Parents d’enfants scolarisés en écoles primaires, nous nous étions plu à penser, la minute de silence ayant été officiellement prévue par le 'chef de l'état' à midi le mercredi matin 28 mars, que nos enfants en seraient dispensés tout au moins au sein des écoles. Nous nous étions plus à penser que cette minute de silence serait faîte ou pas en famille dans un lieu choisi, et entourée de nos mots.
Un mail du Ministre de l’Education Nationale envoyé le 27 mars après-midi au sein des écoles allait bousculer cette idée ! Mail invitant les équipes enseignantes à échanger avec les enfants puis à se recueillir :
‘Le vendredi 23 mars, quatre de nos compatriotes ont perdu la vie au cours d’une attaque terroriste à Carcassonne et à Trèbes. Le Président de la République a décidé qu’un hommage national sera rendu au colonel Arnaud Beltrame le mercredi 28 mars à 11h30. A cette occasion, les drapeaux seront mis en berne sur les bâtiments et les édifices publics.
Dans les écoles et les établissements scolaires, il est important que ce moment de recueillement, dont la forme doit prendre en compte l’âge des élèves, puisse être accompagné d’un temps d’explication et d’échange.
L’acte héroïque du colonel Arnaud Beltrame, qui a donné sa vie pour en sauver d’autres, vient rappeler notre appartenance à un ensemble qui nous dépasse : la Nation. Cela nous invite à réfléchir aux notions de courage, de dépassement de soi et de citoyenneté au XXIe siècle. Ce moment d’hommage sera également l’occasion de rappeler le rôle des forces de sécurité au service des Français. Ainsi, les élèves pourront prendre conscience que la République se nourrit et grandit par l’engagement de chacun.’
Au-delà des éléments de fond, des mots qui peuvent et doivent être discutés afin de les dégager de la gangue du discours de politique politicienne, nous souhaitons interroger à la fois ce changement d’horaire opportun pour faciliter un recueillement au sein des écoles et la précipitation induite par ce mail tardif. Nous nous interrogeons sur cette gestion unilatérale du temps par le Ministre Blanquet, pour qui la raison semble avoir été sacrifiée à l’émotion.
Certaines équipes enseignantes ont fait le choix raisonné de ne pas proposer ce temps d’échange et de recueillement au sein de leurs écoles, puisque l’envoi tardif de ce mail empêchait à la fois la concertation en équipe et une information auprès des familles. D’autres équipes ont pu se situer dans un entre-deux et partager avec les élèves ce temps d’hommage en ayant au préalable informées les familles. Et il y a eu des écoles où ce recueillement a eu lieu sans information préalable des familles. Le principe de fraternité, de considération de l’autre via le lien école-famille n'a souvent plus été possible car soumis à la temporalité du ministère, les équipes empêchées de penser, n'ont pu préserver ce lien.
Parmi ces familles certaines ont pensé que programmée à midi de façon officielle et nationale, cette minute de silence n'aurait pas lieu au sein des écoles. Non informés, les parents des jeunes enfants n'ont pu anticiper et parler à leurs enfants de ces évènements si cela n'avait pas été encore le cas et ainsi les préparer au mieux au temps de recueillement prévu par l'institution. Il est en effet à noter que malgré la vitesse actuelle de circulation des informations provenant des 4 coins du monde, certains parents essaient de poser des filtres, des 'écrans aux écrans' afin non pas de soustraire les enfants des réalités de leur environnement mais de les accompagner au mieux, de façon juste, ample et raisonnée en parlant, en les faisant lire aussi.
Réalisé ainsi sans information préalable des familles, sans parfois les mots rassurants des parents, ou autres personnes ressources, beaucoup d’enfants n’ont pu donner sens à ce temps dit de recueillement. Certains ont ainsi transformé les paroles des enseignants afin de les rendre à la fois accessibles, entendables, et surtout plus confortables ; d’autres sont restés comme accrochés à des mots vide de sens comme celui de ‘patrie’, ‘force de l’ordre’ perdant le fil de l’ensemble et d’autres se sont tout simplement absentés attendant de reprendre le cours de leurs vies d’élèves, d’enfants. La question du sens de ce temps de recueillement-minute de silence auprès de si jeunes enfants sans concertation voire consentement des familles a été rendue incontournable par les manquements institutionnels.
