Merci à Isabelle et Roger
Des couvertures tueuses. C’était un missionnaire que le lui avait révélé. Le même homme qui lui avait appris à lire et à écrire. Un apprentissage avec une arrière-pensée ?Des révélations quelques jours avant sa mort. «Nous voulions tous vos exterminer.Les paroles finissent par se noyer dans le temps et les gestes du quotidien. Que l’écrit qui reste. Si tu veux qu’on sache ce que nous avons commis comme crimes, faut que tu l’écrives. Nous étions venus avec la bible, nos grands mots de fraternité, et des couvertures pour vous protéger du froid. La chaleur de la laine cachait la mort. La plupart des couvertures étaient contaminées par la variole. Une maladie qui décimé une grande partie de votre peuple. Un massacre sans un coup de feu. Pourquoi sommes venus jusqu’à vous ? Moi, je vais te le dire. Je n'ai plus rien à perdre: que lui là-haut autorisé à me juger. Nous ne sommes venus que pour votre territoire. Pas pour vous. Notre but était de vous décimer.» Un aveu glissé dans des oreilles de seize printemps.
Que faire de qu’il venait d’apprendre ? Son premier réflexe avait été d’en parler à sa famille et d’autres proches. Les plus solides ayant survécu aux couvertures porteuses de variole, et à tout le reste; très vite les sourires et les belles paroles pleine d'amour du prochain s'étaient effacés, et la main tendue a braqué un révolver ou un fusil. Tout s'était accéléré. Les amis d'hier devenus les pires ennemis du jour. Ils n'étaient plus qu'une poignée de fantômes errant au-dessus d’un cimetière à rallonges. Tous étaient déboussolés sur leur sol de naissance. « Tu dis n’importe quoi. Des couvertures peuvent pas tuer. Au contraire. Elles protègent des morsures mortelles de l’hiver. ». La réponse de son plus grand ami d’enfance l’avait laissé sans voix. Si lui ne le croyait pas, personne parmi les derniers survivants de la tribu ne le croirait. Pourtant, il ne voulait pas en démordre. Entêté.
Obsédé par les mots du missionnaire. « Faut que le plus d’hommes possible sache ce qu’on peut faire au nom d’un dieu. Pas celui auquel j’ai cru et croirai jusqu’à mon dernier souffle. Leur dieu à eux, c’est l ‘argent et le territoire. Peu importe le prix à payer en vie humaine. Rien à faire de la faune, de la flore, des us et coutumes des autochtones. Construire un nouveau monde sur des cadavres. J’ai honte de moi. Et de certains des miens. » Des jours durant, il a réfléchi au moyen de transmettre l’information en sa possession. Conscient de la difficulté de la tâche. Qui allait croire un jeune Indien ?
Faut que j’aille en ville pour rencontrer des gens haut placés, se dit-il. Des hommes qu’il n’avait jamais vus, excepté dans le regard de certains anciens les ayant côtoyés; ils en parlaient d’abord avec une peur mêlée de respect, au bord de la soumission, et, l’instant d’après, comme redressé d’un coup de trique sur les épaules ; il les évoquaient avec colère, et un grand mépris nourri de l’orgueil et la dignité ne baissant la tête que pour recueillir un fruit de la terre, ou lui confier l’un des leurs pour l’éternité immobile des chevaucheurs de vent. Pourquoi essayer de rencontrer un de ces hommes puissants ?
Une décision sans doute née de son observation. Il passait beaucoup de temps à épier les gestes de la ruche de missionnaires, de militaires, d’ ouvriers, des couturières et tous les autres corps attelés à telle ou telle tâche ; stupéfait et admiratif de leur rapidité à occuper l’espace et réduire même le silence à leurs seuls mots. Même le vent semblait parler leur langue. À peine le dos tourné qu'une maison sortait de terre. Pas le même temps et respect du silence que les siens. Quelque part en ville, un autre homme, puissant et honnête comme le missionnaire, sera peut-être prêt à propager la vérité: des phrases circulant elles aussi comme le virus caché dans leurs couvertures. Un espoir auquel il s’accrochait naïvement. Aucune autre solution. Comment atteindre la ville ?
