Chaque matin se lève la beauté. Il n'en perd pas une seule miette. Tous les jours à en profiter. Comme aujourd'hui assistant au réveil à un grand spectacle. Il se sent dans la peau d'un spectateur privilégié. Aimanté par la chorégraphie de deux rapaces au-dessus du parc. Ils planent en cercle dans l'air matinal de juillet. Sans se douter du grand cadeau qu'ils offrent à un homme. Assis dans un fauteuil confortable devant une baie vitrée. Il les suit des yeux. Le regard d'un enfant dans un corps vieilli en accéléré.
Toute la journée va se dérouler de la même façon. Elle sera unique. Nouveau territoire à explorer. Avec l'attention d'un homme conscient de la présence permanente de la beauté. Discrète ou incontournable. Sans oublier pour autant que la boue traîne toujours dans les parages, prête à submerger l'élégance et le subtil. Quand le pire de l'humain bruyant et arrogant se met à déborder. Avec ses vagues d'egoq et de nombrils polluant tout sur leur passage. Aux antipodes d'un lever de soleil, sans bruit ni suffisance.
Sa manière de vivre et de penser a changé. Un changement radical. Il a décidé de ne plus se laisser engluer par la boue et son bruit. Préférant se concentrer sur la joie et les attraits de l'instant. Honorer les horizons en pointillés trop longtemps négligés par lui. Désormais, il pose son regard sur le monde comme dans un pot de miel. Capable de goûter la douceur sucrée des jours et des nuits. Aujourd'hui est unique. Demain aussi.
Depuis ses insomnies, il a compris que la beauté ne se réveille pas. Elle prend le relais. Un duo vieux comme le monde et frais comme une aube. L'un de jour, l'autre de nuit. Chacun des deux portant des vêtements différents. La nuit vient de choisir les étoiles dans sa garde-robe. Pour un deuxième spectacle. Son regard passe de l'une à l'autre. Un voyage lumineux toujours à bord du même fauteuil. Jamais lui, le couche-tôt, aurait pu penser que la nuit pouvait tant lui offrir. Prêt à déguster les variations de l'obscurité. Le silence l'observe de l'autre côté de la vitre. Il lui ouvre.
Toute seconde est plus importante que la précédente et la suivante. Sa nouvelle devise. Il ne veut plus gâcher, perdre son temps en vaines polémiques, ou se concentrer sur tous les leurres proposés en vitrine. Nullement obligé de vouloir acheter tout ce qui s'y trouve, à portée d'yeux et de mains. Ni contraint de chercher à vivre toutes les vies vendues comme les meilleures. Ne pas posséder la dernière tablette ou bagnole, et l'histoire en option qui va avec, n'est pas mortelle. Son énergie est destinée désormais entièrement à l'essentiel. Même ce qui paraît futile et ne peut se graver sur écran ou papier. D'où lui est venu la volonté d'être l'instant ?
La bascule de son histoire une nuit zébrée d'éclairs d'orage. Il rentrait chez lui. La tête chargée d'un différend avec son jeune frère. Ne supportant pas qu'il soit privilégié sur lui pour le futur héritage. Son frère aurait plus de terre que lui. Ça ne passait pas du tout. L'impression d'avoir toujours été le dindon de la farce familiale. Son esprit sans doute encore dans la toile de leur conflit quand sa moto a dérapé. Sorti de route un soir d'été. Et du coma en automne.
Bientôt un an passé dans ce centre de rééducation. Pour que son corps retrouve le plus possible de gestes perdus. Il ne cesse de travailler à se reconstruire. " À un tel rythme de progression, vous rentrez chez vous dans quelques semaines. " Il remarche sans déambulateur. De plus en plus souvent seul dans les allées du parc. Solitude debout.
Revenu chez lui, il sait que tout ne reviendra pas comme avant. Sans doute perdureront certains troubles. Notamment sous le crâne où la mémoire tâtonne encore. Mais il a aussi une certitude rassurante. Profondément ancrée en lui. Jamais plus, il ne remarchera au pas. Le pas des leurres. Désormais un être au rythme des beautés passagères.
Ses cadeaux du quotidien.