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L'académie des sciences montre ses travaux au roi au XVIIe siècle
Ce mois-ci, spécial "histoire des sciences" : dans les débats de la période marquée par des discussions vives autour de la science (quelle est l'autorité de la science dans le domaine médical, quelles sont ses méthodes, comment sont fixées ses normes) Il semble important de rappeler que la science s'inscrit dans une histoire longue, et que la conception qu'on peut avoir de l'activité scientifique n'est pas une donnée immanente mais une construction sociale qui s'inscrit dans la longue durée. De même que les champs des sciences et de la politique pour être distincts n'en communiquent pas moins. La science "pure" dans sa tour d'ivoire n'existe pas
En guise de propositions quelques ouvrages balayant quelques enjeux fondamentaux de l'histoire des sciences. Evidemment, il ne s'agit que d'une proposition et vous pouvez proposer vos propres références dans une démarche participative. Par ailleurs, certains ouvrages n'ont pu être lus à temps (en raison d'incertitudes dans la fourniture desdits ouvrages par la bibliothèque qui nourrit de façon substantielle cet espace) mais le seront prochainement.
De l'activité scientifique comme pratique technique à la science comme idéologie

On parle aujourd'hui de science comme de quelque chose d'évident, de "naturel" qui a toujours existé sous la forme qu'on lui connait aujourd'hui avec ses distinctions sociales (le "chercheur scientifique") ses institutions (l'académie des sciences, le CNRS, les différents espaces de validation des espaces scientifiques), ses revues... Pourtant il n'en a pas été de même dans l'histoire : la science telle qu'on la conçoit a une histoire relativement nouvelle et c'est un des grands mérite de Guillaume Carnino de nous présenter comment ce qui semble exister depuis toujours a été en fait construit patiemment.
Il n'est que de rappeler le message de Rabelais : "Science sans conscience n'est que ruine de l'âme", cette citation souvent rapportée quand on parle des dérives éventuelles de la science. Pourtant Rabelais dans ce passage ne visait absolument pas l'activité scientifique telle qu'on la conçoit actuellement mais les savoirs établis (la science alors ne désignait pas les disciplines qu'on regroupe sous son autorité, mais les "grands auteurs" latins et grecs dont le poids dans le savoir de la renaissance était essentiel.
Et si ce qu'on appelle maintenant science existait déjà, on ne l'appelait pas "philosophie naturelle". Le mot science désigne des "savoirs solides", qu'on ne peut pas remettre en cause. Et à l'époque, le seul savoir "solide" et incontestable était théologique. Comment l'activité complexe qui consiste à élaborer des savoirs à la fois objectifs et solides s'est elle substituée à la religion ?
Guillaume Carmino s'attache surtout à décrire ce tournant qui va prendre une ampleur incroyable vers la fin du XIXe siècle où effectivement le "savoir scientifique" se substitue à la vérité religieuse comme autorité du vrai. C'est l'époque du triomphe incontesté du "positivisme" cette doctrine qui défend l'idée de "savoirs positifs" qui structurent la connaissance qu'on peut avoir de notre monde. C'est que cette involution du savoir refuse à la fois la religion et ses "mystère" (un des fondement de toute religion est qu'il existe une part incontournable d'inconnaissable et d'inconnu) mais tout autant les "savoirs critiques" qui pourtant se développent à la même époque.
Une des étapes importante de cette évolution est la naissance de mythes scientifiques : le "savant" comme démiurge se substituant au dieu barbu (d'ailleurs le savant de cette époque est toujours barbu, et cette misogynie est structurelle pour la constitution de la science comme "nouvelle religion" à partir de la fin du XIXe siècle On connait une des étapes de cette mystification : le "mythe de Galilée" va être inventé à cette époque. Et le "savant démiurge" va prendre les traits de Pasteur et remplacer les saints traditionnels, il va devenir un "saint laïque" via une réécriture de son histoire : on va oublier sa spécialité d'origine (Pasteur n'est absolument pas un biologiste) et ses liens avec l'industrie (il va mettre au point certaines de ses techniques les plus connues avec le travail qu'il va entreprendre pour "l'industrie de la bière" et des outils qu'il met au point pour maitriser les processus de fermentation et de brassage.
Le développement de la science va structurer durablement toutes les idéologies depuis cette époque : évidemment le marxisme va se prétendre "scientifique" mais les fascismes eux aussi vont développer une véritable fascination pour le progrès scientifique et technique. Notre époque hérite directement de cette construction (il n'y a qu'à constater la façon très XIXe siècle auprès de laquelle notre gouvernement envisage la lutte contre la pandémie. Mais aussi comment le "progrès scientifique et technique" est convoqué dans une lecture qui retrouve les linéaments des idéologies mis au point par Auguste Comte (fondateur du positivisme et de la sociologie comme "physique du monde social) et le ton patelin des idéologues du progrès technique.