Le vieux cheval de son père mort ne pourrait pas faire plus d’une trentaine de km. En emprunter un ? Personne ne lui prêterait un animal, plus qu’une simple bête ; la liberté d’aller et venir à toute heure du jour et de la nuit. En voler un ? Jamais il ne pourrait faire ça au groupe de rescapés l’ayant pris en charge après la mort de ses parents et de ses trois frères. Voler une monture aux envahisseurs ? Il risquerait de se faire abattre. Comme tous ses frères et sœurs ayant franchi la nouvelle frontière apportée dans leurs bagages ; des voyageurs arrivés avec un livre porté en bandoulière qui se transforma très vite en armes de feu plus efficace que leur flèches. Quelle solution ? Partir à pied.
Environ une centaine de km avant d’arriver en ville. Il a marché plusieurs jours. Un jeune fantôme vêtu de poussière au milieu de la cohue ; jamais, il avait vu autant d’individus de toute son existence et entendu autant de paroles et de bruits. Croyant que ses yeux et ses oreilles allaient imploser lors de ses premiers pas dans un ville en chantier. Trouver celui qui allait faire circuler les aveux du missionnaire. Plusieurs semaines à arpenter la ville du matin au soir. Personne n’a cru ce qu’il racontait. Quelques-uns y ont prêté plus d’attention, avec parfois même une sincère empathie, sans la moindre proposition. Une profonde déception. Tout ce chemin pour rien. Repartir ou rester ?
Sa force physique et la vitesse de ses poings lui avaient valu plusieurs propositions d'emploi. Vendre sa force de travail contre quelques pièces et un toit sur la tête ? Pourquoi rejoindre des fantômes sur des cadavres ? Il avait accepté une des offres ; ironie du sort d’être embauché pour la construction d’une église. C’était une des bâtisses les plus hautes de la ville. Plusieurs ouvriers déjà morts ou blessés. C’était l’un des plus véloces sur la charpente. Il n'a tenu que trois jours. Sa rivière et son ciel lui manquaient.
Le matin de son retour, il aida un homme a relever sa carriole. Visiblement en cours d’emménagement. La conversation s'engagea. Il lui raconta son histoire. L'homme fouilla dans son bric à brac. «Tiens. » Il lui tendit un sac en tissu. « C’est quoi ? « . L’homme sourit. « Ça vient d’une papeterie d’Europe. Une denrée rare. Certains ne jurent que par ça. Écris dessus ton histoire. Au moins, elle restera si… Si elle n’est pas brûlée. Fais-y gaffe, c’est fragile. Bon courage jeune homme. Nous n'allons pas vous faire de cadeaux. Pas de guerre propre et sans mensonge. Le plus violent et menteur finira par gagner. C'est comme ça. ». Il eut un haussement d'épaules résigné. Attendrait-il lui aussi son dernier souffle, pour dire la vérité ? En tout cas, la deuxième exhortation à écrire. Il l’avait remercié d’un hochement et refait le même trajet à pied, dans l’autre sens. Le papier caché sous sa tunique. Contre sa peau rouge colère.
Dès son retour, il a retranscrit les propos du missionnaire. Pressé comme par peur de les oublier. Il y a rajouté aussi sa vision de l’hécatombe générée par les couvertures, et toutes les horreurs et injustices gravées dans son jeune regard. Il écrivait assis sur le sol, au bord de la rivière , où son père lui avait appris à pêcher. Pas un centimètre carré de terre ou de ciel qu’il ne connaissait pas. Un oiseau est venu se poser près de lui. Jamais il n’en avait vu un de cette espèce. Sans doute un migrateur, s’est-il dit en reprenant sa tâche. Son texte achevé, il a croisé le regard de l’oiseau. Quelques secondes sans le décompte du temps. Avec un étrange dialogue entre eux. Une sorte de transmission sur les lignes de silence. Puis l’oiseau s’est envolé. Il l’a suivi des yeux, un large sourire aux lèvres. Un oiseau aux ailes de papier.
