Disons-le, je suis sortie de Licorice Pizza un peu triste tant j'avais misé sur ce film. Triste cas restée de marbre. Avec Licorice pizza c'est le Paul Thomas Anderson (PTA) de Boogie nights que j'ai retrouvé, et il n'est pas mon préféré. Celui qui a du génie cisaille les rapports de force et les restitue à la fois avec crudité et une certaine subtilité. Parfois PTA voit tout, il saisit tout. Il donne alors la chair de poule. Parfois il s'adonne sciemment au seul plaisir de la forme et du rythme et cède alors à la facilité. Un coup sur deux. Perdu. Ici, malgré le foisonnement scénaristique, rien ne semble jamais complexe ni équivoque. Les personnages et leurs relations sont ou bien effleurés, ou bien trop explicites. Comme cette grande sœur dont l'heroïne Alana dit qu'elle est parfaite, raisonnable et à qui elle reproche de critiquer ses choix amoureux, mais qu'on ne fera plus qu'entrapercevoir. La mécanique psychologique est simple. En entrant en scène, chacun donne le ton dès ses premières répliques (c'est leur fonction). Aucun doute n'est possible, rien n'hésite. La virtuosité formelle, indéniable, du réalisateur fait le reste. Elle occupe littéralement l'espace et le temps du film. Tout cela donne lieu à des scènes de faible intensité. Amer et anisées peut-être (licorice signifie réglisse) ; colorées, cocasses, sûrement. Mais sans intensité.
Gary (Cooper Hoffman), le jeune héros du film tombé amoureux d'Alana au premier regard, avait par exemple quelque chose, y compris physiquement. Il apparaît tour à tour enfantin, sérieux, un peu pataud, séduisant. Les traits du père défunt (Philip Seymour Hoffman), que l'on reconnaît au détour d'un plan, contribuent sans doute à l'émotion de voir un acteur naître devant nous. Mais finalement, le personnage qu'il joue reste esquissé. Il est souvent très sûr de lui. Pourtant on ne perçoit pas ce qu'il peut faire de ce trait de caractère. Il monte des affaires, choisit à 15 ans la femme de sa vie et soudain ruine toutes ses chances sur un coup de tête. D'où lui vient son assurance ? Jusqu'où pourrait-il aller ? Qu'est-ce qui le meut au juste ? On ne le saura pas. De toute facon, après un début de film empli de sa présence prometteuse, il s'efface peu à peu pour finalement perdre presque toute épaisseur.
Bien sûr il y a quelques moments amusants. Le coup de coussin derrière la tête de la vieille star méchante, exploiteuse d'enfants ; Bradley Cooper en sale type ; Sean Penn en sale type ; une descente de camion en marche arrière et silencieuse, à couper le souffle ; le sosie de Justin Trudeau en politicien impeccable et progressiste (cachant par ailleurs son homosexualité pour pouvoir être élu : la scène du restaurant est un des moments forts du film. Wachs s'avère avoir manipulé Alana, dont on voit le cheminement, de l'excitation d'être la petite bénévole désignée par le chef à la déconfiture). Et puis il y a Life on mars entre deux séquences. Mais comme il en faut pour tous les goûts et que PTA n'a jamais peur de trop en faire, ceux qui sont plutôt The doors en ont aussi pour leur argent.
Les critiques sont dithyrambiques. Toutes parlent de nostalgie. La nostalgie sous la plume d'un critique est souvent synonyme de profondeur. Que la nostalgie à mes yeux ne soit pas un sujet est une chose toute personnelle. Mais si celle-ci porte réellement le film, à vrai dire je ne l'ai pas perçue. Plus simplement, j'ai vu une jolie histoire avec une fin volontairement à l'eau de rose, dans la plus pure tradition de la comédie sentimentale américaine. Voilà qui s'appelle un rendez-vous manqué. Un sacré lapin, même.