Référence : Guillaume Carnino l'invention de la science - L'univers historique/Seuil 2015 - 336 pages
La découverte de l'expérimentation : la révolution scientifique du XVIIe siècle et l'expérimentation comme preuve

Simon Schaffer est un des principaux historiens britannique de la "révolution scientifique" qui a secoué l’Europe au XVIIe siècle. C'est à cette époque qu'a été mis au point un élément déterminant de la science, la question et la valeur de l'expérimentation. Actuellement on défend l'idée qu'une science est une discipline ou on prouve son affirmation via une expérience explicite qui prouve la justesse des conclusions du chercheur. Pourtant la valeur de l'expérience n'a pas toujours existé même en physique, la discipline scientifique qui a le plus utilisé les possibilités de l'expérience scientifique comme justificatif d'une théorie scientifique.
Simon Schaffer n'est pas seulement un historien avisé, il a également des qualités de plume qui rendent son ouvrage passionnant. La science devient le récit passionnant d'une aventure humaine avec ses aléas, ses découvertes et ses rencontres. Contrairement aux récits idéalistes qui servent à l'édification du peuple forcément innocent et ignorant, son récit est plein de vie. Il présente de façon brillante et avisée les réseaux de connaissances, les échanges, les voyages, les institutions qui permettent la communication des pairs. Il montre également, là aussi brillamment, comment l'ordre scientifique et l'ordre technique qui se met alors en place s'interpénètrent et s'influencent réciproquement. Les industriels construisent les indispensables outils de mesure. En contrepartie, les connaissances dégagées par les scientifiques font aussitôt le miel de certains industriels. Que l'on pense à la mise en place d'une industrie mécanique basée sur la vapeur ou de l'électricité qui va tout autant bouleverser l'ordre de la science mais aussi celui des productions humaines. Le récit de ces diverses interactions est passionnant, et donne lieu à des développements aux allures d'aventure initiatique.
On y voit progresser la question de l'expérimentation comme preuve au travers de multiples exemple : on suit Newton occupé à justifier les méandre du débit de la Tamise, Haley se pencher sur d'aussi fantaisistes trajectoires, en particulier celles de la comète auquel il a donné son nom. On voit aussi toutes les difficultés de l'opération. Si jusqu'à un certain point, l'expérimentation fonctionne de façon convaincante en physique, il n'en va pas du tout de même en chimie, ou les "preuves" sont à l'époque bien plus difficiles à ré-accueillir. Et ne parlons même pas de la biologie, ou c'est tout simplement impossible à cette époque.
reférence Simon Schaffer - La fabrique des sciences modernes - Le Seuil - 2014 - 446 pages
Peut il exister une science du social ? L'histoire de la sociologie en question

Dès qu'on commence à parler des "sciences historiques et sociales" dans un cadre strictement "scientifique" on trouve forcément des intervenantes et des intervenants pour mettre en cause leur scientificité. Pourtant la sociologie a été conçue à l'origine explicitement comme une tentative d'utiliser la science comme moyen de connaitre "l'univers social" dans lequel l’espèce humaine baigne forcément. Un détour par l'histoire s'impose, pour comprendre comment les "sciences sociales et historiques" ont été fondées, leurs méthodes, leurs critères de scientificité est un ouvrage éclairant et synthétique peut nous ouvrir à une approche plus riche de cette problématique sans tomber dans des simplifications outrageantes et des polémiques inutiles.
C'est la question qui se pose au milieu du XIXe siècle, et c'est à cela que vont répondre Auguste Comte et plus tard Emile Durkheim. La question de la science est tout de suite posée et Auguste Comte en fait une synthèse dans son approche positiviste de la science. Le positivisme d'Auguste Comte prétend que la science doit remplacer la religion mais même l'ensemble des théories philosophiques. Il en découle une vision fermée de la science comme activité de connaissance : la science est d'abord envisagée comme une activité "expérimentale" qui s'appuie sur des preuves solides. Il en découle une vision très hiérarchique des sciences : la physique est présentée comme la "science par excellence" par son origine grecque et l'importance des mécanismes expérimentaux dans l'élaboration des théories et résultats de la physique, la chimie étant bien plus entachée par des bricolages conceptuels, la biologie de son temps étant de ce point de vue très éloignée de l'idéal scientifique tel qu'il le présente. Mais il ne veut pas laisser l'étude du monde social aux divagations (selon lui) des philosophes, et c'est donc pour cela qu'il fonde une nouvelle discipline qui sera appelée "sociologie" par l'essayiste Emmanuel Joseph Sieyès plus connu pour sa participation à la révolution française.
