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Billet de blog 13 déc. 2018

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Après les rétropédalages, Bolsonaro maintient le cap de son programme environnemental

« Carbo-fasciste », « climato-sceptique », « menace » voire « apocalypse »... L’élection de Jair Bolsonaro n’a pas laissé indifférente la presse internationale. Après les rétropédalages au lendemain de son élection, son équipe ministérielle est au complet. Elle s'est achevée sur la nomination de son Ministre de l'Environnement. Qui est-il?

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Près de 5 semaines après les rétropédalages au sujet de la fusion des ministères de l’environnement et de l’agriculture, le nouveau chef de file du Ministère de l’environnement brésilien a été annoncé dimanche dernier, le 9 décembre. Ironie du sort pour un ministère qui devait disparaître, et pour un sujet que le nouveau président souhaitait reléguer aux marges de son action gouvernementale, puisque cette nomination, qui constitue la dernière de son gouvernement désormais composé de 22 ministères, a largement mobilisé l’attention. Le choix du ministre était en effet devenu « difficile » de l’aveu même de Jair Bolsonaro après le refus pour motifs personnels d’Evaristo de Miranda, pourtant plébiscité par les représentants de l’agrobusiness au Congrès (bancada ruralista).

À la recherche d’un ministre « Bolsonaro-compatible » et non « radical »

  « Nous cherchons celui qui s’adapte le mieux à ce que je souhaite, c’est à-dire, à une préservation de l’environnement qui ne porte pas préjudice aux autres activités [économiques] » déclarait le nouveau président début décembre. Ne pas opposer environnement et agriculture : un adage bien connu du discours agricole « moderne » qui a vu dans le verdissement progressif du secteur de nombreuses opportunités économiques à saisir. Une rhétorique habile et consensuelle qui tranche avec le ton péremptoire adopté pendant la campagne. Une communication, pourtant, en forme de parenthèse alors que le nouveau président ne perd aucune occasion, ces dernières semaines, de rappeler, dans le prolongement de sa campagne, sa volonté de dénoncer l’ « activisme radical » et l’ « idéologie » des institutions environnementales, pas même la polémique déclenchée au lendemain de son élection au sujet de la fusion, et son rétropédalage contraint.

La solution était pourtant toute trouvée. Quelques jours après la polémique, Jair Bolsonaro propose en effet à Evaristo de Miranda la direction du Ministère de l’Environnement. Chercheur à l’Embrapa (l’équivalent de l’INRA au Brésil) depuis les années 1980, cet agronome et écologue de formation (qu’il réalise en France), s’est illustré depuis une dizaine d’années pour ses positions favorables au secteur agricole conventionnel, contribuant par ses publications à la construction de la rhétorique d’un agrobusiness « gardien » de l’environnement, notamment au cours de la période qui devait conduire à la réforme du Code Forestier (2009-2012). Il est ainsi devenu la caution scientifique de l’argumentaire ruraliste, un soutien que le lancement de son dernier ouvrage « Nuances de vert : la durabilité de l’agriculture au Brésil » (traduction du titre original) par le Front Parlementaire de l’Agriculture en avril 2018 rend explicite. Largement plébiscité par les représentants de l’agrobusiness, tels que l’actuel ministre de l’agriculture Blairo Maggi ou sa successeure Tereza Cristina Dias, chef de file du Front Parlementaire Agricole, l’intéressé décline pourtant l’offre le 15 septembre, pour motifs personnels.

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Evaristo de Miranda © Abapa. En ligne : https://canalrural.uol.com.br/noticias/meio-ambiente-evaristo-industria-multas/

