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Billet de blog 8 décembre 2025

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Alliés sous tension : comment Washington veut faire payer les "loyers" de paix

À l’heure où les États-Unis cherchent à remodeler l’ordre mondial — du Proche-Orient à l’Ukraine — une question irrépressible traverse les chancelleries : jusqu’où les alliés accepteront-ils d’être enrôlés dans une vision américaine de la paix qu’ils ne partagent pas toujours, sans provoquer une fronde ouverte ? Sans exiger des offrandes ?

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Un nouveau paradigme : la paix comme transaction

Ce que Foreign Affairs appelle le “paradoxe du pouvoir de Trump” tient en une idée simple : l’Amérique n’entend plus façonner l’ordre mondial sur la base de valeurs ou de principes universels, mais sur le mode transactionnel.
Fini le temps des alliances idéologiques, place aux partenariats conditionnels, réversibles, où l’avantage doit être immédiat, tangible, et mesurable.

Ce basculement bouleverse les mécanismes habituels de construction de la paix.
Il n’est plus question de multilatéralisme, mais de deals ; non plus d’engagements durables, mais d’échanges réciproques ; non plus de stabilisation à long terme, mais de priorités fluctuantes en fonction des intérêts américains.

Dans cette vision, la paix devient une marchandise politique, négociée, renégociée, parfois déchirée — au gré des rapports de force.


Les alliés à l’épreuve : jusqu’à quel point peuvent-ils plier ?

L’autre article clé, How Much Abuse Can America’s Allies Take?, pointe un fait nouveau :
l’usure des alliés face aux pressions américaines.

Le monde n’est plus unipolaire.
Washington ne peut plus supposer que ses partenaires n’ont nulle part où aller :

  • la Chine offre un contre-modèle autoritaire mais stable,

  • l’Union européenne tente d’exister stratégiquement,

  • les puissances régionales multiplient les autonomies calculées.

Autrement dit, le coût de l’alignement a augmenté, et les alternatives se multiplient.
La dépendance à l’égard, du regard de Washington n’est plus un destin, mais un choix — parfois un choix contraint, parfois un choix provisoire.

Cette réalité fragilise l’ambition américaine de remodeler les zones en conflit.
Une paix imposée déplaît ; une paix négociée reste suspecte ; une paix conditionnelle inquiète.
Les alliés acceptent encore le leadership américain, mais refusent désormais le suivisme. Sans queue ni tête...


Proche-Orient : un ordre sécurisé… ou un ordre surveillé ?

Dans A New Path for Middle East Security, l’architecture régionale imaginée par Washington repose sur une coopération élargie entre États arabes, Israël et partenaires occidentaux.
Sur le papier, un tel dispositif semble pragmatique :
interconnexions militaires, partage du renseignement, dissuasion simultanée contre l’Iran et contre les milices transnationales.

Mais sur le terrain, cette vision souffre d’un défaut originel :
elle n’intègre pas les priorités divergentes des acteurs concernés.

Certains États cherchent la stabilité sans ingérence.
D’autres veulent des garanties de sécurité, sans s’impliquer dans les conflits de leurs voisins.
D’autres encore coopèrent a minima pour éviter l’isolement diplomatique.

L’Amérique tente de fédérer ces acteurs disparates autour de sa propre lecture de la paix.
Or cette lecture — hiérarchisée, militarisée, segmentée... — n’est pas la leur.
Elle risque donc de produire non une sécurité collective, mais une sécurité de façade, instable, dépendante du bon vouloir washingtonien.


Ukraine : un front commun… avec des fissures invisibles

En Ukraine, la question est plus explosive encore.
Si les États-Unis peuvent compter sur un axe euro-atlantique globalement aligné, l’adhésion n’est ni totale, ni automatique, ni garantie dans la durée.

Les États européens s’interrogent :

  • Jusqu’où soutenir une guerre perçue comme interminable ?

  • Jusqu’où accepter la dépendance militaire à Washington ?

  • Jusqu’où s’aligner sur une stratégie américaine, qui oscille entre engagement fort et tentations isolationnistes ?

Les fissures existent — discrètes mais profondes.
Certains pays d’Europe centrale penchent vers plus d’autonomie stratégique.
D’autres, plus atlantistes, s’inquiètent du retour de Donald Trump et de sa prétendue imprévisibilité, imperméabilité à la compassion.
Tous perçoivent que le coût du conflit — économique, énergétique, social... — n’est plus soutenable indéfiniment.

L’Amérique veut redessiner la paix en Ukraine ; l’Europe veut redéfinir la sécurité en Europe.
Ces deux dynamiques convergent… jusqu’à ce qu’elles divergent.


Vers une fronde ? Une hypothèse plausible

Le risque majeur pour Washington n’est pas une rupture spectaculaire, mais une désalignement progressif, subtil, diffus.

Trois tendances en témoignent :

1. L’autonomie stratégique européenne renaît

Non par idéalisme fédéraliste, mais par empirisme :
se rattacher exclusivement aux États-Unis devient trop incertain.

2. Les puissances régionales veulent exister par elles-mêmes

Arabie saoudite, Turquie, Égypte, Émirats…
Aucune ne veut être l’instrument d’une paix américaine qui serait, en réalité, une stabilisation sous tutelle.

3. La fin de l’unanimité occidentale

À mesure que l’Amérique devient imprévisible, le camp occidental se fragilise.
L’unité actuelle n’est pas garantie ; elle n’est même pas durable.


Conclusion : l’alliance n’est plus une certitude — elle devient une négociation permanente

L’ambition américaine de redéfinir les contours de la paix dans le monde — du Proche-Orient à l’Ukraine — repose sur un socle fragile : celui d’alliés, dont l’adhésion dépend de plus en plus du rapport coût-bénéfice.

La stratégie transactionnelle inaugurée par Trump pourrait permettre des victoires rapides.
Mais elle risque aussi de produire un monde divisé, fragmenté, instable, où les alliances se font et se défont à la vitesse des intérêts nationaux.

Si les États-Unis veulent réellement construire la paix, ils devront renoncer au réflexe de la domination, et renouer avec l’idée — décriée mais essentielle — d’un ordre partagé, pluraliste, négocié.

À défaut, leur leadership deviendra un sol mouvant, et leurs alliances, un château de sable.

Ou un château de cartes, tout prêt de s'effondrer, sous le poids des exigences qu'implique ce leadership pour leurs alliés, et des ponts jusqu'alors installés, non pour louvoyer, mais, jusqu'à un certain point, pour les rudoyer... 

Mehdi Allal.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.