Cette vision "positiviste" va très vite être discutée et contestée non seulement par les praticiennes et praticiens des sciences humaines, mais également par les scientifiques des "autres sciences" que la physique qui contestent la prééminence de cette discipline sur leurs critères de scientificité.
D'autres sociologues auront une approche rompant totalement avec la vision "positiviste" d'une science dérivant de la physique pour ses méthodes et ses valeurs. C'est vrai de certains sociologues français (comme Gabriel Tarde) mais également c'est une conséquence de l'internationalisation rapide de la discipline. En particulier en Allemagne ou un autre sociologue va imprimer une autre marque sur les travaux sociologiques. Les travaux de Max Weber vont en effet ouvrir à une nouvelle vision du social tout en ne renonçant pas au concept de scientificité.
L'histoire de la sociologie est passionnante à la fois par l'ouverture qu'elle donne à de nouveaux questionnements (Norbert Elias et la naissance de la civilisation, l'interactionnisme symbolique etc., mais aussi parce qu'elle entraine forcément une interrogation sur ce qu'est une science, et les rapports que la science entretient avec le reste de la société. On peut évidemment ne considérer comme "scientifique" que ce qu'on désigne comme "science pure" sans rapport avec le reste de la société. Mais une telle science n'existe tout simplement pas ! Et si on renonce a connaitre "scientifiquement" le reste de la société, c'est logiquement qu'on renonce à comprendre la science elle même.
Un des instants de cette crise est peut-être précisément l'existence d'une "sociologie de la science" qui tente (avec plus ou moins de réussite) de comprendre comment la science fonctionne "socialement" : car la science est une "réalité sociale" matérielle avec ses réseaux, ses institutions, ses individus, ses groupes, sa structuration hiérarchisée. Pourtant certaines approches ont entrainé une crise sans pareille des scientifiques des "sciences dures" qui se pensaient remis en cause dans leurs convictions et leur pouvoir, avec une belle ambiguïté entre les deux termes...
Source : Pierre-Jean Simon - Histoire de la sociologie - Presses universitaires de France - 1997 - 826 pages
La science, un savoir ventriloque ; relectures historiques de la science

Pierre Thuillier est un historien des sciences particulièrement important, arrivé après le grand chambardement de mai 68 à une époque ou la "science" classique était remise en cause et en discussion par une bande de furieux contestataire dont il faisait partie (avec le physicien Jean Marc Levy Leblond). Sa définition de la science comme un "savoir ventriloque" destinée à donner la parole à des éléments qui n'en ont pas mérite qu'on s'y attache. Effectivement, un "électron" ou un élément chimique simple n'ont pas la parole, ne disent rien. Si on pense que faire science, c'est écrire (il n'y a pas de science sans écrit) alors on ne peut que constater que cette notion développée par Pierre Thuillier est extrêmement féconde. Il la développe autour d'exemples qui permettent d'ouvrir la discussion loin des apories de l'histoire des sciences traditionnelles forcées de coller à l'idéologie scientiste qui fait des sciences "exactes" l'image même de la vérité.
Ce récit, il le fait comme historien. Il part par exemple du Newton astrologue et alchimiste. La découverte de la "part sombre" de Newton était alors toute nouvelle : on découvrait alors que les travaux personnels de Newton accordaient une importance démesurée à Hermes Trismégiste ou passe son temps à élaborer des prévisions astrologiques. Une attitude fine de la part de Pierre Thuillier permet de rendre cohérent une attitude qui conjuguait références à un "passé magique" et rigueur absolue de la recherche scientifique.
Une autre de ses études extrêmement éclairante est celle qu'il effectue autour de Marat. On connait surtout Marat par son assassinat par Charlotte Corday moins par son importance dans la révolution française. Et la plupart des gens ignoraient son passé de "scientifique", mais un scientifique "en colère" se croyant persécuté par "l'académie des sciences" qu'il n'a cessé de poursuivre de son courroux !
Mais sa recherche scientifique s'ouvre aussi à des enjeux plus récent. Il montre par exemple comment les physiciens d'abord alléchés par les enjeux du nucléaire vont ensuite se mobiliser contre son usage militaire ; et comment ce changement d'attitude entraine une poussée "irrationnelle" vers des philosophies extrême-orientale à forte charge religieuse.
