Que soulève le débat sur l’existence ou non d’une islamophobie en France, et plus généralement dans les pays occidentaux ? La question peut se résumer ainsi : doit-on prohiber toute critique, fût-elle humoristique, de l’islam ? Les caricatures de cette religion sont-elles admissibles lorsqu’elles incitent à la provocation et à la discrimination raciales ? Y a-t-il un rapport de cause à effet entre ces caricatures et les agressions dont sont victimes les musulman-e-s dans ces pays ? Existe-t-il des limites à ne pas franchir lorsqu’il s’agit de s’opposer à ce qui apparaît comme trop rétrograde dans les coutumes et habitudes des musulman-e-s ?
La République s’est construite sur une désincarnation, c’est-à-dire une différenciation entre les pouvoirs publics et les religions reconnues, notamment une forme de distanciation des liens entre l’Etat et la religion catholique ; le principe de laïcité a été érigé en barrière infranchissable entre la sphère publique et les cultes. Or, aujourd’hui, la majorité des musulman-e-s s’offusque de la trop grande porosité, pour ne pas dire de l’envahissement des pouvoirs publics lorsqu’il s’agit de leur religion…
Certains d’entre eux revendiquent pourtant l’adoption de normes conformes aux dogmes religieux. Les médias véhiculent des clichés, parfois grossiers, relatifs aux modes de vie des musulman-e-s. Les fondamentalistes musulmans grossissent le trait et mènent parfois des croisades anti-occidentales au nom de la liberté religieuse. La liberté de la presse constitue également un droit fondamental qu’il faut savoir préserver.
Mais le contexte est tendu. Les partis de gauche se sont déchirés sur la question identitaire : en effet, alors que certains militants exigeaient d’être très accueillants vis-à-vis des pourfendeurs du voile ou de la burqa, certains de leurs élu-e-s réclamaient au contraire une proximité avec les adeptes et les prédicateurs musulmans pour ne pas froisser l'électorat. Une partie de la droite s’est murée dans un discours sur le grand remplacement que subirait l’Europe chrétienne sous l’effet de l’immigration et de la natalité des pays africains, sud-américains et asiatiques.
Il existe également au sein de la propre communauté musulmane des dissensions, notamment entre les athées et les croyants. Certains manifestent leur désir de ne pas croire, tandis que d’autres exercent une forme de pression en vue de faire respecter les principes religieux. Pour faire face à cet imbroglio, qui divise nos sociétés et notre cohésion nationale, il y a lieu de poser des règles transparentes et claires en vue de préserver l’Etat de droit.
Les critiques de l’islam ne doivent pas être assimilées à de la haine antimusulmane. Il n’empêche qu’il faut reconnaître qu’il existe une certaine dose de violence vis-à-vis de l’ensemble des cultes, mixée à une tendance à privilégier la religion catholique. L’alliance traditionnelle entre les factions réactionnaires et l’Eglise conduit à l’éclipse d’une certaine bienveillance vis-à-vis des autres croyances, sous prétexte qu’elles doivent toutes être traitées de la même manière. Et si cette tolérance vis-à-vis des musulman-e-s nous amenait à un plus juste dialogue entre l’Etat et les cultes, et entre les cultes eux-mêmes. La préservation de la neutralité de l’Etat n’est pas discutable, mais elle doit s’accompagner d’incitations à plus d’harmonie entre les minorités religieuses.
La tolérance vis-à-vis de la religion musulmane est une occasion dorée de renouer et de retisser des liens entre l’ensemble des religions reconnues et l’Etat, autrement que sous le signe de la défiance, alors que la critique du blasphème et son contraire nous empêchent d’y voir clair : tandis qu’il faut admettre pour la première que les cultes véhiculent parfois des pratiques nuisibles aux droits humains, la seconde pêche par une pâle copie de l’anticléricalisme ; or, la religion islamique ne constitue pas un danger pour l’existence et la préservation de la neutralité de l’Etat. Il nous permet au contraire de redéfinir les relations entre sphère privée et sphère publique, à l’aune d’une laïcité non de combat, mais de paix.