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retraité de l'ingénierie informatique et aéronautique et de l'enseignement dit supérieur (anglais de spécialité), écrivain et esprit curieux

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Billet de blog 24 juin 2015

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Coping with English: pourquoi nos étudiants sont faibles en anglais

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Contrairement à ce que l'on nous ressasse ici ou là, nos étudiants universitaires ne sont pas complètement nuls en anglais, mais ils sont certainement en grande majorité faibles en anglais: lors de mon arrivée à Paris-Diderot en 2009, le Centre de Ressources en Langues pour lequel je commençais à travailler à temps (très) partiel avait décidé de faire passer le test BULATS à tous les entrants (sauf la médecine et les filières proprement linguistiques comme LEA). Il en était ressorti que seulement 15% des étudiants se situaient au niveau B2 (supposé être le niveau atteint en sortie de terminale) et 8% au niveau C (très avancé) alors que plus de la moitié se trouvaient au niveau A (débutant) et seulement un quart au niveau B1 (niveau attendu à la sortie du collège).

Les étudiants sélectionnés qui entrent en classes préparatoires, dans les écoles d'ingénieur ou en IUT ne faisant pas partie de cet échantillon on peut supposer que la statistique globale sur l'ensemble des bacheliers serait quand même un peu meilleure.

Ces dernières années, le test effectué à l'entrée en première année (qui n'est plus le BULATS pour des raisons de coût) montre une légère diminution de la proportion d'étudiants au niveau A et une légère augmentation de la proportion au niveau B1, preuve que le niveau moyen s'élève bel et bien malgré les discours pessimistes, mais très (trop) lentement. Cela dit, le test n'évalue pas les compétences orales qui sont généralement en retrait sur les compétences écrites.

Alors qu'une bonne maîtrise de l'anglais tant à l'oral qu'à l'écrit est aujourd'hui une des conditions à remplir pour une bonne insertion professionnelle dans les filières scientifiques, les étudiants de ces filières sont paradoxalement les plus faibles en anglais (pas plus de 10% au niveau B2 ou supérieur). Les meilleurs résultats sont obtenus par les étudiants en Lettres Modernes ou en Cinéma, ce qui met en évidence deux éléments-clés de la progression en anglais (et plus généralement en langues étrangères):

- une appétence pour le maniement du langage et une certaine compétence linguistique de base dans sa langue maternelle,

- des pratiques culturelles complétant l'apprentissage scolaire (les étudiants en cinéma regardent beaucoup de films anglophones en VO)

Alors pourquoi nos étudiants sont-ils faibles en anglais ?

Hormis les pseudo-raisons culturelles globales ("l'exception française") on peut discerner 4 catégories de causes qui proviennent du mauvais fonctionnement de l'Éducation Nationale:

1°) beaucoup de nos étudiants sont faibles en anglais parce qu'ils sont faibles en français (comme le montrent les courriels bourrés de fautes de morpho-syntaxe qu'ils adressent en français à leurs enseignants...) Or on ne peut progresser aisément dans l'apprentissage d'une langue étrangère, surtout structurellement assez voisine du français, que si l'on maîtrise quelques concepts grammaticaux de base: la plupart de mes étudiants sont incapables de faire la différence entre un adjectif et un adverbe ou entre un verbe principal et un auxiliaire ou encore de reconnaître une forme passive.
Il ne s'agit pas d'attendre de nos étudiants qu'ils soient de potentiels agrégés de grammaire, mais il y a bel et bien un niveau minimal de compétence linguistique générale attendu à l'université qui n'est plus fourni par l'enseignement primaire et secondaire. On peut évidemment apprendre une langue étrangère par immersion pure, sans aucun travail explicite sur les structures de la langue, mais cela prend du temps, et sauf à être immergé dans un environnement de haute culture on n'acquerra que des compétences restreintes, surtout à l'écrit qui est généralement plus exigeant en terme de registre d'expression. Une erreur encore très répandue chez les étudiants et complaisamment entretenue par certains vendeurs de (coûteuses) leçons privées est que "la grammaire ne sert à rien pour parler" et que "l'anglais c'est facile" (et derrière ce discours se profile l'illusion de croire que l'on peut apprendre une seconde ou une troisième langue comme l'on a appris sa langue maternelle étant enfant, comme si cette langue maternelle n'avait pas mis en place dans votre cerveau des filtres phonétiques, morphosyntaxiques et sémantiques d'autant plus efficaces qu'ils sont inconscients.)

2°) dans la plupart des autres pays européens non-anglophones, l'horaire d'anglais au collège et/ou au lycée est de 4h par semaine au lieu de seulement 2h en France au lycée (c'était encore 3h à l'époque où j'ai fait mes études). À cela s'ajoutent des pratiques plus intensives (cours en demi-classe). De plus dans beaucoup de collèges (en particulier des zones dites sensibles) le manque d'enseignants remplaçants fait que les horaires officiels ne sont plus assurés à partir du second trimestre: un de mes étudiants de licence d'informatique m'expliquait l'an passé que dans son collège de lointaine banlieue il n'avait jamais pu bénéficier d'une année scolaire complète en anglais... Enfin l'obtention de la certification permettant d'accéder à l'enseignement supérieur impose des seuils minimaux dans toutes les disciplines (alors que l'on peut en France décrocher un bac scientifique avec une très médiocre note en anglais.) Voilà pour le quantitatif.

