Ce sonnet d'Anton Delvig daté de 1822 est dédié à Nicolaï Iazykov (1803-1846), un autre poète romantique contemporain de Pouchkine et Delvig (Iazykov est le grand oublié de l'anthologie de Markowicz et Morvan Le soleil d'Alexandre.)
J’ai proposé dans mon récent recueil Fidélités changeantes une double traduction (c'est-à-dire une version suivant le texte à la lettre que j’ai fait suivre d’une adaptation versifiée) d’un poème de Iazykov sur le thème de l’insomnie, qui inspira plus d’un romantique russe (voir aussi ma traduction du poème titré Insomnie de Tiouttchev : https://blogs.mediapart.fr/michel-delarche/blog/010621/tiouttchev-linsomniaque).
Ici Delvig rappelle sa proximité et son amitié de longue date avec Pouchkine (ils étudièrent ensemble au lycée de Tsarkoïé Selo) et termine son sonnet sur la fierté qu'il ressent à avoir reçu des compliments de Pouchkine à propos de ses propres poèmes.
32. Н. М. ЯЗЫКОВУ
(Сонет)
Младой певец, дорогою прекрасной
Тебе идти к парнасским высотам,
Тебе венок (поверь моим словам)
Плетет Амур с каменой сладкогласной.
От ранних лет я пламень не напрасный
Храню в душе, благодаря богам,
Я им влеком к возвышенным певцам
С какою-то любовию пристрастной.
Я Пушкина младенцем полюбил,
С ним разделял и грусть и наслажденье,
И первый я его услышал пенье
И за себя богов благословил.
Певца Пиров я с музой подружил
И славой их горжусь в вознагражденье.
Pour N. M. IAZYKOV
(sonnet)
Jeune chanteur, par une belle route
Aller au sommet du Parnasse pour toi,
L'Amour tresse pour toi (n'aies point de doute)
La couronne de pierre à douce voix.
De ma jeunesse je garde en l'esprit
Une flamme pas vaine, grâce à Dieu,
Par son sublime chant je fus saisi
Aussi partial que quelque amoureux.
J'ai aimé Pouchkine depuis l'enfance,
Partageant avec lui joie et chagrin,
Je fus le premier à ouïr sa romance
Quant à moi, je fus béni des dieux.
Lié par la muse au Chantre des Festins,
De leur gloire, en récompense, orgueilleux.
Notes sur la traduction:
Au lieu de l'habituel alexandrin, j'ai choisi ici de produire une traduction en décasyllabes, plus proche du rythme de l'original, mais manquant un peu de fluidité.
(n'aie point de doute) : le sens littéral de la parenthèse (поверь моим словам) est : (crois-en ma parole).
сладкогласной : dans la poésie classique russe, cet adjectif signifiant "à la voix douce" renvoie aux voix ensorcelantes des Sirènes ("douces comme le miel" dit l'Odyssée) mais j'ai préféré conserver ici l'expressivité du sens étymologique.
за себя : expression idiomatique signifiant "pour moi", "quant à moi", "pour ce qui me concerne".
romance: j'ai voulu ici éviter la répetition de 'chant'.
Chantre des Festins: allusion à Baratynski (selon le toujours vigilant relecteur de Mediapart Michel Tessier)