartiers populaires et ceux du rural sont traités au même niveau, comme s’ils étaient de même nature et comme s’il s’agissait d’abord de problèmes éducatifs alors qu’il s’agit de problèmes d’abord économiques et sociaux. Je rappelle que j’ai écrit un billet pour dénoncer cette manière de considérer les quartiers populaires comme des territoires parmi d’autres. Et on trouvera également à ce sujet un article dans la prochaine livraison de la revue de l’AFAE à paraître, le numéro 162 consacré aux territoires éducatifs.
La priorité qui avait été donnée par la gauche à l’accueil des moins de trois ans est cassée au profit de l’école obligatoire à trois ans avec des formules jésuitiques remarquables : « Cette mesure vise à offrir à 25 000 élèves supplémentaires, parmi les plus défavorisés, un cadre d'enseignement propre à réduire les inégalités. » Ceci alors que c’était justement la prise en compte des enfants des milieux populaires dès deux ans qui était de nature à contribuer à réduire les inégalités en les familiarisant plus tôt avec les règles du jeu scolaire et en leur donnant ainsi de l’avance sur d’autres. Quant au fait que ce sont des enfants de milieux défavorisés qui sont principalement non scolarisés à trois et quatre ans, cela s’explique essentiellement par des raisons sociales liées au travail des femmes moins fréquent dans les quartiers populaires. L’ UNAF estimait en 2013 qu’il manquait entre 350 000 et 400 000 places pour l’accueil des jeunes enfants. On peut douter que, malgré les déclarations de monsieur Blanquer, le nombre de places en crèche ait augmenté. Ce ministre est en effet très fort pour promettre des places dans des lieux d’accueil qui ne sont pas de sa responsabilité mais de celle des collectivités territoriales. De la même manière qu’en 2012 il avait tenté de faire pression pour les internats d’excellence, ce qui s’était traduit par un désengagement des dites collectivités qui avait eu pour conséquence que le ministre avait réalisé des établissements d’État qui pèsent toujours aujourd’hui sur le budget de l’éducation nationale. On pourra se reporter à mon billet sur le sujet de l’internat qui a peut être eu le mérite de contribuer avec d’autres à arrêter le ministre dans sa volonté de reprendre cette perspective malvenue alors qu’il avait déclaré en décembre qu’un excellent rapport qui lui a été remis mais qui n’est pas publié devait lui permettre de relancer cette perspective.
On n’est pas prêts de voir des places en crèche mais on va aussi encore voir le recul de la scolarisation à moins de trois ans dès lors que l’on lancera les dédoublements en grande section alors que la démographie, en berne en ce moment, aurait pu permettre de relancer la scolarisation des moins de trois ans contribuant ainsi à permettre aux femmes des milieux populaires de chercher du travail en bénéficiant d’un mode de garde gratuit. On voit bien que la mesure ministérielle sur l’obligation scolaire est donc tout sauf une mesure sociale pour les quartiers populaires. Alors que l’accueil des moins de trois ans en était une.
Comme chaque fois que la droite est au pouvoir, on propose également d’agir sur la question des alentours de l’école (les cités éducatives) et sur tout ce qui n’est pas l’école (les petits déjeuners). On pense que les inégalités trouvent leur origine en dehors de l’école et notamment dans les familles qu’il s’agit de former alors que toutes les études disponibles montrent que les inégalités sont le fait d’un certain mode de relation, d’interaction entre l’école telle qu’elle est et les élèves de milieux populaires tels qu’ils sont. C’est beaucoup plus facile de trouver dans les familles la source des difficultés et de leur donner des conseils comme dans cette recommandation sur le langage en maternelle : « C'est l'une des raisons qui conduit à encourager les parents à engager le plus souvent possible des dialogues avec leur enfant ainsi qu'à leur lire des histoires. » (Remarquons le caractère bancal de la phrase : il aurait fallu écrire « leurs enfants » ou alors « lui lire »… pas terrible pour des gens qui font la leçon aux autres…). Il est intéressant de noter aussi que, dans cette circulaire de rentrée, « respecter autrui » a changé de statut. Dans tous les textes précédents, c’était un des quatre fondamentaux dont trois sont traités dans la partie I-2 et dans la partie II de la circulaire. . Aujourd’hui il se retrouve dans la partie IV « Cultiver le plaisir d’être ensemble » ce qui a sans doute pour but de rendre le discours sur l’éducation moins « droitier » maintenant que les élections européennes sont passées et que l’on a « siphonné les voix de la droite ».
Tout est fait pour nous confirmer ce que nous avons pu percevoir dès l’arrivée du ministre aux affaires : on vise l’indifférenciation de l’éducation prioritaire à l’exclusion de la question des moyens qui sont renforcés par décision de la présidence de la République (on ne fait pas toujours ce que l’on veut quand on est ministre). On vise l’indifférenciation des élèves de milieux populaires dont on a une image uniquement déficitariste : comme le problème est dans l’élève, la solution est la « personnalisation pédagogique» qui n’est jamais définie. Ainsi la circulaire de rentrée dit-elle « De même, les exercices de compréhension orale proposés par les évaluations nationales ont montré que de forts écarts existaient sur ce point pour les élèves relevant de l'éducation prioritaire. Ce déficit de vocabulaire, qui entraîne un défaut de compréhension orale, constitue par suite un frein très important pour l'apprentissage de la lecture. » Le sous entendu est que si les parents avaient lu des histoires à leurs enfants on n’en serait pas là. Il est très intéressant de voir que les recommandations pédagogiques ne parlent jamais d’un travail pédagogique à conduire en milieu populaire là où sont concentrées les populations socio économiquement défavorisées.
Il aurait été simplement possible de rappeler les orientations du référentiel de l’éducation prioritaire qui incitent à travailler des perspectives reconnues comme favorables aux apprentissages des élèves de milieux populaires et dont l'intérêt est bien reconnu dans les réseaux par les professionnels comme il apparaît dans l'enquête en cours de l'OZP. Si ce n’est pas fait c’est qu’il n’y a aucune volonté réelle de voir avancer la question de fond de la réduction des inégalités. Le prétendu « pragmatisme » n’est que choix idéologique et volonté d’occuper le terrain politique avec de beaux discours. Je ne peux qu'encourager tous les lecteurs de ce blog qui travaillent en éducation prioritaire à regarder les travaux en cours de travail à l'OZP (observatoire des zones prioritaires) et à y participer en apportant des réponses au questionnaire encore disponible à cette heure.
La lecture des trois recommandations annexées à la circulaire de rentrée est très instructive. Rien n’est fait pour reconnaître des besoins éducatifs et pédagogiques spécifiques aux élèves des milieux populaires quand ils sont concentrés dans les quartiers populaires. Tout au contraire, l’élève dont il est question est un élève désincarné qui n’a ni sexe ni origine sociale. Et les « recommandations pédagogiques » qui, comme les précédentes, sonnent comme des ordres, ne parlent pas de la réalité des classes et de l’enseignement. On doit plaindre ceux qui sont chargés de relayer ces « ordres » comme cela leur est rappelé dans la circulaire au cas où ils auraient oublié qu’ils sont des exécutants. Ce n'est hélas qu'un aspect de la casse de la fonction publique en cours.
On verra au prochain billet qu’il n’y a plus de pilote de l’éducation prioritaire à la DGESCO et pas de révision de la carte à attendre...