Comment c'est avant la haine ? Un chantier d’ombres et de lumières. Pas que de la joie et des jours heureux. Mais l'espoir peut trouver au moins un refuge en attendant le meilleur. Et que trouve-t-on dans le sillage de la haine ? Un champ d’obscurité et de ruines, avec des morts et des blessés. Pourquoi évoquer ce sujet ? Parce que la haine de l'autre grouille sous de nombreux pores de la peau du monde. Notamment, celui virtuel où elle prospère plus vite qu’un virus dans l’air. À propos de la toile ; récemment, un homme public se déclare son empathie envers toutes les victimes de guerre. Que se passe-t-il après ses propos ? Applaudi ? Par un grand nombre. Mais aussi submergé par un raz-de-marée d’insultes. L’humanisme n’est plus une valeur qui a le vent en poupe. Contrairement à la haine qui s'étale en flux continue. Je hais, donc je suis ?
La question peut se poser. La planète, vit-elle dans ce siècle comme le drame d’un couple en conflit. Avec de moins en moins de ponts, de plus en plus de murs. Un couple sans mots. Si ce n’est ceux du passé qui, au fil du temps, des petites et des grandes guerres, est devenu un passif. Revenant sans cesse à la boue. Pourquoi cet irrépressible retour au pire d’hier ; un pire sans lendemain, car son rôle est de les détruire, après avoir pourri le présent. La haine, donne-t-elle plus la sensation d’être vivant que le bonheur, la joie, l’amour ? En tout cas, les adeptes, de la fraternité et sororité, sont aussitôt qualifiées de bisounours hors-sol et loin des réalités. Parfois même traités de collabos avec les hordes de grands remplaceurs, etc. Tandis que la haine vous rend crédible. Elle vous donne une sorte d’assurance de vieux sage sachant anticiper. Une parole d’autorité s’inquiétant de l’avenir. En plus, la haine ne trahit personne. Contrairement au bonheur.
À tout moment, il peut basculer dans la colère pour finir dans la haine. Extrêmement fragile. Contrairement à la haine qui est très solide. Et très fidèle ; nul risque qu’elle se transforme en bonheurs ou autres sentiments dit naïfs dans notre époque où il faut être réalistes- la radio, la télé, le Net, les statistiques, nous remet toujours le nez dans la boue du quotidien. Indéniable qu’elle existe. Nier la boue et les problèmes du coin de la rue ou à l’autre bout du monde serait une sorte de « complotisme de la bonne conscience » ? Autrement dit, le bonheur ne fait pas le poids contre la haine. Ni l’humanisme qui se fait pourrir sur la toile. Que faire concrètement pour inverser la vapeur ? Comment s’y prendre pour que ce couple-monde puisse essayer au moins de se parler ?
Des décennies qu’on envoie des casques bleus. Sans de très grands succès. Mais tout de même avec une certaine volonté de réconciliation. Évidemment, leur envoi n’est jamais dénué d’intentions économiques et géopolitiques. Mais tout de même mieux que ceux qui interviennent – souvent sans mandat de l’ONU pour sauver le couple-monde, et qui, quasiment tout le temps, rajoutent de l’huile sur le conflit déjà en cours. S’en laver les mains et regarder ailleurs comme quand une femme se fait tabasser par un homme aux épaules très larges ? Après tout, chacun sa merde. Ne jamais s’interposer dans une querelle de couple. On sait ce que ça donne la politique de l’autruche. De laisser le couple-monde se déchirer et finir en ruines.
Certainement pas un billet d’humeur qui pourra donner des réponses efficaces. Ce n’est pas son rôle. Juste proposer quelques pistes pour se poser des questions et tenter d'ouvrir ne serait-ce qu’une petite brèche dans la pénombre. Prendre par exemple la température des relations du couple-monde. Très fébrile. Sur toutes les parties du corps planétaire. Une fièvre qui ravage depuis des dizaines d’années les mêmes pays détenteurs le plus souvent de quelques ressources fossiles ; des contrées à feu et sang très loin des chemises blanches guerrières du Boulevard St Germain et autre va-t-en guerre-ex-barricadistes-confondant le Théâtre des opérations avec le Châtelet ou la Comédie-Française. Et de la société du spectacle qui confond le sang de fiction et celui réel d’une homme, une femme, ou un gosse. Rien de nouveau sous le ciel des intérêts internationaux et nombrils cathodiques.
Certes, depuis un an, la fièvre s’est rapprochée du centre de grandes capitales de l’Europe. Avec une belle et nécessaire empathie pour un peuple envahi par un dictateur. Important de leur apporter le plus de soutien possible. Toutefois, on peut s’interroger: pourquoi une grande partie de la presse nationale ressent-elle plus d’empathie pour les victimes ressemblant au faciès des journalistes et habitants de son pays ? C’est faux, me dit une voix. Encore du populisme mâtiné de complotisme. Mon billet qui a de la fièvre et des bouffées délirantes ? Possible que je cède à la tentation de me faire l’avocat du diable ou toujours vouloir penser à contre-courant. Mais je persiste et signe ; certaines victimes de guerre sont moins bancables que d’autres dans notre inconscient collectif et les médias qui l’alimentent. Combien de Unes ou journées spéciales Radio France sur le Yémen et d’autres peuples sous les bombes et soumis à la famine ?
Toutes ces polémiques ne régleront pas le problème de la haine. Au contraire. Elle aime surfer sur les divisions. Nos divisions d’un débat et frottement d’idées nécessaires à toute démocratie. Rien de mieux pour la haine quand on commence – comme en partie dans ce billet- à comptabiliser les douleurs du monde en les renvoyant les unes aux autres, et pire encore, à leur donner des points telle une sorte d’Eurovision de la souffrance des peuples et des individus de la planète. Quelle serait la solution ? Je n’en vois pas pour l’instant. Peut-être que l’empathie serait un bon début ? Mais pas uniquement avec les victimes nous ressemblant et plus proches de nous géographiquement. Une empathie pour d’autres que ses miroirs. Sans privilégier telle ou telle douleur plus bancable médiatiquement que d’autres. Avoir mal au monde sans frontières.
Le couple-monde continuera-t-il de se déchirer ? Sans doute. Nulle passion humaine sans excès et une part de violence et mauvaise foi. C’est la vie, comme dit l’adage. Mais le vieux couple monde a vieilli. Il a de plus en plus de mal à encaisser les coups et remonter sur scène au lever du jour. Le temps et son irrépressible érosion le travaillent au corps et au cœur. Et il sait que la haine est une adepte de la terre brûlée. Elle détruit tout sur son passage. La haine de l'autre c'est sa propre mort à sa fenêtre ? Après elle, plus d’avant ni de présent. Que faire pour tenter de l’endiguer ? Moins la nourrir pour éviter qu'elle ne progresse. Comment la combattre ? Avec entre autres armes le cœur et le cerveau; un duo indispensable et efficace ensemble. Que gagner en refusant la haine de l'autre ? Profiter à temps complet des beautés du monde. Sans être parasité par la boue haineuse polluant tout sur son passage. Pouvoir aussi se nourrir de soi et des autres. Et de toutes les bonnes nourritures éphémères.
Avant d’être dévorés par le soleil.