Sa soudaine absence vous a déstabilisé. À peine les paupières ouvertes, vous vous êtes rendu compte qu’elle n’était pas là. Sa présence permanente à domicile est nécessaire. Pour ne pas dire vitale. Depuis votre naissance, elle vous accompagne dans nombre de gestes au quotidien. Une efficacité très discrète. Sans elle, vous vivez au ralenti. Comme ce matin où, d’un seul coup, vous avez l’impression de traîner un poids invisible. Et chaque seconde un long chemin qui s’éternise. Une marche à petits pas sous un toit silencieux. Quand tout a commencé ? Le silence dès le radio-réveil.
Ce matin, sans vos infos du matin, ni le café et tartines grillés, vous vous êtes attablé. La journée débutait mal sans elle. Disparue sans prévenir. A-t-elle laissé un mot négligé dans la course ordinaire des mails et autres messages ? Vous n’avez pas souvenir d’avoir été prévenu. En tout cas, vous vous retrouvez au pied du mur. Sans vous douter que la semaine allait débuter de cette manière. Prendre une douche ? Impossible. Que faire ?
Vous promenez le regard sur la cuisine. Le visage froissé par son abandon du domicile. Vous ressentez ça comme une trahison. Tout en sachant qu’elle reviendra. Pas la première fois. Nulle autre solution que d’attendre le retour de la Fée. Le moment où vous avez décidé de faire la liste de tous les objets usuels n’ayant pas besoin de sa présence. Notamment une série d’outils du quotidien. Tous à disposition sous votre toit.
Couteau, fourchette, cuillère, ouvre boite, tire-bouchon, verre, bol,
bouteille, salière, poivrier, serviette, nappe, casserole, poêle, cuisinière à gaz, allumettes, briquet, produits d’entretien, seau,
serpillière, chaise, lit, table, fauteuil, canapé, chaise, draps couvertures, oreiller, traversin, miroir, chaussette,
chaussure, pantalon, jupe, robe, veste, slip, soutien-gorge, chapeau, casquette, cravate, collier, porte-manteau,
livres, étagères, cartons pleins ou vides, cahiers, stylos, gommes, magazines, sculptures, tableaux au mur, photos sur la cheminée, tapis de sport, vélo, tondeuse, voiture...
Vous arrêtez de décliner la liste. Mais elle pourrait être encore alimentée par de nombreux autres « outils à vivre » n’ayant pas besoin de la Fée à domicile. Finalement, il y en beaucoup plus que vous n’auriez pensé. Sûrement une des rares fois où vous prêtez attention à ces objets qui ponctuent vos jours et nuits. Indispensables. Puis, après un détour par la salle de bains pour se raser (bombe, rasoir, serviette) et un brossage de dents ( dentifrice, brosse à dents) vous sortez de chez vous. Le bruit d’un marteau-piqueur dans l’air frais du matin. Vous marchez les mains au fond des poches.
Scooter, ballon, parking à vélos, bac à fleurs, boîte à livres, banc,
toboggan, container à poubelles,
engins de chantier creusant une tranchée dans le trottoir (grâce à eux que la fée a pu fuguer), casques,
chaussures de chantier, plots,
marteau, pelle, brouette...
La liste peut aussi être rallongée. À l’extérieur, vous faites la même constatation grand nombre d’objets et outils pouvant se passer de la Fée. Certes, quelques-uns n’auraient pas été usinés sans sa présence. Mais ils n’ont plus besoin d’elle dans leur fonctionnement au quotidien. Comme d’autres éléments du présent.
Vous levez les yeux :
La cime de l’arbre, la falaise,
la montagne, le ciel, le vol de l’oiseau,
les nuages, le soleil, la lune,
les étoiles, les autres planètes…
Vous redescendez le regard :
Le jardin, le champ,
le lac, la rivière, la mer,
l’océan, un volcan, le désert...
La sonnette hors service sans la Fée. Vous poussez le portail qui grince. À l’intérieur flotte la douche chaleur du chauffage fermé jusqu’à son retour. Pas le moindre son ni ronronnement de moteur ou lumière digitale sur le four à micro et la machine à laver la vaisselle. Un coup d’œil impatient à votre cafetière électrique. Vous ouvrez le frigo : la nuit à tous les étages. Elle n’est pas revenue. Vous retournez vous asseoir dans le salon.
Un bip dans le salon. Vous vous redressez. L’heure vient de s’afficher sur la box Internet. Une série de bips, ponctuant le silence, annonce le retour de la Fée. Elle reprend peu à peu le contrôle de votre espace vital. Après une fugue de plusieurs heures toute la matinée. La revoilà à domicile. Tout peut repartir comme avant. Vous affichez un large sourire. Dommage de ne pas pouvoir la serrer dans vos bras. La remercier. Vous lui devez tant.
Certains n’ont pas accès à la Fée sur la planète. Rares celles et ceux la refusant volontairement. D’autres, ici (Yémen-Arménie-Ethiopie… ) et là (Ukraine-Syrie-Irak…), n’attendent que son retour définitif. Soumis aux bombardements d’hommes sans lumière intérieure. Et il y en a celles et ceux, de plus près, ne bénéficiant pas des bienfaits de cette magicienne. Pourtant, ils la croisent sans cesse. Des hommes, des femmes, des enfants, vivant dans la rue ou des bidonvilles accrochées comme des grappes sombres à de belles villes-vitrines. Puis tous les plus démunis auxquels on coupe fréquemment les liens avec la Fée. Elle a un prix. De plus en plus cher. Certains, même avec toute la bonne volonté du monde, ont du mal à régler plusieurs notes en même temps. Contraints de sélectionner les plus prioritaires. Avoir accès ou non à la Fée vous change la vie.
Belle célébration de son rôle par Raoul Dufy. Il l’a peinte dans sa célèbre toile : La Fée Électricité. Sans doute, a-t-il eu besoin de ses services pendant les longues heures passées à la mettre en avant. Lui offrir les couleurs qu’elle mérite.
Merci à la fée du quotidien.