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Billet de blog 11 mars 2019

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Compatibles, incompatibles et écartés. Le mur numéro 78 se trouve au Sahel

Quand celui de Berlin tombait en morceau pour les collectionneurs ils étaient juste 15. A la fin de la deuxième guerre mondiale les murs recensés n’étaient que 7. De 1989 à nos jours les murs officiels sont, selon la géographe Elisabeth Vallet, au moins 77.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Quand celui de Berlin tombait en morceau pour les collectionneurs ils étaient juste 15. A la fin de la deuxième guerre mondiale les murs recensés n’étaient que 7. De 1989 à nos jours les murs officiels sont, selon la géographe Elisabeth Vallet, au moins 77. Ce chiffre risque d’être bientôt dépassé à cause des prochains événements des géopolitiques mondiales. Celui envisagé par Donald Trump, à la frontière avec le Mexique, n’est que l’épilogue d’une longue histoire commencée bien avant lui. Les murs sont des symboles qui organisent à leur manière le type de monde que l’on conçoit d’habiter. Compatibles, incompatibles et (surtout) écartés. A cela serve l’édification des murs dont les briques sont ajoutées par les volontaires des divisions de classes sociales et des mondes. Les matériaux de construction utilisés sont les plus disparates et montrent ensemble continuité et créativité. Depuis les murs avec des senseurs aux autres avec des barbelés, désormais un ‘classique’, au ciment, au sable, à la mer, au carton et aux paroles. Ces matériaux et bien d’autres plus ou moins nobles sont utilisés pour unir fantaisie et cruauté au message que l’on veut faire passer à des citoyens colonisés par la peur véhiculée par des moyens de communication vendus au pouvoir. Les murs sont bâtis pour écartes ceux qui ne sont pas compatibles’ avec le système.

On a déjà mentionné le mur de Berlin. Démoli et amené par morceaux il est devenu le symbole des deux Allemagnes qui auront célébré leur unité l’année suivante, en 1990. La ‘Guerre Froide’ terminée il semblait normal que les murs deviennent comme la ‘Grande Muraille’ chinoise, rien qu’un renommé lieu touristique. Rien de tel ! Le mur de Trump n’est que l’édition mise à jour et corrigée de ceux qui l’ont précédé depuis 1990 avec le premier George Bush. Entre l’Inde et le Pakistan il y a des centaines de kilomètres de barbelés contre l’immigration et pour des raisons de sécurité entre les deux états. Quant à Israël, terre promise pour quelqu’un et terre de désespoir pour d’autres, a justifié la construction d’une série de murs pour sa propre sécurité. Le maintien à l’écart de Palestiniens, des points d’eau et des migrants depuis le désert du Sinaï donnent à Israël des arguments suffisants.

A Belfast, dans l’Irlande du nord, le mur de la paix sépare les catholiques des protestants avec des histoires d’oppression incompatibles. En France c’est à Calais qu’on a construit un mur destiné à protéger l’entrée du tunnel qui uni le continent européen avec l’Angleterre. Le Maroc  propose à l’histoire un mur de sable long des centaines des kilomètres et parsemé des mines comme signe extérieur d’appropriation de l’espace du Sahara Occidental. L’Espagne, de sa part,  a édifié des barrières chaque fois plus hautes afin de bien marquer sa souveraineté sur les enclaves de Ceuta et Melilla, les deux dans le territoire du Maroc. L’Arabie Saoudite a construit un mur long des centaines de kilomètres à la frontière avec l’Irak et dans l’ile de Cipre un mur sépare le coté grec du coté turc. Tous ces murs montrent l’incompatibilité entre les uns et les autres.

Le mur numéro 78 nous avons le privilège de le posséder ici chez-nous au Sahel. Invisible et bien réel, il suit comme une ombre ceux qui refusent d’être jetés dans les poubelles parce que écartés. Incompatibles avec le système de vol de leur futur et non complices avec les crimes contre l’histoire, ils s’aventurent, comme des exodants, sur les frontières armées du désert qui s’amuse à en effacer les traces. C’est un mur qui bouge au fur et à mesure que les migrants avancent vers l’autre terre et qui, finalement, entoure un monde d’exclusion. Les ‘compatibles’ se trouvent pour la plus part de l’autre rive du monde et ils sont désormais dociles par une sorte de ‘servitude volontaire’. Part du mur 78 sont les groupes armés, les mercenaires et les grands commerçants de drogue qui prospèrent dans le Sahel sous le regard des politiciens. L’incompatibilité à l’intégration dans un monde ainsi conçu transforme des gens libres en écartés potentiels. C'est pour ces derniers que l’on bâtit les murs mobiles pour refouler les aventuriers et les renvoyer à domicile après avoir vu la mer.

Mais, sans le montrer, les incompatibles devenus des écartés, creusent des tunnels, s’insinuent à travers des fentes et tracent des nouveaux sentiers souterrains d’où, irrégulier, passe un monde nouveau.

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