Au final une vison "ouverte" de la science qui permet une vision tout a fait opératoire des enjeux actuels autour de la science.
Référence Pierre Thuillier - Les Savoirs Ventriloques ou comment la culture parle au travers de la science - seuil - 1983 - 188 pages
Sciences et médecine : un détour par le cancer

La médecine est elle une science ? La question reste ouverte. Il semble établi en occident que la médecine est au moins "scientifique" c'est à dire qu'elle prend appui sur les connaissances scientifiques de son époque et qu'elle cherche à rechercher les causes des dégâts qu'elle a pour mission de réparer.
Le cancer semble être un excellent outil pour mesurer comment la science s'inscrit dans ces enjeux de santé publique. Ne serait-ce que parce qu'il existe deux sortes de cancers profondément dissemblables : les cancers "sanglants" (opérables par un chirurgien) et les cancers inopérables, qu'il s'agisse de cancers trop profondément implantés ou mettant en jeu des fonctions vitales (il est souvent impossible d'opérer un cancer du cerveau ou du poumon) et les autres cancers qui ne peuvent être vaincus que par des moyens chimiques ou par des rayons X (les différents cancers du sang et de la lymphe par exemple, par nature inopérable).
Les premiers progrès contre le cancer viennent des chirurgiens qui opèrent certains cancers qui sans leur intervention aboutissaient à une mort certaine. Ce n'est pas sans conséquences puisque l'échec est souvent au rendez-vous et que les incertitudes restent nombreuses.
Au niveau de la médecine, le rapport des chirurgiens avec la science est particulier. Leur "efficacité opératoire" n'est en effet assez peu en rapport direct avec les progrès de la biologie, contrairement à ceux des médecins qui dépendent de la pharmacopée pour garantir une certaine efficacité.
Là ou la médecine est en rapport direct avec la science, c'est en ce qui concerne la mise au point des chimiothérapies. Toute une série de cancers ne sont pas traités en utilisant des gestes chirurgicaux forcément invasif ou de la radiothérapie qui ne permet pas l'action sur des cancers diffus : leucémies, myélomes ou lymphomes. La chimiothérapie va avoir une histoire longue, compliquée et douloureuse : les traitements sont difficiles à mettre au point, leur effets secondaires sont redoutables, souvent pire que le mal qu'elles tentent de combattre, leur effet est souvent provisoire.
Mais surtout la mise au point de traitement médicamenteux oblige à s'interroger sur la nature de la maladie, ses mécanismes profonds, la façon dont un cancer gagne un organe, la manière et les mécanismes avec lesquels il gagne le reste de l'organisme.
Au final, c'est aussi une formidable histoire scientifique. Mais c'est surtout une formidable aventure humaine. Le rédacteur de cet essai est oncologue, et il fait bien ressentir le mixte d'empathie face à ses patients et de détachement qui est nécessaire, sans cesser de se poser des questions scientifiques dont la réponse n'est jamais une garantie d'efficacité.
Référence : Siddartha Mukherjee - L'empereur de toutes les maladies, une biographie du cancer - Editions Libre Champs - 2016 - 830 pages
Le livre du mois : "Les gardiens de la raison"

Le livre en question écrit par un journaliste scientifique du Monde, une spécialiste des lobby technoscientifiques et un sociologue auteur d'importants travaux sur le mouvement rationaliste en France n'est pas un livre d'histoire des sciences, mais il s'inscrit parfaitement dans la logique qui a présidé à ce choix : la science est en effet de plus en plus saisie par des intérêts privés qui l'orientent et quelquefois la manipulent. On le voit bien actuellement, avec les débats qui font rage autour du covid-19.
Mais d'autres débats font tout aussi rage : ceux autour du réchauffement climatique par exemple, ou ceux autour des pesticides. Il y a matière à débats passionnés mais aussi intervention de lobbys défendant les intérêts particuliers de quelques firmes multinationales. On parle beaucoup de "Big Pharma" mais d'autres firmes tout aussi puissantes cherchent à orienter le débat scientifique.
En France, elles interviennent dans un paysage historiquement constitué autour de valeurs "progressistes" de "raison", de "scientisme". La France est par exemple connue comme étant la figure de la vulgarisation scientifique. On a par exemple quatre revues scientifiques de vulgarisation, de nombreux sites web, des passionnés extrêmement présents dans les réseaux sociaux (Facebook et Twitter, mais aussi Youtube )
Les auteurs de cette étude remarquable constatent une modification substantielle des modes de lobbying utilisés par les industries technoscientifiques : alors que leurs actions de manipulation ciblaient les "décideurs" et les scientifiques eux même, ils ont décidé de s'adresser au grand public en utilisant de façon plus ou moins consciente ce groupe de passionnés et de "gardiens de la raison".
