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Michel J. Cuny

Ecrivain-éditeur professionnel indépendant depuis 1976. Compagnon de Françoise Petitdemange, elle-même écrivaine-éditrice professionnelle indépendante depuis 1981.

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Billet de blog 10 avril 2015

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Pour en finir avec la Cinquième République (9)

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    Les moyens institutionnels nécessaires pour produire une conversion de la France au "rêve américain"

     Alors qu’il était vivement poussé par trois membres du Comité consultatif constitutionnel à "organiser", d’une façon ou d’une autre, l’interdiction du parti communiste à partir de la nouvelle Constitution elle-même, Michel Debré a donc répondu par la sanctuarisation du pouvoir réglementaire (domaine de l’exécutif) au détriment du pouvoir législatif (domaine de l’Assemblée élue au suffrage universel). Ce qui paraît d’abord n’être qu’une petite affaire de technique…

    En réalité, il s’agit là d’un "événement" qui a fait hurler certains membres du Conseil d’État lorsque celui-ci a dû fournir son avis sur le projet de Constitution ainsi centré autour d’une véritable souveraineté de l’exécutif à deux têtes : le président de la république et son premier ministre.

    Mais où donc Michel Debré était-il allé pêcher ce que lui-même n’hésitait pas à présenter comme un "stratagème " ? Dans la tradition déjà longue du "parlementarisme rationalisé "… L’Assemblée unique élue au suffrage universel, voilà l’ennemi ! De qui ? De quoi ? Nous finirons bien par le comprendre.

    Ce qu’il faut retenir, c’est qu’on doit à tout prix, quand on est Michel Debré, interposer entre une population dotée du suffrage universel et l’État - l’instrument de la volonté d’un pays - autre chose qu’une Assemblée unique souveraine.

    Consultons l’ouvrage collectif publié en 1990 sous le titre Naissance de la Cinquième République, par les très sérieuses Presses de la Fondation nationale des sciences politiques. Il s’ouvre, lui aussi, sur une Préface due à la plume véritablement prolixe de… Michel Debré. Immédiatement après lui, voici venir l’Américain Nicholas Wahl et son "Introduction à une relecture". Il s’y penche bientôt sur le problème qui est le nôtre en en situant la provenance historique :
    « L’analyse critiquant la médiatisation parlementaire [par le biais d’une Assemblée élue au suffrage universel] du lien entre l’État et l’opinion [le suffrage universel !] a commencé avec l’essai classique du réformisme républicain de Robert de Jouvenel, La République des camarades (Paris, Grasset, 1914), pour se terminer avec les pamphlets d’André Tardieu, lui, franchement révisionniste de droite, dans les années 1930, que De Gaulle a lu "comme tout le monde" dans la classe politique de l’époque, comme il me l’a avoué dans un interview en juillet 1961. » (page XXI)

    Un peu plus loin, Nicholas Wahl effectue un véritable mea culpa que nous aurions tort de ne pas prendre très au sérieux :
    « Sans doute, j’ai sous-estimé, en 1959, l’influence de Tardieu et d’autres révisionnistes de droite sur De Gaulle, ne sachant pas à l’époque que ce dernier a fréquenté Tardieu à partir de 1931 au secrétariat général de la Défense nationale (1931-1937) - Tardieu était au ministère Laval avant de redevenir président du Conseil brièvement en 1932. » (page XXII)

    Ayant maintenant un recul d’un peu plus de trente années, et se trouvant sans doute mieux placé pour comprendre ce que c’était que cette Constitution de 1958, le spécialiste américain va jusqu’à écrire en 1990 :
    « Si j’avais à porter une seule correction à ce que j’écrivais en 1959, cela serait à la dernière page où je nie "une affinité directe (ou) un lien doctrinal" entre la Constitution de 1958 et cette école de pensée d’avant guerre. Aujourd’hui, j’écrirais que cette affinité et ce lien sont presque établis et que c’est De Gaulle lui-même qui représente le trait d’union principal. » (page XXII)

Ainsi ce que n’ont produit ni les émeutes du 6 février 1934, ni la défaite organisée de 1940, De Gaulle l’aura enfin obtenu en 1958… Mais qu’était-ce donc ?

Puisque nous tenons André Tardieu, essayons de ne pas le lâcher trop vite, et ouvrons la biographie qui lui a été consacrée par François Monnet en 1993, chez Fayard, sous le titre : Refaire la République - André Tardieu, une dérive autoritaire.

    Aussitôt, un élément attire notre attention. À peine élu député à Belfort en février 1926, André Tardieu reçoit de Georges Clemenceau - dont les "Félicitations" sont reproduites dans Le Républicain de Belfort du 18 février - "la mission de parler au nom de la France". De quelle France ?

    Allons bon : serions-nous victimes d’une hallucination ? Il nous semble pourtant reconnaître ce langage-là… Ne serait-ce pas celui que Churchill n’aura plus guère cessé d’entendre résonner à son oreille, à Londres, après juin 1940 ?

    Faisons un pas de plus, et retrouvons André Tardieu le 4 juin 1928, un peu plus de deux ans après sa précédente élection. Il intervient devant le congrès de la Fédération des syndicats patronaux du bâtiment et des travaux publics de l’Est :
    « Rappelons aux ouvriers qu’il existe un pays où deux ouvriers sur trois ont leur automobile, où les maisons ouvrières, qui ne manquent pas, ont leur ascenseur, leur téléphone, le chauffage central, le bain. » (page 91)

    Nous sommes effectivement en présence d’un promoteur avéré du "rêve américain", et cela juste au moment où, du fait de la crise financière qui s’apprête à éclater, ce rêve partira en quenouille, pour ne se redessiner qu’après - et en raison de - rien moins qu’une seconde guerre mondiale dont il est possible de penser qu’elle lui était bien nécessaire… pour croître et embellir.

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