mbenhaddadi

Enseignant-chercheur, génie électrique, géopolitique

Abonné·e de Mediapart

18 Billets

0 Édition

Billet de blog 1 novembre 2025

mbenhaddadi

Enseignant-chercheur, génie électrique, géopolitique

Abonné·e de Mediapart

1er NOVEMBRE : BEN BELLA, FRANCE ET ÉGYPTE PART 2 : BEN BELLA & L’ÉGYPTE SE CAJOLENT

mbenhaddadi

Enseignant-chercheur, génie électrique, géopolitique

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

LUNDI 5 AVRIL 1954, LE CAIRE Ce jour-là a eu lieu la toute 1ère rencontre, en tête-à-tête, entre le futur 1er président de l’Algérie indépendante, Ahmed Ben Bella, et le responsable de la division Afrique du Nord des services de renseignement égyptien, Mohamed Fathi Al Dib. La veille, le 3 et 4 avril 1954, sous l’égide de la Ligue arabe, s’est tenue pendant 2 jours une réunion avec tous les dirigeants d’Afrique du Nord. Cette rencontre a fini, quelque peu, en queue de poisson du fait du refus de signer le texte intégral des statuts du comité de libération du Maghreb arabe de la part Allal El-Fassi (parti Istiklal, Maroc) et Salah Ben Youssef (parti Destour, Tunisie). Néanmoins, c’est ce jour-là que Al Dib a remarqué la ''prestation'' de Ben Bella, alias Meziani Messaoud, et a demandé à Mohammed Khider de lui organiser une rencontre avec lui. C’est ainsi qu’en ce 5 avril 1954, M. Khider a fait les présentations d’usage avant de s’éclipser et laisser les deux protagonistes en tête-à-tête.

RENCONTRE DE DEUX ÂMES SOEURS La rencontre Ben Bella & Al Dib a duré 3 heures, au bout desquelles ce dernier a demandé à son vis-à-vis de se revoir le lendemain, ce qui lui donnera le temps de préparer les questions qui découlent de tout ce qu’il avait déjà entendu. Aussi, il lui a demandé de lui préparer un rapport sur les lignes générales de l’insurrection en préparation, les besoins immédiats en armes, le soutien attendu. Le lendemain, mardi 6 avril 1954, Ben Bella a rencontré Al Dib en présence de son collègue Azzat Soliman, partiellement présent la veille. À partir d’une carte étalée sur le bureau et demandée par Ben Bella, ce dernier a fourni moult précisions sur l’armée de libération algérienne et sa répartition sur le territoire (division par secteurs, régions et sections), la répartition des chefs de secteurs et leurs limites géographiques, la répartition des moyens humains et matériels par secteur, le système de communication intérieure et extérieure. Puis, la discussion a porté sur l’opportunité de lancer l’insurrection rapidement ou d’attendre de disposer de plus d’armes, en considérant les inconvénients et avantages de chaque option. Les protagonistes se sont alors séparés, se mettant préalablement d’accord pour garder le secret absolu sur tout ce qui a été discuté.

Suite à ces deux rencontres, Al Dib a contacté son supérieur hiérarchique, Zakaria Mohiédine, le chef des services secrets égyptiens, qui lui a pris un rendez-vous avec le président Nasser. C’est ainsi que quelques jours plus tard, Al Dib a relaté ses rencontres avec Ben Bella au président Nasser qui l’a reçu chez lui et lui a posé une question concrète « Jusqu’à quel point peut-on compter sur ce jeune? ». La réponse d’Al Dib fut sans équivoque : « sans limites ». Sur ce, Al Dib a rencontré Ben Bella pour l’informer de la décision du grand chef Nasser de soutenir la lutte armée en Algérie et a profité de l’occasion pour lui demander de rapporter le plan d’action détaillé.