3°) sur le plan qualitatif, l'apprentissage de l'anglais en France souffre encore d'un double biais "culturaliste/globaliste" et "traductionniste": celui d'avoir été conçu autrefois comme l'apprentissage du latin: une langue morte qu'il s'agit de lire et de traduire en se plongeant dans les grands auteurs, mais pas d'utiliser à l'oral et à l'écrit pour l'interaction sociale au quotidien.
Malgré les progrès effectués en apparence, le biais traductionniste est encore trop présent dans les façons d'aborder les structures de la langue: par exemple, presque tous les manuels d'anglais et sites en ligne offrent des exercices sur le choix entre "for" et "since". Ce rapprochement des deux prépositions est totalement incongru en anglais et provient de ce que l'on traduit "depuis" tantôt par l'un et tantôt par l'autre. Mais ce faisant, on renforce les interférences cognitives qu'il s'agit précisément d'éviter (il peut évidemment être utile à un stade avancé de vérification de la maîtrise des structures de faire faire ce type d'exercice, mais il est prématuré et contre-productif de les envisager en phase d'acquisition initiale ou de consolidation.)
La bonne façon, à mon avis, d'introduire ces structures est de travailler d'abord sur le couple "since" / "until" (qu'on mettra ensuite en parallèle avec "from" / "to") et de manière soigneusement séparée de travailler sur "for" et "during". Ainsi l'on commence par mettre en place dans les cerveaux des élèves des réseaux sémantiques disjoints au lieu de créer d'emblée les confusions qu'il s'agit d'éviter.
Quant au biais "culturaliste/globaliste", il présente les mêmes défauts inconsciemment élitaires que l'absence d'un patient travail sur le décodage syllabique dans l'apprentissage de la lecture à l'école primaire: je constate que la plupart de mes étudiants ne savent même pas épeler correctement leur nom ou un numéro de téléphone en anglais, alors que ce sont des compétences de base qui pourraient être acquises dès le collège (et qui sont faciles à mettre en place à travers des jeux de rôle.) Je les fais d'ailleurs travailler chaque année à ma première séance de cours avec mes étudiants en maîtrise de didactique qui sont à la fois étonnés et contents de cette approche pragmatique.
Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas se donner des objectifs culturels ambitieux mais qu'il faut mettre en place des stratégies de guidage adaptées et qui ne passent pas par la traduction ni même par le texte écrit: par exemple, il y a quelques années je faisais écouter (et réécouter) à mes étudiants LANSAD une récitation par un acteur du célèbre poème de Shelley "Ozymandias" en dessinant au fur et à mesure au tableau les éléments du paysage décrit et en écrivant à côté les mots qu'ils captaient petit à petit (en prenant soin de respecter le découpage en vers du sonnet) afin qu'ils réalisent progressivement de quoi il s'agissait, car aucun n'était capable d'une compréhension globale du poème récité, même après deux ou trois écoutes.

4°) L'absence d'un travail systématique et explicite sur les règles de prononciation (le refus d'un apprentissage explicite des règles depuis trop longtemps propagé via les IUFM a fait là aussi des ravages) nuit surtout aux élèves les plus fragiles et les moins riches en capital culturel: j'en suis au point de devoir faire retravailler à l'université la prononciation des finales verbales en -ED et toutes les prononciations réduites des suffixes nominaux et adjectivaux (-OUS, -AL, -ABLE, -AR, -OR, -TURE etc.) pour essayer de ne plus entendre des choses comme "discoveurède", "particularrli", "oratorre" ou "générousse".
Le gros problème avec la mauvaise prononciation n'est pas que les étudiants parlent mal l'anglais, c'est avant tout qu'il ne reconnaissent pas à l'écoute des mots parfaitement transparents à l'écrit, car malgré ce que l'on nous répète partout, l'objectif numéro un ne devrait pas être de parler anglais mais de comprendre l'anglais: parler à des gens que l'on ne comprend pas n'a pas beaucoup d'intérêt...
Mettre en place tous ces mécanismes de décodage par un patient va-et-vient entre forme écrite et prononciation (et en utilisant aussi la notation phonétique que beaucoup d'enseignants du secondaire n'utilisent pas parce qu'ils ne la maîtrisent pas eux-mêmes) est un facteur essentiel de progrès.
Dans le même esprit, l'absence d'un travail systématique et explicite d'entraînement aux différentes heuristiques de détermination approximative du sens des mots inconnus (analyse morphosyntaxique, décomposition lexicologique, réflexion étymologique, liens avec le contexte...) a été mis en évidence tout récemment par ces lycéens de terminal incapables de deviner le sens de "is coping with the situation" et qui s'en sont offusqués au point de lancer une pétition...
Là encore le biais traductionniste qui reste incrusté en filigrane dans l'approche française de l'apprentissage de l'anglais montre un autre de ses effets pervers: le blocage absolu sur un mot dont on ne connaît pas la traduction exacte en français (ce qui ne m'empêche pas de donner de temps à autre aux étudiants, à rebours des consignes dogmatiques reçues à l'IUFM, le sens en français d'un mot ou d'une expression.)

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