Jair Bolsonaro et son gouvernement de transition consultent alors un certain nombre de personnalités à la recherche du candidat idéal. Une dizaine de noms circulent dans la presse : du profil le plus modéré au plus climato-sceptique. Parmi ces noms on trouve ainsi des profils « ruraliste compatible » tels que celui d’Evandro Gussi, affilié au Parti Vert en raison de son soutien au secteur des biocombustibles, mais favorable à la diminution des sanctions environnementales et au respect de « ceux qui produisent ». Une position « modérée » dans la ligne du profil de Paulo de Bessa Antunes, avocat, spécialiste du droit de l’environnement partisan d’une solution alternative aux « extrêmes ». Une position partagée par Xico Graziano, agronome, ancien chef de cabinet du gouvernement Fernando Henrique Cardoso, secrétaire de l’agriculture et de l’environnement de l’État de São Paulo de 2007 à 2010, qui prône la fin de l’opposition entre « produire et conserver » à travers un nouveau paradigme qu’il appelle l’« agro-environnementalisme ». D’autres profils sont également consultés, tels que celui d’Alexandre Silva Saraiva, superintendant de la police fédérale de l’État d’Amazonas depuis 2017, auparavant au même poste dans les États du Roraima et du Maranhão, ou encore Ricardo Soavinski, océanographe, chercheur à l’Université Fédérale du Rio Grande, collaborateur de l’Ibama [1] et du Ministère de l’Environnement à plusieurs reprises et président de l’ICMBio [2] de 2016 à 2018. Ces derniers jours, ce sont pourtant les noms de deux personnalités plus « ruralistes-convaincues » qui avaient circulé. D’abord celui de Ricardo Augusto Felício, professeur de géographie à l’Université de São Paulo, formé en météorologie, négationniste climatique notoire, qui dénonce depuis plusieurs années ce qu’il appelle l’ « obsession » ou la « comédie » du changement climatique. À ce profil polémique, le nom de l’avocat Ricardo de Aquino Salles a semble-t-il été préféré. Pourquoi ?

Ricardo Salles, le profil idéal. Un Bolsonaro peut en cacher un autre

Avocat de formation de 43 ans, Ricardo de Aquino Salles s’est fait connaitre à travers sa contribution à la création du Mouvement Endireita Brasil (littéralement « Droitiser le Brésil ») en 2006, un mouvement qui défend le libéralisme économique, la privatisation et l’État minimal, mais aussi un ordre moral conservateur, à travers un « renouvellement politique » antipétiste avant l’heure. S’il n’a jamais été élu malgré ses diverses tentatives, il devient d’abord Secrétaire particulier du gouverneur de l’État de São Paulo Geraldo Alkmin entre 2013 et 2014, celui-ci le nommera ensuite Secrétaire de l’Environnement (SMA) entre juillet 2016 et août 2017. Selon l’Observatoire du Climat (OC), un regroupement d’ONG, son bref passage à l’environnement aurait été marqué par un « démantèlement de la gouvernance environnementale de l’État de São Paulo ». Un projet d’ouverture de concessions privées pour des activités touristiques et l’exploration de bois, au sein de 34 zones en forêt (certaines étant des forêts publiques, les autres, des stations expérimentales, étant gérées par l’Institut Forestier lié au SMA) aurait notamment été au cœur des tensions avec les environnementalistes. Sur son blog « Medium » l’ex-secrétaire évoque pourtant certains résultats de son mandat, parmi lesquels la mise en œuvre du programme « Décharge Zéro » qui aurait permis une réduction significative du nombre de décharges dans l’État de São Paulo, mais aussi le programme « Sources d’Eau » (Nascentes), qui aurait permis la restauration de la végétation de 7000 ha en bord de cours d’eau. Pourtant ce n’est pas sur un bilan positif qu’il est amené à quitter son poste en 2017, sous la pression de  son parti, le Partido Popular (PP), visé par une action civile du Ministère Public, pour des accusations relatives à des modifications réalisées sur les cartes et le plan de gestion de la Zone de Protection Environnementale du Rio Tietê, au profit d’industries et d’entreprises d’exploitation de minerais.

Illustration 2
Ricardo de Aquino Salles © Maurício Garcia de Souza (Assemblée Législative de São Paulo). En ligne au lien suivant: https://brasil.elpais.com/brasil/2018/12/09/politica/1544379

Au-delà de ces courts passages au sein des institutions publiques, Ricardo Salles a occupé des postes divers tournés vers le secteur agricole et industriel, en tant que vice-président de la Chambre Officielle Espagnole de Commerce au Brésil, ou bien en tant que directeur juridique de la Société Rurale Brésilienne (SRB), ou encore en tant que conseiller et directeur de l’Institut Brésilien de la Concurrence, du Commerce International et des droits des Consommateurs (Ibrac). Ces diverses activités lui ont valu un soutien expressif de ces secteurs lors des récentes élections législatives à laquelle il se présentait sous la bannière du Parti Novo. Salles serait ainsi le deuxième candidat à avoir reçu le plus de dons pour sa campagne, sans grand effet cependant dans les urnes puisqu’il n’a récolté que 0,17 % des votes. Pourtant, alors que son nom circule pour le Ministère de l’Environnement, il obtient encore l’appui formel de la SRB, mais aussi de l’Union de l’Agro-industrie Sucrière (Unica) et de la Fédération des Industries de São Paulo (Fiesp) à travers une lettre adressée au nouveau président.

