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Billet de blog 22 févr. 2016

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Rwanda : ces ONG qui coopérent avec les terroristes

Y aurait-il un "bon" terrorisme, responsable de crimes contre l'humanité et de centaines de milliers de victimes dans l'Afrique des Grands Lacs, de l'assassinat d'au moins deux chefs d'état, qui serait forcément absout par une justice nationale et internationale fort tolérante et un "mauvais" terrorisme, celui qui suscite notre juste indignation et les poursuites implacables de la justice?

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Après quelques années d’accalmie, le terrorisme a frappé la France en 2015 et, nous dit-on, il la frappera encore.

Très sagement le gouvernement avertit : pas d’amalgame ! Les auteurs de ces crimes se réclamant d’un certain groupe ethnique, religieux ou autres ne sont pas représentatifs de ce groupe. Ils ne sont qu’une petite minorité radicalisée et ce serait une erreur grave voire une erreur criminelle que de faire porter la responsabilité de ces actes épouvantables sur l’ensemble dudit groupe qui dans son immense majorité ne souhaite que vivre en paix.

Toute mesure de rétorsion ou de répression aveugle à l’égard de ces innocents serait non seulement un crime mais une stupidité. Les terroristes qui visent à déstabiliser notre société souhaitent que leurs crimes provoquent des représailles aveugles et que l’injustice de celles-ci amène en réaction la levée des masses restées jusque-là paisibles et silencieuses. Ne  tombons pas  dans le piège qu’ils nous tendent !

J’adhère totalement à ce discours. Jeune officier de Gendarmerie en Corse au début des années quatre-vingt, je m’étais déjà persuadé que seules des frappes chirurgicales opérées avec toutes les garanties de droit que confère le Code de Procédure Pénale étaient susceptibles de répondre efficacement au terrorisme si particulier de cette île.

Arrivé dix ans plus tard au Rwanda en 1990, conseiller technique de l’Etat-major de la Gendarmerie en matière de Police Judiciaire, j’ai été à nouveau confronté au terrorisme. Une cinquantaine d’attentats sanglants ont marqué le pays à partir de la fin 1991 et jusqu’à mon départ en septembre 1993, pour ne parler que de ceux que j’ai connus. Les premiers de ces attentats ont provoqué les réactions stupides et criminelles qui étaient souhaitées par les poseurs de bombe. Cela a donné, entre autres, le massacre de plusieurs centaines de personnes dans le Bugesera au printemps 1992.

Il a cependant été possible de faire cesser ces représailles, et d’empêcher qu’elles ne se renouvellent, au prix, excusez du peu, d’un changement de gouvernement à la tête du Rwanda au printemps 1992, du changement des chefs d’Etat-major de l’Armée et de la Gendarmerie, et de nombreuses incarcérations de ceux qui seront par la suite appelés « interhamwe »[1]!

Restait cependant à identifier les auteurs de ces attentats, ce qui a été fait en très grande partie : plusieurs individus ont été arrêtés en flagrant délit, les constatations de police technique ont permis de déterminer les origines des explosifs utilisés et de remonter les filières d’approvisionnement. Il est apparu au début de l’année 1993 de manière incontestable - et aujourd’hui encore non seulement incontestée mais reconnue par les dissidents du FPR - que ces attentats visant à déstabiliser le pays étaient l’œuvre du Front Patriotique Rwandais, rébellion fromentée en Ouganda et tentant  depuis octobre 1990 d’abattre le Président au pouvoir à Kigali.

Mais si une campagne de déstabilisation d’un pouvoir en place ne se limite pas à une guerre frontale lancée depuis un territoire extérieur, elle ne se contente pas non plus d’une série d’attentats plus ou moins générateurs de répression aveugle. Il faut convaincre les étrangers au dossier et les faiseurs d'opinion par une opération médiatique judicieusement conçue. Ainsi au Rwanda en 1992, on a vu apparaitre un informateur, miraculeusement repenti, du nom de Janvier AFRIKA[2] qui, judicieusement coaché par des ONG des Droits de l'Homme, soi-disant bien intentionnées, est venu révéler aux populations toute la fourberie du pouvoir hutu en place. Janvier AFRIKA dénonçait l’existence de « commandos de la mort[3] » et des conférences occultes qu’aurait présidées le Président de la République rwandaise en personne pour organiser non seulement les attentats mais aussi les massacres que ces attentats provoquaient.

Bien évidemment, enquêtant sur les attentats, nous ne pouvions que rencontrer ce monsieur et exploiter les renseignements providentiels qu’il nous apportait sur un plateau. Or, Janvier AFRIKA était un manipulateur téléguidé par la rébellion FPR qui, non contente de provoquer des réactions criminelles autant que stupides,  souhaitait faire porter la responsabilité des attentats et de leurs conséquences sur le pouvoir hutu en place.

Ces mensonges de Janvier Afrika ont été repris tels que, non seulement sans aucune vérification mais probablement avec un minimum d’enrichissement, par un quarteron d’ONG censées se préoccuper des droits de l’Homme.  Quelle ne fut pas notre stupéfaction, sachant que Janvier Afrika était un agent du FPR, de découvrir que ses mensonges étaient repris pour argent comptant et sans la moindre vérification dans un rapport[4] qui, non seulement fit grand-bruit, mais fait encore autorité en Février 2016 auprès de ceux qui ne connaissent pas ou ne veulent pas connaitre le dossier ?