Ce qui précède n’est pas un récit romancé ou une quelconque mise en scène, mais une synthèse impassible, la plus fidèle possible et sans aucune fioriture, des premières rencontres entre Ben Bella et Al Dib, tirée du 2e chapitre intitulé ''Mezziani Messaoud gagne la confiance des dirigeants de la révolution du 23 juillet'' du livre ''Abdel Nasser et la révolution algérienne''. Libre à chacun d’épiloguer sur les protagonistes et sur le contenu de cette rencontre, tenue en langue française. Tout en relevant, tout d’abord, qu’en avril 1954, l’organisation de de la préparation de l’insurrection armée n’avait aucunement atteint le niveau décrit par Al Dib, voici une suggestion de lecture, à priori jamais mise de l’avant.

Les rencontres Ben Bella / Al Dib ressemblent à des complicités entre âmes sœurs qui se sont entendues très bien dès le premier instant et qui partagent les mêmes valeurs et pensées. Une connexion aussi profonde qu’harmonieuse et un lien spécial comme prédestiné, surnaturel, s’est immédiatement créé entre les deux hommes. Par ailleurs, comme une âme sœur arrive généralement à un moment charnière de la vie pour emprunter une nouvelle avenue, quelque peu même, au bon endroit et au bon moment, ce fut singulièrement le cas pour chacun des deux protagonistes.

(i) Pour Al Dib, conformément à l’enseignement prodigué par le président Nasser, la révolution égyptienne du "23 juillet 1952" n’est pas un événement local, mais le fondement de l'histoire moderne du monde arabe sous leadership égyptien, autour duquel doivent se greffer tous les changements attendus dans les autres pays arabes. C’est dans cette perspective que s’inscrit la stratégie égyptienne vis-à-vis des trois pays d’Afrique du Nord. Le désappointement, né de la rencontre infructueuse du 3 & 4 avril 1954, est amplement compensé par les perspectives sans limites qu’offre Ben Bella sur lequel la mise sera totale, "sans limites".

(ii) Pour Ben Bella qui ne faisait pas jusqu’ici l’unanimité parmi ses collègues d’Alger et du Caire, hormis l’inconditionnel Ali Mahsas, l’Égypte est instinctivement perçue non seulement comme l’allié prédisposé pour aider à libérer le pays, mais aussi pour qu’elle soit l'échelle sur laquelle, lui Ahmed Ben Bella, montera pour qu’il soit le futur leader incontesté de l’insurrection en marche. Ainsi, son désappointement né du peu de reconnaissance dont il jouissait jusqu’ici auprès de ses camarades, alors qu’il a rejoint le PPA à 15 ans, sera compensé par les perspectives sans limites qu’offre Al Dib et son président Nasser, sur lesquels la mise sera totale, "sans limites".

22 OCTOBRE 1956 À l’instar de Ben Bella qui s’interrogeait sur son leadership, Al Dib a senti le danger que représente pour l’Égypte la tenue du Congrès de la Soummam qui affirmait une volonté d'indépendance politique totale de la révolution algérienne qui n'est "ni inféodée au Caire, ni à Londres, ni à Moscou, ni à Washington". Il sentit le pouvoir de la mainmise sur la future Algérie lui glisser sous la main.

Par ailleurs, aussi paradoxal que cela puisse paraître, Al Dib s’est déchargé de toute responsabilité dans l’arraisonnement du navire Athos, quitte à mouiller davantage Ben Bella, alors que l’opération avait reçu l’approbation de Nasser. D’après Al Dib, l’Athos a été acheté pour le compte de Ben Bella qui a ordonné son transfert à Alexandrie, ce qui a été à l’origine d’une vive discussion, mentionnant (p.176) '' compte tenu de l’état psychologique dans lequel se trouvait Ben Bella à la suite du congrès de la Soummam…Ben Bella voulait occuper le devant de la scène…avait insisté pour que l’Athos entre à Alexandrie sans notre intervention'' pour qu’il soit chargé en armes, la nuit tombée. Al Dib, qui a eu un malaise quand il a appris la saisie de l’Athos, impute l’échec de l’opération à la trahison du soudanais Ibrahim Nayal, qui a ''assisté à la réunion préparatoire sur insistance de Ben Bella''. Ce qui précède montre clairement que, même si la mise de l’Égypte sur Ben Bella est sans limite, le soutien n’est pas inconditionnel, Al Dib étant au service exclusif de son pays et tout ce qui peut servir sa grandeur.