Il faut dire qu’au-delà de son expérience, ce sont bien les positions politiques et idéologiques de Ricardo Salles qui en ont fait un candidat crédible pour les segments de l’agrobusiness et de l’industrie précédemment cités, ainsi que pour Bolsonaro. Salles considère en effet que l’ agrobusiness est « menacé » au Brésil. Ses idées, que l’on a pu retrouver ici et là au sein d’articles, dans des entretiens ou des interviews audios, montrent un alignement presque parfait des positions de l’avocat avec celles du candidat Bolsonaro. Cela est vrai au sujet de l’antipétisme, de l’ingérence étrangère dans les affaires du pays, des divers freins au développement résultat en partie de pressions environnementales « extrémistes ». Cela est encore vrai au sujet du Mouvement des Sans Terre (MST) et des « bandits » voleurs de tracteurs ou de terres, positions sur lesquelles il a fait récemment campagne. Cela est toujours vrai lorsqu’il choisit d’axer sa campagne sur la violence et propose les cartouches de fusil (balas) en réponse aux « plaies » qui frappent selon lui le producteur rural.

Son affiche de campagne est à ce titre particulièrement explicite (voir ci-dessous). Les plaies sont successivement représentées par une photo de sanglier (javali), emblème des dégâts causés par les animaux dans les cultures agricoles, une photo représentant des militants du MST, qui à travers leur occupation « illégale » de terres, cherchent à faire pression sur les propriétaires terriens et les pouvoirs publics pour s’y installer, une photo de matériel agricole à laquelle sont associés des « voleurs », et enfin une photo représentant un « bandit ». L’affiche (et à travers elle, Ricardo Salles) suggère par l’intermédiaire des flèches auxquelles sont reliés ces images, que l’utilisation des cartouches, et donc, le recours à la violence, pourrait résoudre tous ces problèmes. Un message que le slogan « tolérance zéro » en haut à droite de l’affiche vient renforcer. Inutile de rappeler ici les propos chocs du candidat Bolsonaro largement commentés par la presse lors de la campagne : sur la forme comme le fond, Salles constitue ainsi un candidat idéal pour le nouveau président.

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Affiche de campagne de Ricardo Salles aux législatives d'octobre 2018 © En ligne au lien suivant : https://www.brasildefato.com.br/2018/08/17/candidato-do-partido-novo-incita-violencia-contra-sem-terra-em-redes-sociais/

Deux ministères séparés pour un seul et même projet 

Dans une lettre publiée sur son site internet, l’Observatoire du Climat, qui regroupe un ensemble expressif d’ONG au Brésil, considère que la nomination du nouveau ministre de l’environnement correspond à l’entrée d’un « ruralisme idéologique » au sein d’un Ministère qui n’aurait plus d’environnement que le nom. Cette nomination représente en effet pour le groupement d’ONG la mise en action du projet de Jair Bolsonaro : devant l’impossibilité d’opérer une fusion des deux ministères, la nomination d’un candidat ruraliste-compatible au Ministère de l’Environnement devrait permettre d’opérer un certain nombre de changements depuis l’intérieur. Si l’Observatoire du climat évoque la « subordination » du Ministère de l’Environnement au Ministère de l’Agriculture, on a plutôt l’impression que les deux ministères sont les deux faces d’une même pièce, d’un même projet. Il suffit pour s’en convaincre de revenir sur certaines aspirations de l’agrobusiness que la nouvelle ministre de l’agriculture, présidente du Front Parlementaire pour l’Agriculture a prévu à son agenda pour les mois et années à venir.

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Tereza Cristina Dias, leader du Front Parlementaire Agricole, apporte son soutien à la candidature de Jair Bolsonaro © Rafael Carvalho. En ligne au lien suivant: https://revistagloborural.globo.com/Noticias/Politica/noticia/2018/11/bolsonaro-defende-tereza-cristina-ela

Il est en effet possible de relever un certain nombre de sujets sur lesquels les deux ministres présentent des positions similaires (avec la bénédiction de Jair Bolsonaro). Pour le nouveau président, « l’industrie de l’amende » de l’Ibama constitue l’expression d’un « terrorisme » environnemental auquel il est temps de « mettre fin ». Salles considère de son côté que les amendes sont parfois attribuées « sans fondement », et en veut pour preuve le « manque » de données précises concernant la déforestation, qui constitueraient une limite pour identifier les contrevenants. Tereza Cristina pense de son côté qu’il faudrait proposer une nouvelle approche : celle de l’« éducation » au lieu de la « punition ». Le même type de rapprochement peut également être effectué au sujet du processus d’obtention des licences environnementales, considéré par tous comme trop long, trop bureaucratique ; ou encore au sujet de l’utilisation des pesticides considérés comme étant l’objet d’un procès injuste, alors qu’ils constitueraient la condition sine qua non de la productivité brésilienne.

