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Michel DELARCHE

retraité de l'ingénierie informatique et aéronautique et de l'enseignement dit supérieur (anglais de spécialité), écrivain et esprit curieux

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Billet de blog 3 juin 2023

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Les jeux de langage de Fernando Iwasaki Cauti

Un écrivain péruvien pas encore traduit en français malgré sa drôlerie et son érudition

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Flâner parmi les étalages des vendeurs de livres d'occasion de l'avenue Corrientes à Buenos Aires est une façon irremplaçable de découvrir de nouvelles œuvres. C'est ainsi que j'ai découvert le mois dernier un recueil de nouvelles dont le titre m'a intrigué: "Tres noches de corbata" Je l'ai feuilleté quelques minutes et l'ai acquis sans hésiter pour la modique somme de 800 pesos (1,5 €).

Ces textes de longueurs variables datent du milieu des années 1980 et portent en épigramme des citations espagnoles des 16ème au 18 siècles faisant référence à la conquête des Amériques (Iwasaki est historien de formation et enseigne à Séville).

Iwasaki s'y livre à divers jeux de langage en donnant des voix particulières à des personnages variés. Ainsi, dans "Mar del sur", il fait parler le conquistador fictif Alonso de Varillas en une langue reproduisant certains archaïsmes et déformations scripturales de l'espagnol de l'époque ("fazañas" pour "hazañas", "facer" pour "hacer"). Celui-ci décrit son expédition à travers le Pérou qui se termine, après le massacre de ses compagnons, en capture par les Indiens puis transformation en rocher par l'action d'une divinité autochtone (un récit mi-historique mi-fantastique dont l'atmosphère m'a rappelé l'Aguirre de Werner Herzog).

Dans la plus longue nouvelle "La invencion del héroe" il met aux prises un flic péruvien abruti et inculte avec un universitaire spécialiste de littérature policière dont les lumières l'aident à résoudre diverses affaires. Le flic le surnomme "profesorsucho" (un diminutif péjoratif) en son for intérieur et éructe volontiers des explétifs tels que "carajo!" ("bordel de merde!") et "cojudeces" ("couillonades"). Lors de leurs conversations, l'autre multiplie les "je, je" ironiques et les "pues" (donc) ce qui nous donne deux voix très différentes.

Dans la nouvelle qui donne son titre au recueil, la voix du récit est celle d'une femme de la campagne qui joue les baby-sitters (qu'elle déforme en: "beibi sisters") auprès d'un gamin qui a d'autant plus de mal à s'endormir qu'elle lui raconte d'affreuses histoires de fantômes mangeurs d'enfants et d'adultes qu'Iwasaki emprunte aux mythologies amérindiennes: le Tunche, le Yacuruna, le Chullachaqui.

La langue du personnage multiplie les crases et déformations liées à l'oralisation et les constructions grammaticalement fautives comme "mas pior" pour "mas peor" (plus pire), "tra vez" pour "otra vez" (une autre fois), "quera" pour "que era", "astar" pour "a estar", "osté" pour "usted", "nadies" pour "nadie" etc.).

Bref, un auteur savoureux dont on peut regretter qu'aucun éditeur français ne l'ait encore traduit.

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