Il est venu[1] nous expliquer quelques bonnes actions de la commission européenne.
Commissaire à la fiscalité, il a vanté les « pas de géants » accomplis par ses services dans la lutte contre l’évasion fiscale, il l’a répété : « despas de géants, mais… », il a cherché le mot juste : « considérables ! ».
Les fuites fiscales au Luxembourg ?
Sa nouvelle directive demande à chaque État membre de déclarer les petits arrangements fiscaux (petits par le taux d’imposition, pas par les sommes soustraites aux autres pays) aux autorités fiscales des autres États membres. Directive que le Luxembourg a d’ailleurs aussitôt transposée dans son droit interne ; comme il avait transcrit la directive précédente qui demandait depuis longtemps les mêmes déclarations.
Une journaliste évoque Luxleaks (des centaines d’arrangements révélés par des lanceurs d’alerte, et non par les Luxembourgeois, qui les ont ensuite condamnés pénalement). Le Commissaire ne relève pas. Un simple oubli, sans doute…
Cette directive géante n’interdit pas de tels arrangements, qui restent donc légaux, comme l’a fait remarquer le Luxembourg. Cette directive géante ne prévoit pas non plus de sanction contre un État qui oublie, voire qui oublie de manière récidivante, de déclarer ses arrangements aux autres.
M. Cahuzac ?
La Suisse a signé la convention d’échange automatique de données bancaires : donc M. Cahuzac ne mettrait plus son compte caché en Suisse, triomphe-il !
Bien vu. D’ailleurs M. Cahuzac l’avait déjà transféré à Singapour ; et n’aurait jamais été découvert sans les investigations et l’obstination de Mediapart.
Mais on ne voit toujours pas venir la liste noire des paradis fiscaux que vous avez promise, s’est donc impatienté un journaliste : vous ne le prévoyez que pour mi-2017.
C’est là que la patience du commissaire est devenue véritablement angélique. « On va s’engager dans un processus de dialogue avec différents pays », qu’il a eu la délicatesse de ne pas nommer. On ne peut pas comme ça, de but en blanc, inscrire un pays sur une liste noire. Il faut d’abord en parler avec lui, pour lui donner le temps de prendre ses dispositions. Après, s’il ne fait rien, on pourra le « nommer et blâmer ». Perspective qui le conduira à prendre des mesures : « L’avantage d’une liste noire, c’est la capacité d’en sortir ! ».
Et voilà pourquoi aujourd’hui toutes les listes noires sont blanches ; et pourquoi il ne faudra pas s’étonner si la liste noire européenne de 2017 est blanche à son tour, ce qui sera un pas de géant considérable…
La concurrence fiscale sur l’impôt sur les sociétés en Europe ?
Le commissaire a dû patiemment refaire un peu de pédagogie : en ces matières, il faut l’unanimité. Mais nous progressons rapidement. Mes services sont en train de mettre au point, non pas un taux d’imposition harmonisé (« ça, on ne va pas y parvenir »), mais, ce qui serait déjà un immense progrès, une assiette fiscale « commune consolidée » ! Sur la base de laquelle les grands groupes devront payer dans chaque pays la part d’impôt correspondant à leur activité locale.
Le commissaire n’est pas bien informé. Consolidée ? Vous n’y pensez pas ! Ont protesté certains pays. De sorte que, il y a huit jours, unanimité oblige, ses services ont dû reculer. Bon, pour consolidée, on verra plus tard. Commençons déjà par commune. Ainsi l’Irlande, par exemple, pourra consolider autrement que la France, mais sur une base commune : un vrai pas de géant, si du moins on y arrive, puisqu’il faut l’unanimité.
Prenant de la hauteur, le commissaire a vanté la concurrence libre et non faussée : « elle protège les consommateurs ! » ; et le traité de libre-échange qui vient d’être signé avec le Canada : il favorise les consommateurs ! « L’objectif doit être de toujours lutter contre la hausse des prix ».
La concurrence doit être libre : qui peut être contre la liberté ? Et pourquoi accepteront-on qu’elle soit faussée ? Sauf bien sûr par la concurrence fiscale, contre laquelle ce commissaire à la fiscalité a admis « qu’il n’y arriverait pas ».
Ce commissaire, non pas à la consommation, mais aux affaires économiques et financières, travaille en étroite coopération avec la commissaire à la concurrence pour protéger les consommateurs.
Les consommateurs.
Pas les producteurs, dont il n’a guère parlé, sauf pour soutenir nos champions nationaux[2] et nos champions européens. Quant à ceux qui ne sont pas des champions, il a expliqué qu’il y avait toujours des perdants, mais ne s’est pas attardé sur leur sort.
Encore moins les citoyens, mot qu’il n’a pas employé.
Si le Canada, dont les ventres ne sont pas extensibles, importe plus de fromages français, que deviendront les éleveurs québécois, sinon des chômeurs ? Si la France, qui consomme de moins en moins de viande, en importe plus du Canada, ses éleveurs deviendront des chômeurs à la charge de la collectivité française ; pas européenne, qui n’est pas une collectivité.
Devant la perplexité des journalistes, le commissaire a réaffirmé ses opinions avec force :
« Je suis social-démocrate, je le suis toujours, je suis socialiste, je le suis toujours… ».
C’est ça, le socialisme ?
[1] https://www.franceculture.fr/emissions/linvite-des-matins/traites-de-libre-echange-harmonisation-fiscale-leurope-souffre-t-elle
[2] Champions nationaux qu’il avait déjà soutenus comme ministre socialiste des finances français en exigeant qu’on laisse nos banques nationales spéculer. Il avait également introduit le concept de « ras-le bol fiscal », nouveau dans le vocabulaire socialiste, ce qu’il assume toujours…