La boucle est bouclée ?

Après un départ quelque peu chaotique sur le plan environnemental, le nouveau président cherche à donner des gages à ses soutiens de campagne et à maintenir le cap de son programme environnemental. À cet égard, pas de surprise : les nominations, espérées ou redoutées correspondent au profil attendu et annoncé lors de la campagne. Elles constituent à l’évidence un mauvais signal et une préoccupation pour les défenseurs de l’environnement, dans un contexte d’urgence climatique.

Pourtant, aussi bien Ricardo Salles que Tereza Cristina pourraient être mis en difficulté au sujet de schémas de corruption, le premier au sujet de l’affaire de la zone environnementale citée précédemment, et la deuxième, pour avoir reçu de l’argent sale de la part d’un propriétaire de terre accusé de l’homicide d’un leader indigène.

En outre, le président nouvellement élu devra gouverner par alliances, et compter sur une bancada ruralista également touchée par le renouvellement politique (99 députés réélus sur 218, alors que la chambre compte 513 sièges). D'ailleurs, le nouveau chef de file du FPA, Alceu Moreira, a déjà annoncé que la bancada ruralista ne serait pas l’alliée « automatique » du gouvernement. Même si le gouvernement n'a pas a priori d'inquiétudes à avoir, on peut tout de même se demander si le malaise soulevé par la fusion des ministères constitue une exception, ou si elle n’est que la partie émergée d'un malaise plus profond (voire de divisions). Pour l'instant, le nouveau gouvernement bénéficie d'un large soutien. Le retrait de la candidature brésilienne pour l'organisation de la COP 25 (à quelques jours de l'ouverture de la COP 24 à Katowice en Pologne) n'a pas fait de remous, et les récents propos du président sur le possible maintien du Brésil dans l'Accord de Paris ("sous condition") remettent à plus tard cette question polémique (et cherchent à calmer les esprits). Si la ministre de l'agriculture a déjà annoncé à plusieurs reprises qu’elle n'était pas favorable à la sortie de l'Accord, Ricardo Salles a quant à lui exprimé un point de vue pour le moins vague mettant l’accent sur la « sensibilité » du dossier et rappelant le caractère non négociable de la « souveraineté nationale », avant de pencher timidement en faveur d'un maintien. 

Enfin, si les décisions du Brésil sur le plan environnemental ont un retentissement international, reste à savoir jusqu’où les pays importateurs de marchandises brésiliennes seront prêts à aller dans l’exigence de garanties environnementales. Le président français, Emmanuel Macron a par exemple indiqué fin novembre qu’il n’était « pas favorable à la signature d’accords commerciaux avec des puissances qui ont annoncé qu’elles ne respecteront pas l’Accord de Paris ».

Ironie du sort pour la question environnementale qui avait été largement écartée des sujets prioritaires pendant la campagne, et que le candidat Bolsonaro souhaitait reléguer aux oubliettes: elle semble désormais bel et bien inscrite à l'agenda. Un sursaut environnemental de la société civile brésilienne est également possible.

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[1] L'Institut Brésilien de l'Environnement et des Ressources Naturelles Renouvelables (Ibama) est connu pour son rôle de police environnementale.

[2] L'Institut Chico Mendes de Conservation de la Biodiversité (ICMBio) gère les parcs nationaux et les réserves écologiques.

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* Marion Daugeard est actuellement doctorante au Centre de Recherche et de Documentation sur les Amériques (CREDA) de l’Université Paris 3-Sorbonne Nouvelle, en partenariat avec le Centro de Desenvolvimento Sustentável (CDS) de l’Universidade de Brasília (UnB).

Articles récemment publiés en lien avec le sujet: 

Marion Daugeard, "Bolsonaro rétropédale : la fin des préoccupations environnementales ?", Blogs Mediapart. URL: https://blogs.mediapart.fr/marion-daugeard/blog/021118/bolsonaro-retropedale-la-fin-des-preoccupations-environnementales

Marion Daugeard et François-Michel Le Tourneau, « Le Brésil, de la déforestation à la reforestation ? », Géoconfluences, octobre 2018.
URL : http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-thematiques/changement-global/articles-scientifiques/bresil-deforestation-reforestation

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