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Billet de blog 2 mai 2015

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Le terrorisme n’est plus ce qu’il était ?

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Avez vous entendu parler de la terre promise ? Un pays imaginaire que l’on créa pour essayer de laver la honte indélébile du premier génocide industriel  qu’un pays européen a programmé dans tous ces détails et que le reste de l’occident fit semblant d’ignorer ?  Avez vous entendu parler de la version moderne de l’otage, celui où l’on exécute en masse comme représailles aux actions de guerre des maquisards ?  N’avez vous jamais entendu parler des braqueurs libertaires, de la bande à Bonnot, de Pierrot le Fou ?  Vous oubliez déjà l’assassinat du prince héritier à Sarajevo, celui du tzar Alexandre, et d’une ribambelle de présidents américains assassinés qui commence par Lincoln continue avec les Kennedy et se perpétue jusqu’à l’attentat contre Reagan ? Unibomber ne vous dit rien ? L’attentat meurtrier d’Oklahoma city non plus ? Peut-être rappelez vous du Pape,  tombant gravement blessé par les balles d’un adepte des Loup Gris ? 

Sans monter jusqu’aux Zélotes, nul besoin de multiplier les exemples pour comprendre que les terroristes désirent terroriser en s’attaquant à des symboles, et qu’eux mêmes sont attirés par l’absolu. Lequel ? Celui-ci change selon les époques, les mythes, les légendes, le degré de répression ambiant, et se nourrit toujours par un environnement violent et dédaigneux qui renvoie des groupes ou des individus vers un purisme nostalgique, vers des mythes fondateurs antérieurs aux règles et aux lois (laïques ou religieux) une sorte d’Eden, de… Terre Promise. Quand la Haganah fait sauter l’hôtel Roi David avec tous ses hôtes, cela se fait  non pas au nom d’un pays désiré, mais plutôt d’un pays imaginé, biblique. Ce n’est pas l’occupant britannique qui est visé (cela serait contreproductif), c’est le retour inconditionnel vers une terre sacrée qui est exigé. Quelle est la différence entre es haschischin nizarites, dont le croisé Fréderic Barberousse disait   « … ils ont un maître qui frappe d’une immense terreur tous les princes Sarazins proches ou éloignés comme les princes chrétiens…  car il tue d’une étonnante manière… » et les bourreaux vidéo - stars de l’Etat Islamique de l’Iraq et du Levant ? 

La seule chose qui a radicalement changé réside au fait que toute une série d’interdits, péniblement mis en place depuis le XVIII e siècle et, de manière plus précise et juridique, depuis la première guerre mondiale, s’effondrent, la technologie outrepassant ce que les sociétés en guerre pouvant réellement supporter. La dégradation est aussi et surtout éthique. A côté des bombardements massifs (techné) apparaissent les camps d’extermination (ethos). La mort de la graduation et de la nuance, l’apparition du concept de « guerre totale », les otages que l’on fusille dans un cadre de comptabilité aussi arbitraire que précise, le concept d’ « espace vital » (qui de manière explicite se donne comme objectif un territoire vidé de sa population originelle) le mépris absolu de la vie de l’Autre, les famines organisées en Ukraine ou ailleurs, autant de pratiques et de discours totalitaires et totalisants qui, s’ils n’étaient pas absents dans l’Histoire, étaient cependant limités par les moyens existant et avaient graduellement reculé pendant les deux derniers siècles.

Si le terroriste nouveau a quelque chose de différend, cela réside en cet héritage. Il n’a rien inventé, il s’inscrit simplement dans ce processus dégradé que fut le vingtième siècle : l’Allemagne de l’après guerre  n’avait-elle pas enfanté, lors des années 1960, la Rote Armee Fraktion qui considérait que l’ensemble des générations précédentes était coupable du nazisme (péché originel)  et devait en payer les conséquences ? 