Notre stupéfaction fut cependant de courte durée. En lisant l’ensemble du rapport final de cette commission, constatant que, non contente de reprendre les mensonges de Janvier AFRIKA, elle avait omis de dénoncer les très graves crimes contre l’humanité perpétrés par le FPR dans la zone qu’il occupait au nord du pays, nous avons mesuré toute la dimension éminemment partisane de cette opération de communication. Dénonçant des crimes imaginaires du pouvoir et ignorant ou minimisant à l’extrême les crimes bien réels des rebelles, ces ONG droit de l'hommistes participaient délibérément à la même opération de désinformation et de déstabilisation du pays que celle qui était conduite par les terroristes et qui allait conduire l’année suivante et, malgré tous nos efforts, au génocide de 1994. En menant la campagne médiatique de déstabilisation du pouvoir en place, parallèlement à la campagne d’attentats visant à cette même déstabilisation via des massacres interethniques, ces ONG droit de l'hommistes se sont faites les complices objectives du terrorisme.

On dira que tout le monde peut se tromper et que ces braves gens composant ces ONG avaient été abusés. Certes, mais encore faudrait-il qu’à tout le moins, elles reconnaissent aujourd'hui leurs erreurs et en tiennent compte. Ce fut en partie le cas d’Alison Des Forges qui, ayant pris conscience de ses erreurs, fut interdite de séjour au Rwanda avant de mourir dans un accident d’avion en 2009. Mais c’est là une exception qui confirme la règle  Et, vingt-cinq années plus tard, la guerre n’est pas finie dans les Grands Lacs[5] !

On voit aujourd’hui l’ONU[6] s’inquiéter de la déstabilisation du Burundi à laquelle se livrerait le Rwanda[7]. Et  que voit-on ? Ces mêmes ONG de 1993 - ou pour le moins certaines d’entre elles renforcées par de nouvelles-  reprennent leurs vieilles accusations et se portent partie civile devant les cours d’Assises de la République française contre un de ces rwandais qu’elles avaient jadis faussement accusé. Elles réitèrent derechef et mordicus  leurs accusations que, depuis 1993, on sait parfaitement mensongères. Et, non seulement elles réitèrent mais elle enrichissent que quelques accusations portant sur des faits qui auraient été commis en 1994,  après que, selon le schéma décrit plus haut,  un 52° ou 53° attentat qui a provoqué la mort de deux chefs d'état ait provoqué le génocide que l’on connait.

La Cour d’Assises de la République, très ennuyée, a finalement - et je suppose à regrets-  suivi un des avocats de ces ONG qui m’a demandé à la barre si on ne pouvait pas avoir menti en 1993 et dire la vérité en 1994. Ecartant les mensonges de 1993, elle a condamné SIMBIKANGWA pour les faits datant de 1994. Il a fait appel. Une autre Cour d’Assises devra se prononcera en octobre 2016 et nous dira  si des ONG  peuvent mentir en 1993 et dire la vérité en 1994.

Mais quelle est la Cour d’Assises qui nous dira quelle est la responsabilité de ces ONG qui de 1992 à 1993 et peut-être au-delà se sont faites objectivement les complices des organisateurs de ces campagnes d’attentats qui ont provoqué des massacres de masse avant de déclencher un génocide ?

Poser ces questions en Février 2016 ne peut que nous inciter à  nous interroger : quelles ONG droit de l'hommistes pourraient justifier aujourd'hui une telle connivence avec ces terroristes qui ont massacré nos concitoyens de Charlie Hebdo, du Bataclan et des terrasses parisiennes et qui pourraient, en même temps,  se parer des vertus du "bien" et du "bon" ?

Y aurait-il un "bon" terrorisme, responsable de crimes contre l'humanité ayant fait des centaines de milliers de victimes dans l'Afrique des Grands Lacs, de l'assassinat d'au moins deux chefs d'état, qui serait forcément absout par une justice nationale et internationale fort tolérante et un "mauvais" terrorisme, celui qui suscite notre juste indignation et les poursuites implacables de la  justice ?


[1] Les rapports signés d’Augustin IAMUREMYE au cours des années 1992 et 1993  , le chef du Service Central de Renseignement qui figurent aujourd’hui aux archives du TPIR en attestent .

[2] Le FPR répétera en 1994la même manœuvre d’intoxication avec un certain « Jean-Pierre »  avec la complicité, non plus des ONG, mais du Général DALLAIRE cette fois, 

[3] On a vainement cherché en 1993 les éventuelles victimes de ces soi-disant commandos de la mort.

[4] Rapport de la Commission Internationale d’Enquête sur les Violations des droits de l’Homme au Rwanda depuis le 1° octobre 1990.   (7 - 21 janvier 1993).      https://www.fidh.org/IMG/pdf/comintmars93_full.pdf

[5] http://www.radiookapi.net/lu-sur-le-web/2012/06/21/grands-lacs-la-rdc-met-en-garde-le-rwanda-devant-lonu-afriscoop

[6] http://www.ledevoir.com/international/actualites-internationales/69350/l-onu-met-en-garde-le-rwanda-contre-toute-action-armee-en-rdc

[7] C’est exactement ainsi que,  jadis, l’Ouganda a déstabilisé le Rwanda

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