Il est tout de même interpellant que les adultes aient la liberté de se soustraire ou pas à une certaine forme de recueillement, en ce sens midi prend toute sa valeur facilitatrice pour des adultes qui sont alors souvent en pause méridienne. Et que cette même liberté pourtant inscrite sur le fronton de toutes les écoles soit si peu respectée en leurs seins, et qu'il faille pour la contourner changer l'heure officielle de la minute de silence. Or si midi possède un côté pouvant être qualifié de pratique, cette heure se situant aussi au milieu de la journée, quand le Soleil est à son Zénith, a aussi une grande portée symbolique. Il est tout à fait regrettable que ces deux aspects aient été balayés d’un revers de mail par le Ministre, pour qui midi pouvait devenir sans conséquence aucune, 11H30 !
Les enfants mineurs n'ayant pas de 'statut juridique ', le respect de leurs droits passeraient par ceux de leurs parents. Aussi pouvons-nous nous demander si tout simplement l'institution n'a pas obligation de faire respecter ce droit en informant les parents, personnes responsables d'un événement si atypique qui se situe à la lisière des sphères publiques et privées. Entendu que cet hommage ne fait pas partie des programmes scolaires, sauf à le traiter en éducation civique et morale, et à en parler en le restituant dans un contexte plus large un peu refroidit ce qui alors exclut le recueillement, la minute de silence.
Ce mail précipité fait apparaître la question essentielle du droit des familles à être informées de ce type d'événement au sein des écoles au même titre finalement qu'une sortie scolaire, ce temps de recueillement serait alors à considérer comme une ‘sortie à l’intérieur’ de l’école . Il est tout à fait étonnant que l'école via les demande de l'Institution nous demande notre consentement pour les sorties scolaires, pour réaliser des photos de nos enfants (respect du droit à l'image) mais nullement cette même institution n'informe ni ne demande le consentement des familles pour un temps si impliquant psycho affectivement chez les jeunes enfants, si impliquant pour leurs futures trajectoires citoyennes ? Est-ce à dire que rendre hommage entre dans le cadre des apprentissages scolaires et donc ne peut être l'objet d'un consentement entre les familles et l'école ?
Il est remarquable que pour les écoles dites ‘privées’ élémentaires n'ayant pour beaucoup pas classe le mercredi, la question de cette minute de silence ne se soit souvent pas posée, la plupart des enfants qui y sont scolarisés n'ont pas vécu cette situation de recueillement dans leurs écoles. Il s'agit là d'une conception assez étonnante du principe d'égalité.
Puisque le Tiers qui permet de penser, qui permet de réguler, d’ajuster au mieux en fonction des besoins de chacun, et de l’ensemble n’a pu être ni porté ni incarné par l’Institution scolaire, nous parents de jeunes enfants avons souhaité en partageant, en échangeant nos ressentis, nos pensées réinscrire ce Tiers qui permet de se décaler, de réfléchir au mieux et de trouver un chemin pour vivre ensemble de façon bienveillante.
A cette entité tierce facilitant la mise en pensées, il paraît intéressant dans les situations délicates de s'appuyer sur le cadre le plus approprié au contexte, pour cette question, le cadre juridique pourrait être ce Tiers constructif et objectif, à conjuguer avec l'importance du respect des besoins des enfants, avec l'importance de soutenir un lien apaisé entre les familles et l'école. En tant que parents ne sommes-nous pas en droit à la fois d’être informés et de donner notre consentement à ce temps de recueillement proposé par l’Institution scolaire ?
La précipitation induite par ce mail tardif du Ministre nous interroge quant à la fragilisation induite des 3 grands principes qui fondent notre République : ‘Liberté – Egalité – Fraternité’ par l’Institution scolaire autour de ce temps-là. Cette précipitation sur le sillage de l’émotion, nous autorise à demander à être informés de ces temps de recueillement afin que les 3 principes précédents puissent être préservés voire consolider pour tous.
Nous, parents de jeunes enfants, avons souhaité par nos échanges, nos réflexions, nos débats préserver le lien, la mise en pensée qui fait sens, en somme nous autoriser à faire le petit pas de côté qui permet des respirations en ces temps où combiner raison et émotion devient si compliqué au vu du climat ambiant à la fois d’hystérisation et de sidération de la pensée !
En ce sens, nous avons souhaité nous situer sur le sillage de la pensée de Pascal, sur le sillage d’une pensée complexe.
'Je ne peux pas comprendre le tout si je ne connais pas les parties et je ne peux pas comprendre les parties si je ne connais pas le tout.'
Des parents pour une nouvelle humanité, une humanité de débat.
Sources d’inspiration :
- Camus, ‘Le Mythe de Sisyphe’
- Anouilh, ‘Antigone’
- Cyrulnik, E. Morin, ‘Dialogue sur la nature humaine’
- Phillips, ‘Trois capacités négatives’