L’autre héritage étant celui du colonialisme et de l’ère post coloniale : la cruelle arrogance du colonisateur n’ayant d’égal que celle qu’il léga à ses gérants successeurs et à la violence qu’il utilisa pour se débarrasser de ceux qui n’étaient pas à son goût.

Il est tout de même surprenant que l’Occident et ses élites politiques affirment avec  aplomb que l’islam fondamentaliste sunnite leur a déclaré la guerre. Dire cela, c’est faire abstraction du fait que l’élargissement du domaine de la guerre s’est développé sur des agressions - précédentes ou contemporaines - de l’occident lui – même. Dire cela, c’est oublier un peu vite que la ceinture du monde musulman, démarrant en Afghanistan et se terminant à la façade africaine de l’Atlantique, reste aujourd’hui encore un espace non autonome, sous tutelle de l’Occident, où ses armées interviennent quand cela semble utile à ses intérêts changeants,  capricieux et sélectifs. Il serait naïf de croire que les corps expéditionnaires, les interventions musclées, les déstabilisations de régimes qui, à un moment où un autre furent des alliés, soient sans conséquences. De Kaboul à Tombouctou, de Damas à Tripoli, de Bagdad à Mogadiscio, de Beyrouth à Khartoum ou Aden, existe-t-il un régime qui ne fut pas instrumentalisé, « appuyé », puis déclaré suspect ou ennemi, ou vice – versa ?  Dire cela enfin c’est faire semblant d’oublier que la matrice du terrorisme fondamentaliste reste le meilleur allié de l’Occident. Un allié intouchable, client et pourvoyeur à la fois. Osons en effet une comparaison : éliminer un terroriste illuminé à Paris ou à Londres ne change rien à la donne, comme emprisonner un dealer d’héroïne à Marseille ne changera en rien le fait que l’Afghanistan reste toujours le premier producteur mondial d’opiacés. Ainsi, l’Occident s’affirme prompts à éliminer le trafic de drogues et le terrorisme partout dans le monde, sauf là où il trouve sa genèse. Ce refus d’assumer les problèmes à la source peut se décliner à l’infini : Gaziantep, la ville frontalière turque avec la Syrie  n’est-elle pas devenue le plus grand marché d’art du monde spécialisé en antiquités mésopotamiennes ?  Les provinces turques de Simak et Hakkari ne sont pas devenues le plus grand marché libre d’hydrocarbures pour le compte de Daesh ?  Cette infirmité géopolitique de l’Occident, cette maladie mercantile, cette dualité hypocrite ne passe pas inaperçue, surtout chez une jeunesse qui jadis partait rejoindre les Fuoco latino-américains ou prenait le chemin de Katmandou. Comme le dit très justement Olivier Roy, le djihad est la meilleure offre sur le marché pour les jeunes d’un Occident aussi désemparé et inefficace que cynique.  

Tant que l’unique moteur de notre monde sera la frustration, tant que celui-ci cherchera là où il y a de la lumière trompeuse de l’information communicante plutôt que dans l’ombre de son propre fonctionnement, là où il sait pertinemment  que réside le cœur du problème, le terrorisme, nos terroristes, se perpétueront.  

Nous venons d’entendre un « expert » affirmant que les jeunes partent au djihad attirés par l’argent. Quelle absurdité ! Ils partent parce que rien ne les retient ici.  Ce n’est pas la communication sur la laïcité ou la citoyenneté qui crée des citoyens, c’est la certitude intériorisée que dans un Etat de droit la loi est la même pour tous,  que demain sera meilleur qu’aujourd’hui, que tout n’est pas permis, que les promesses engagent soi même comme ceux qui nous gouvernent. La vie n’est pas de l’improvisation, c’est un combat. Quand il n’est plus là, on va le chercher ailleurs. Comme  Moravia écrivait dans l'ennui  :  Il m'arrivait de penser qu'en réalité je voulais moins mourir que ne pas continuer à vivre d'une telle manière...

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