Mais la baraka de Ben Bella est juste exceptionnelle, si on considère qu’au moment ou il était au creux de la vague, avec les déconvenues à la Soummam et l’Athos, un événement surprenant allait relancer sa carrière. C’est de nouveau la France qui, de nouveau involontairement, relancera sa carrière politique, suite au détournement de l’avion de Bella et ses amis, le 22 0ctobre 1956. Là, de nouveau, l’Égypte va également jouer un rôle de premier plan, via la Voix des Arabes, sur Radio-Le Caire à laquelle Fathi Al Dib a donné instruction pour que, tout au long de l’incarcération des membres de l’avion piraté, aucun nom algérien ne doit émerger, si ce n’est celui de ''Ben Bella et ses codétenus''. Il en sera de même lorsque le GPRA sera créé.

Aucunement ingrat, en prison, Ben Bella continuait à entretenir ses liens avec Al Dib par des lettres, toutes écrites en langue française. Opportuniste à souhait, au lendemain de l’agression Anglo-Franco-Israélienne de Suez, il a envoyé le 1er décembre 1956 une lettre à son ami Fathi Al Dib, où il vilipende la "nouvelle croisade judéo-chrétienne et maçonnique contre l'Islam". Ceci dit, tout au long de son incarcération 1956-1962, l’histoire ne dit pas encore qui nourrissait davantage l’autre en information.

AUBE DE L'INDÉPENDANCE Selon Al Dib, nommé ambassadeur d’Égypte à Berne (Suisse) en mai 1961, il avait pour mission d'accompagner les négociateurs algériens à Évian. Il prétend que la " fermeté des Algériens est due à sa présence et l’algérianité du Sahara a été promue par l’Égypte". Aucun historien n’a jamais confirmé ou infirmé ces deux allégations qui sont possiblement, en même temps, vraies et fausses. Selon l’historien anglais Alistaire Horne qui base ses déductions sur les confidences de Abdelkader Chanderli qu’il a rencontré, ce dernier lui aurait avoué (p134) « le soutien matériel de Nasser était négligeable, mais, pour des raisons de solidarité, nous ne pouvions pas le dire ». Dans le même temps, les torrents de bravoure déversés régulièrement par la Voix des Arabes sur les héroïques résistants algériens, avec Ben Bella comme leader, ont eu un impact positif indéniable, en termes de moral des combattants et de la population, même si, dans le même temps, les propos trompaient tout le monde sur l’impact réel de l’Égypte et de Ben Bella, le gouvernement de G. Mollet en premier.

Par ailleurs, de prime abord, il parait saugrenu de croire que l’ambassadeur Al Dib avait de l’influence sur des négociateurs algériens et encore moins sur leur fermeté, même s’il a rencontré plusieurs fois Krim Belkacem et qu’il était en contact téléphonique constant avec Ben Bella, surtout quand les négociations franco-FLN ont atteint le dernier virage. Mais, ce qui précède ne peut être confirmé/infirmé que par l’ouverture des archives. Vivement qu’elles le soient dans une perspective prévisible.

BIBIOGRAPHIE

[1] Al Dib F., "Abdel Nasser et la révolution algérienne ", Éditions Harmattan, 2004

[2] Chemu R., "Paul Delouvrier ou la passion d’agir", Éditions du Seuil, 1994

[3] Courrières Y., "La Guerre d'Algérie, Tome I, Les Fils de la Toussaint", Fayard, 1969

[4] Courrières Y., "La Guerre d'Algérie, Tome II, Le temps des léopards", Fayard, 1970

[5] Merle R., "Ben Bella", Éditions Gallimard, 1965

[6] Meynier G., "Histoire intérieure du FLN 1954-1962", Librairie Arthème Fayard, 2002

[7] Paillat C., "Dossier secret de l’Algérie 1954-1958", Éditions Les Presses de la cité, 1962.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.