Aux racines de cette guerre et de sa prolongation probable on trouve à la fois des illusions russes et des illusions ukrainiennes.
L'illusion grand-russe qui décida Poutine à entrer en guerre fut de croire que l'Ukraine tomberait comme un fruit mûr en quelques jours ou quelques semaines, que ses minorités russophones et auparavant russophiles serviraient de point d'appui à la prise de contrôle de l'essentiel du pays par la Russie et que l'Occident accepterait le fait accompli comme il avait fini par admettre sans l'avouer l'annexion de la Crimée. Pourtant, l'échec des attaques lancées en 2014 sur Karkhiv/Karkhov par les pro-russes ukrainiens du Donbass (le principal oligarque local ayant alors financé la résistance pro-Kiev/Kyiv) aurait dû servir d'avertissement aux partisans de la "Grande Russie".
L'illusion du gouvernement ukrainien fut de croire qu'il pourrait, fort de son rapprochement politique et économique avec l'Europe et les USA, refuser d'appliquer les accords de Minsk sans encourir tôt ou tard une violente réaction de la part de l'autocratie impériale.
Si le plan initial d'un triomphal blitzkrieg russe a échoué, la Russie a néanmoins réussi à conquérir de nouveaux morceaux du territoire ukrainien et au vu des récentes attaques sur Nikolayiv, Severodonietsk et autres lieux, on peut penser que Poutine et ses hommes n'ont pas renoncé à conquérir la majorité de l'Ukraine "utile". Idéalement, à défaut de prendre Kiev, on peut estimer que le pouvoir russe n'a pas renoncé à prendre Odessa et Kharkov, deux grandes villes qui pèsent lourd dans l'imaginaire nationaliste russe, toutes tendances confondues: Odessa fut créée par Catherine II et fut lun haut lieu des mutineries révolutionnaires des marins de la Mer Noire et Kharkov fut le lieu de la deuxième plus grande bataille de chars de la Grande Guerre Patriotique (la première ayant été celle de Koursk).
D'autre part, pour sécuriser définitivement le Donbass et la Crimée du point de vue de l'occopant russe, il faut créer un glacis protecteur tout autour (d'où le projet d'annexer aussi l'oblast de Kherson et de maintenir la pression militaire au sud en direction d'Odessa) et donc aussi aller occuper à l'ouest du Donbass une bande de terrain d'au moins 30 à 40 km de large pour y lancer une politique de pacification/russification à l'abri de l'artillerie ukrainienne.
Idéalement, la Russie souhaiterait sans doute occuper tout l'Est de l'Ukraine jusqu'au Dniepr et couper également la partie occidentale de l'Ukraine de tout accès à la Mer Noire. Poursuivre cet objectif consiste à poursuivre la même politique de Gribouille entamée avec l'annexion de fait des territoires ukrainiens les plus favorables à une relation forte avec la Russie, ce qui n'a finalement servi qu'à accélérer l'intégration politique et économique de la "Petite-Russie" à l'Europe Occidentale. Et dans l'état actuel de ses moyens militaires, Poutine devra probablement se contenter de consolider tant bien que mal l'emprise russe sur les trois oblasts du Sud et de l'Est (Lougansk, Donietsk, Kherson) et d'y poursuivre sa politique de russification de tous ces territoires périphériques de l'Ukraine.
Symétriquement, Zelensky rêve à voix haute de reconquérir tous les territoires perdus depuis 2014, mais il n'en a pas les moyens, quels que soit le niveau de l'assistance militaire fournie par les Occidentaux. Même si son armée est parvenue à repousser l'assaut sur Karkhiv, partout ailleurs dans le Donbass les troupes russes ont continué de progresser lentement mais continûment.Ses rodomontades médiatiques ne trompent que ceux qui sont prédisposés à se laisser intoxiquer par la propagande de guerre.
L'incompatibilité de ces deux illusions laisser prévoir une guerre longue: je serais surpris que cette horrible guerre se termine cette année.