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Se sentir chez soi. Une notion qui lui est étrangère. Pas dans son ressenti. Contrairement au reste de sa famille. Très différent d'eux. Se sentant plus de lui. Et de l’autre. Certes pas tous les autres. Un tel ou unetelle détesté. Mais jamais de haine. Un sentiment qu’il ne possède pas non plus. Parfois, ça l’aurait aidé à ne pas passer l’éponge sur des saloperies et des injustices de proximité. Tout ça derrière lui. Il déteste aussi tel ou tel moment de lui. Des pensées et des actes dont il n’est pas très fier. Honteux. Sa vision aurait été différente s’il avait été propriétaire ?
Peu être pire, sourit-il en guise de réponse. Préférant user sa salive pour d'autres sujets qui lui semblent plus essentiels. En tout cas, il a vu ce que « c’est chez moi » pouvait générer chez certains et certaines. Une espèce de poussée de grosse tête. D’un seul coup dépositaire d’un regard supérieur. Devenu celui ou celle qui possède. Demi-dieu ou déesse depuis la signature de l’acte de propriété. Plus le même individu. Nul jugement de sa part pour les « chez soi ». Chaque individu occupant sa part de temps sur la planète comme il le veut ou le peut. Et ou bon lui semble. S’il a le choix.
Conscient que certains rêvent d’être chez soi. Plus une nécessité, un rêve. Les sans domicile fixe d’ici et les exilés venus d’ailleurs. Pour des raisons différentes. Mais avec le même désir d’un toit et de murs. Sans se soucier d’être propriétaire ou non. Juste se retrouver à l’abri. Comme la majorité des habitants de la planète. Les exilés et les sans domicile savent ce que c’est le prix de la perte. Quand d’un seul coup, tu n’es plus rien. Juste une ombre du monde. Un jour, ils pourront dire « ici c’est chez moi ». Tout en sachant que rien n’est immuable. Une certitude gravée sous leur peau. Chez soi peut s’arrêter à tout moment.
Lui a choisi d’être chez soi ailleurs. Partout où ses roues l’entraînent, il entend souvent les mêmes mots. Prononcés comme Bienvenue chez moi ou nous et une invitation à partager le moment et le point de vue. Ou au contraire, des crocs humains pour marquer son territoire. Ici, c’est chez moi, dégage ! Chaque fois, il regarde l’homme ou la femme droit dans les yeux. Un bref échange muet. Puis il lève les yeux.
Qu’en penses-tu ? Il fait un signe vers le ciel. Toi, tu peux leur dire ce que tu en penses ? En général, l’homme ou la femme finit par lui demander à qui il s’adresse. Chaque fois, il esquisse un sourire et reprend la route. Satisfait de laisser une interrogation au-dessus de « C’est chez moi, dégage !» Regarderont-ils différemment le ciel ?
Seul, lui sait à qui il s’adresse. Parfois visible ou traversant sa mémoire. Très souvent à héler un oiseau. Pour connaître son point de vue sur la planète et les milliards de mortels. Sans jamais obtenir la moindre réponse. La question ne l’atteint pas. Bien trop haut pour l’entendre. Ne voyant pas toutes ces interrogations à ras de terre et d’humain. Peu lui importe d’être chez soi. Ni de ne pas y être. Même si de temps en temps, il arrête son vol et se pose sur une branche. Pour construire une coque de feuilles. Un habitat de saison pour abriter sa petite famille. Avant de repartir. Loin ou près. Dans une immense propriété sans cadastre. Ni locataire, ni propriétaire. De passage.
Comme lui. Un oiseau sur deux roues. Il s’est arrêté sur la place du village. Son casque à la main, il s’est assis sur un banc. Face à un groupe de jeunes fumant sous un abri-bus. Vos regards se sont croisés. Chez lui c’est toi. Vous. L'autre. Celui et celle qui lui offrent un toit de leur présence. Lui rappelant qu’il est vivant. Comme eux. Et tout le vivant de la planète. Des échanges de toutes sortes. De la parole au silence. Une circulation de quelques secondes ou plusieurs décennies. Chez toi c’est lui.
Le temps d’un regard. Parfois plusieurs. Quelques phrases ou aucun mot. Puis, la seconde d’après ou des jours plus tard, il est reparti. Toujours dans la même direction. Pas un instant, il ne dévie de son tracé. Un parcours sans lignes précises. Sans doute qu’il ne serait jamais parti sans son héritage. Reçu un matin. Un simple message sur écran.
Depuis, il roule, roule… Vers chez ailleurs. Là où il se sent en vie. Vers d'autres vivants. Égrenant son héritage sur les routes. Sans compter le temps. Ni le reste.
Héritier de l’urgence d’être.