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Billet de blog 19 novembre 2020

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Des Confins et de l'Amérique

Ma petite note : la rigueur des formes que j’emploie dans mes poèmes me permet, par la discipline qu’elle m’impose, de structurer une pensée confuse et désordonnée, et, partant, de la libérer. La plus incandescente liberté nait du dépassement des contraintes, et s’en nourrit. Je fais ainsi mien cet adage de Saint Augustin : "Faisant ce que je veux, j’arrivais où je ne voulais pas".

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Des confins et de l’Amérique

Nous sommes en disette de beauté, santé, sagesse, vertu et telles parties essentielles ; les ornements externes se chercheront après que nous aurons pourvu aux choses essentielles.

Montaigne, Essais, livre II, chapitre 16.

On se retrouve

Bonjour fantômes

on se retrouve

Salut silence

on se retrouve

aux abords des confins

tout près du bout

du rien

On se retrouve

au bord du gouffre

du silence

On se retrouve

et plus on se retrouve

plus on parait

perdus

Alors on tente un sens une respiration

Un rythme comme on cherche une vieille chanson

Oubliée qui pourrait nous sauver de l’oubli

Et nous porter, légers, comme un alexandrin

 (…)

Pour comble de malheur j’apprends à l’instant même

La mort du bonhomme Alain Rey - et c’est soudain

Notre langue pendue à l’arbre d’ignorance.

(Il y a deux catégories de langues : les langues malades et les langues mortes

Alain Rey)

Qu’en nous sa langue lui survive, elle est la nôtre :

Il nous reste les mots sauvons-les des chacals

Aux dents serrées comme d’antiques dictionnaires

(…)

On se retrouve au froid milieu d’un nulle part

Envahi de médias de paroles d’images

C’est plein de vérités et c’est plein de mensonges

On se retrouve en plein cœur transi d’un brouillard

Où les signes de vie sont des ombres de mort

On voudrait y voir clair on n’y voit que du feu

On regarde on regarde on regarde - et on voit :

Le virus rouillé d’une auto abandonnée

Dans le fond oublié de l’ornière géante 

Où finissent les métaphores pathétiques

On regarde on regarde on regarde - et on voit :

Balbutiant fatigué le chant mourant des signes

L’oiseau de feu chu dans la soupière où mijotent

Un antique ragoût d’images poétiques

On regarde on regarde on regarde - et on voit :

Le baiser la caresse la peau la salive

Le sexe - tout ficelés fagotés jetés

Dans  les flammes tristes des foyers familiers

On regarde on regarde on regarde - on ne voit 

Rien du dehors qui nous assène son silence

Quand ça bruit de partout dans le dedans des corps

- On se réchauffe comme on peut – on meurt pareil

après quoi                                                                                                              

viendra demain

et quelqu’un dira

qu’aujourd’hui n’a pas été

et qu’en fin de compte

demain n’a pas été non plus

et des mots de sable

des mots de sciure

des mots de feutre

 des mots de –

Patrick Ourednik, Le silence aussi

Back in the USA – part one

J’entendis le dieu de la nuit soulever un grand drap et tirer dessus avant de le soulever de nouveau pour essayer de faire son lit.

Leonard Michaels, Conteurs, menteurs

c’est bientôt l’aube et cependant je rêve encore

et j’entends un tango de balle et de corps

du fin-fond du Far West surgit Buffalo Kill

terrifiant frisson On the Blueberry Hill

armé de ses incohérences abyssales

il répand sur le monde une agressive gale   

le fusil à lunette est en tête des ventes

la gouine et le coco sont des cibles mouvantes

on va pouvoir tirer partout, sur son voisin

qui pense trop, on va pouvoir violer son chien

buter du latino du nègre du pédé

de l’indien, du pas clair, et aussi de l’athée

il n’y a pas assez de bazar dans le monde

quelques crachats de plus et voilà qu’on inonde

des peuples des contrées comme on pisse en passant

sur une fourmilière affolée en pensant

à comment maquiller la prochaine élection

à l’image d’une hypothétique érection

puis c’est le soir et cependant je rêve encore

d’un théâtre d’humains, d’un sensible décor 

quand ressurgit un Gengis Khan de pacotille

ravageant tout sur son passage, et sa famille

de busards se gavant de leurs propres charognes

jouissant de leurs rebuts, indignes, sans  vergogne

je ne dors plus ne rêve plus et je me lève

et contemple la nuit qui lentement achève

la toilette du corps décomposé du jour 

d’avant, en espérant un incertain  retour…

(poème du 3 novembre deux-mille vingt

façon d’alarme - en rêvant que ce fut en vain)

Back in the USA – part two

Le Mussolini des McDo ne lâche pas l’affaire !

Il vomit ses discours de haine il jure il vocifère

(Si l’on supporte les odeurs qui sont les nôtres

On a du mal à renifler celles d’un autre)

S’il ne peut faire main-basse sur la Maison

Blanche - dans quelques mois ce sera la prison

En attendant le monde en est débarrassé

C’est déjà ça, on pourrait presque s’embrasser

Bien sûr rien n’est réglé, bien sûr tout reste à faire :

Tenter déjà de l’empêcher de tout défaire…

Pendant ce temps

Pendant ce temps pendant ce temps

comme il peut le monde surnage

nous vivons tous à son image

nous survivons pendant ce temps

pendant ce temps nous aiguisons

nos appétences carnivores

on se nourrit de nos prisons

cependant qu’elles nous dévorent.

le monde est désorganisé

ça gite de partout, ça tangue 

à nous de le recomposer

en poésie c’est par la langue

chaque mot est une fenêtre

par où faire le jour renaître

enfin, peut-être bien

peut-être …

***

Pendant ce temps pendant ce temps

comme il peut le monde surnage

nous vivons tous à son image

nous survivons pendant ce temps

Pendant ce temps sentant que tout le fuit

L’ubuesque puissant roi shakespearien déchu

Seul dans sa tragédie doit se pleurer dessus

Dans le palais désert de sa tête ça bruit

Pourrait casser son jouet et détruire le monde

S’il le pouvait, mais le peut-il ? ça lui résiste

La moitié de son peuple au moins s’oppose et gronde

Sa colère n’en est que plus irréaliste

Seul dans mon lit je transpire une aigre pitié

Pour celui qui ne fut qu’un vulgaire héritier

Méprisé par les siens adoré par des ombres

Porté par une houle étrange où, nu, il sombre

Pendant ce temps pendant ce temps

comme il peut le monde surnage

nous vivons tous à son image

nous survivons pendant ce temps

Pendant ce temps la nuit je rêve que je rêve

Un joyeux Moyen-Age à l’horizon se lève

Comme un soleil sépia enlumine le ciel  

Annonçant un festin des dieux sacrificiel

Sus à la réflexion sus à l’intelligence

Place à tout ce qui nous confine à l’indigence

On ne fait plus le tri du bon grain de l’ivraie

Il n’y a plus de faux il n’y a plus de vari

Tout est affaire de croyance, on a la foi

L’amour la haine on digère tout à la fois

Le cynisme c’est connaitre le prix de tout

et la valeur de rien (Oscar Wilde, interview)

Pendant ce temps pendant ce temps

comme il peut le monde surnage

nous vivons tous à son image

nous survivons pendant ce temps…

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.