Une association est particulièrement ciblée car elle constitue en effet le fer de lance en France de cette démarche : l'AFIS l'association française pour l'information scientifique. Il s'agit d'une association "historique" qui s'est constituée pour combattre "l'irrationnel dans la société" en donnant à connaitre la démarche scientifique. Or si on suit leur activité on ne peut que constater une modification profonde de leurs cibles.
A l'origine, leur principale cible sont les "pseudo sciences", avec comme cibles principales l'homéopathie et les "médecines parallèles" qui remportent un succès fulgurant à l'époque de la création de l'AFIS (1968). Mais à partir des années 90, les cibles changent de nature. La mutation va être complète quand l'AFIS s’investit dans le débat des plantes génétiquement modifiées (OGM) C'est là ou les firmes (et particulièrement Monsanto, le principal intervenant dans ce secteur) comprend l'utilité d'utiliser ces groupes de gens "rationalistes". Cela déclenche d'ailleurs une crise importante à l'AFIS qui se solde par le départ de certains des membres fondateurs de l'association.
Il y a également d'autres structures concernées par cette mutation. Le secteur des nombreux intervenantEs sur Youtube (ou les chaines scientifiques sont nombreuses) est recherché. Il y a également des intervenants spécifiques dont le rôle est déterminant pour expliquer au grand public tout le mal qu'on peut penser du "dangereux principe de précaution" ou du manque de consistance scientifique de la notion de "réchauffement anthropique" sans oublier le féminisme dénié au nom d'une vision simpliste de l'évolution. Un long chapitre est ainsi consacré a Gérald Bronner dans son attaque contre "le principe de précaution" et de façon générale toute vision critique de la mise en œuvre des "technologies" mais aussi un autre à Peggy Sastre dans sa condamnation des "idéologies féministes" au nom d'une vision "évolutionniste" des problématiques de genre.
Au centre de cet ensemble une maison d'édition, Humensciences. Né de la fusion de deux éditeurs historiques de science, Belin et les presses universitaires de France sous la houlette de Dennis Kessler propriétaire de Scor, multinationale spécialisée dans la "réassurance" et connu pour son action centrale au sein du patronat français. Idéologiquement Denis Kessler est au centre d'une vision privilégiant "le risque" au détriment "du confort". Évidemment, le risque est surtout pour les autres. Beaucoup de commentateurs se sont posés la question : pourquoi donc une société de "réassurance" investit elle dans le domaine de l'édition de vulgarisation scientifique. Il faut rappeler ce qu'est une compagnie de réassurance : elle "assure les assureurs" quand ceux ci ne peuvent plus faire face à leurs engagements. C'est en cela que la science est importante pour ce secteur, en raison d'une explosion du "risque technologique". Par exemple Scor a beaucoup communiqué sur le covid-19 qui a "boosté" son activité. La boucle est bouclée quand Humensciences prépare à grand coups de communication "son" ouvrage pour la rentrée avec comme référence vedette : Didier Raoult. La science est un sport de combat. Bien entendu, lui aussi est un "risquophile"...
Tout cela intervient dans le cadre d'une profonde mutation en cours dans ce milieu. Historiquement le "camp de la raison" était lié aux idéaux "de gauche", progressistes. Ces courants pouvaient incarner un scientifisme perclus de certitudes, ils n'en défendaient pas moins un monde ou progrès scientifique et technique et progrès sociaux allaient de pair. Or sous l'influence des principaux lobbys liés à une mouvance libertarienne voir franchement "conservatrice" issus des États-Unis et l'influence de courants "risquophiles" bien français, ce lien "historique" tend à se dissoudre, et les idéaux progressistes transmutent en une bouillie dont le seul point commun est le refus de toute approche critique de la société.
En guise de conclusion, on remarquera que l'ouvrage écrit avant l'arrivée de la pandémie de Covid-19 ne parle absolument pas de celle ci (et pour cause) mais qu'il donne des outils pouvant parfaitement être utilisés dans la discussion sur celle-ci. En particulier le passage de lobby "influençant les décideurs" à une stratégie d'influence via le grand public et les réseaux sociaux parait totalement d'actualité, et devrait nous inciter au moins à la prudence...
Référence : Stephane Foucard Stephane Horel Sylvain Laurens - Les gardiens de la raison enquête sur la désinformation scientifique - Edition La Découverte 2020 - 367 pages