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Billet de blog 29 janv. 2023

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Inflation, pénuries : Où en est la Tunisie ?

Près de Tunis, un marchand de fruits et légumes s’est tué fin septembre. Il est le symbole d’un peuple condamné à survivre en ces temps d’inflation croissante et de pénurie de denrées de première nécessité.

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Ce triste destin fait immédiatement penser à celui de Mohamed Bouazizi, vendeur de fruits, lui aussi. Le 17 décembre 2010 à Sidi Bouzid, cet homme de 26 ans s’était immolé par le feu pour protester contre la confiscation de sa marchandise par les autorités. Son geste avait déclenché la révolution dans le pays menant à la destitution, le 14 janvier 2011, du dictateur Ben Ali et aux révoltes du Printemps arabe. 

Plus de dix ans après la révolution contre la dictature de Ben Ali, le pouvoir glisse à nouveau dans les mains d’un seul homme. En 2021, Kais Saïed a limogé son Premier ministre, a suspendu le Parlement et s’est donné les pleins pouvoirs. Dans une tentative de légitimer son auto-coup d’Etat l’année dernière, Saïed a rédigé une nouvelle version de la Constitution cette année. Même si sa cote de popularité est en baisse, Saïed suscite encore un brin d’espoir au sein des classes les plus pauvres. L’espoir d’un changement demeure toujours, mais rien ne vient.

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Des Tunisiens crient des slogans alors qu’ils manifestent contre le président tunisien Zine al-Abidine Ben Ali à Tunis le 14 janvier 2011. © REUTERS/Zoubeir Souissi

Des pénuries alimentaires à répétition

Ce suicide est donc le symbole d’un peuple qui survit comme il peut, cette mort représente plus de 4 millions de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté, soit un tiers de la population. «En Tunisie, ils veulent seulement manger », répète Abdel, tunisien de 48 ans, en France depuis 20 ans mais qui ne peut pas s’empêcher de penser à son pays, tous les jours. 

“Au-delà de ce cas particulier, c’est tout le pays qui est en crise” dit-il. “ La Tunisie ça ne se réforme pas… Aujourd’hui ce qui est sûr c’est que son économie est à bout de souffle. Je suis triste, quand je vois ça, je me dis que la Tunisie est tombée bien bas. J’ai de la chance d’être parti mais je culpabilise aussi. J’ai laissé du monde derrière moi, ils ne sont pas morts mais j’aurais pu faire mieux et prendre soin d’eux. Après, pour construire une famille il faut de l’argent, et en Tunisie c’était compliqué pour moi, il fallait que je parte. La nourriture c’est la base, on est même pas certains d’y avoir accès maintenant”

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Un rayon vide dans un supermarché de Tunis. Septembre 2022 © JIHED ABIDELLAOUI/REUTERS

Dans de nombreuses épiceries et divers commerces, l’heure est aux rationnements et aux ruptures de stocks. Yaourts, café, lait, huile, sucre, semoule, riz… manquent à tour de rôle. Idem pour les packs d’eau minérale. 

Elyes le frère d’Abdel tient une épicerie à Hammamet, ville très touristique du pays : “C’est dur, avant je n’avais même pas le temps de m’asseoir, maintenant il y a beaucoup moins de monde. Les prix ont augmenté et les gens me tiennent pour responsable, mais moi je dois vivre aussi. Mon loyer monte, mes fournisseurs augmentent les prix, je n’ai pas le choix. Et puis à côté je ne fais plus rien, je travaille et je dors, c’est tout.” 

Face à ces pénuries répétées, ce pays de 11 millions d’habitants est au bord de la banqueroute, la pandémie de Covid puis le conflit ukrainien ayant mis en péril ses finances. Pour renflouer ses caisses, la Tunisie a obtenu une aide d’1,9 milliard de dollars du FMI. De quoi espérer, encore… “Personne ne sait où va cet argent” dit Abdel en rigolant.

Des grèves, partout

Le sentiment d’abandon par l’Etat s’étend dans tous les domaines du pays. Des écoles primaires ferment leurs portes faute d’enseignants suppléants en nombre suffisant pour assurer les cours. Près de 4 000 remplaçants sont en grève depuis la rentrée scolaire car ils n’ont pas été payés. Certains protestent aussi contre la faiblesse des salaires et l’absence d’embauche après des années de métier. 

Leur mouvement témoigne également des problèmes récurrents des finances publiques tunisiennes : la masse salariale de la fonction publique, qui représente près de 16 % du PIB, ne permet pas davantage de recrutements dans un pays aujourd’hui plombé par la dette.

Si ces phénomènes sociaux restent pour le moment isolés, ils témoignent d’une ambiance tendue dans le pays, dont le président pourrait finir par faire les frais.

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© Fethi Belaid / AFP

Abdel n’est pas résigné, en tout cas il ne l’avouera sûrement jamais. En Tunisie on veut croire au changement, on veut croire aux beaux jours. “Ça va changer oui” lance Abdel persuadé. “De toute façon on ne peut pas rester comme ça, à attendre. Et puis si vous regardez c’est pareil dans plein d’autres pays la crise nous touche tous. Le seul problème c’est le gouvernement qui n’agit pas. Moi je n’ai plus confiance en Saïed. De nombreux Tunisiens regrettent même Ben Ali.”

Si de nombreux Tunisiens lorgnent donc vers un monde révolu, les autres préfèrent espérer et attendre, ou n’attendent plus rien justement. Ici en Tunisie on garde le sourire ou en tout cas on essaye. Peut-être que le prochain printemps délivrera enfin les fruits d’une révolution, qui aura bientôt 12 ans.

Matteo TRABELSI

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