Il a reposé les yeux sur le texte entre ses mains. Que faire de son écrits? Personne ne savait lire autour de lui. Et tous avaient une priorité : continuer de survivre. Aller de ville en ville pour tenter de le faire imprimer et diffuser le plus largement possible? À quoi bon, soupira-t-il. Persuadé de n’avoir aucun écho. Combien de missionnaires capables de remettre en cause leur mission soi-disant porteuse de joie et de bonheur fraternel ? Sans aucun doute très peu. La vérité : une denrée aussi rare que le papier venu de l’autre côté des mers. Trahirait-il les siens s’ils commettaient les mêmes crimes sur un territoire lointain ? Il se contenta de ranger son texte dans une boîte. Des révélations à l’abri de la pluie et du soleil.
Avant de reprendre les quelques miettes de terre que les missionnaires avaient daigné lui laisser. De nombreuses autres maisons avaient poussé pendant son déplacement en ville. Il a planté son tipi au bord de la rivière : le seul miroir de confiance sous le ciel chargé de très mauvais présages pour l’avenir des premiers habitants du lieu. Déjà en lui se profilait le futur homme abattu qui se noierait au fond de l’impasse d’une bouteille. « Je vous le promets, dit-il aux visages passant et repassant dans l’eau de la rivière. Une promesse qu’il tint jusqu’à la fin de son existence. Elle lui coûtera beaucoup au quotidien. Quelle était sa promesse ? Ne plus jamais écrire et parler la langue des couvertures tueuses.
Cette histoire date de 1766. Elle a été relatée par mon grand-père. Il ne cessait d’en parler. Le jeune Indien, ayant voulu dénoncer les missionnaires, était un des ancêtres de son plus vieil ami de jeunesse mort sur le front. Tous les deux des soldats américains venus libérer la France. Le duo inséparable avait été séparé par une bombe. Le corps de son compagnon jamais retrouvé. Ne restant de lui que sa plaque militaire et des papiers d’identité. Après le débarquement, mon grand-père n’est jamais retourné aux États-Unis. Il a rencontré une résistante montée à Paris le jour de la libération. Premier baiser sous une porte cochère. Tous les deux sont redescendus dans le village de Provence. Pour y habiter jusqu’à la fin de leur vie. Dans la maison natale de ma grand-mère. Désormais la mienne.
Mon grand-père était fils unique orphelin. Un gosse des rues sans la porte pour rentrer dans le rêve américain, plaisantait-il avec une irrépressible amertume dans le ton. Son seul lien avec le passé était l’Indien; il l’avait surnommé « Ailes de papier », en référence à ce que le disparu lui avait raconté de ses ancêtres. Depuis toujours, le copain de guerre du grand-père, était présent parmi nous. Comme une ombre héroïque de la famille. On est un couple à trois, ironisait ma grand-mère. Sans doute devait-elle en avoir marre de l'entendre radoter les mêmes histoires. Pas un jour sans une anecdote concernant de près ou de loin son compagnon réduit en poussières sur une route d’Europe. D’une voix grave avec son accent américain dont il ne s'était jamais séparé. Un homme doué pour tenir en haleine son auditoire. Ailes de papier invité permanent à table.
Une très belle histoire complètement inventée. Les cartons de ma grand-mère m’ont dévoilé la vérité. J’étais le seul à avoir lu tous les cahiers d’une graphomane au quotidien. Elle notait tous ses faits et gestes. De temps à autre, entre l’achat de deux gros pains trop cuits, le connard de chien aboyeur des voisins, et la bonne saison de tomates ; elle glissait des interrogations ou réflexions. « Le ciel vient de me tomber sur la tête. Avant de mourir, mon homme, mon amour, ne parlait plus en français. Ni en anglais d’Amérique. Mais en langue indienne. Je me suis dit que c’était son ami qui le lui avait appris. Pas du tout. Dans un éclair de lucidité, il m’a avoué être en fait l’Indien. Ayant échangé son identité contre son ami mort au combat. Un choc pour moi. Pourquoi avait-il fait ça ? Je le lui ai demandé. Pas la moindre réponse. En parler à notre fils et aux autres membres de la famille ? Ne pas laisser le non-dit se propager ? Me l’avouer n’est-ce pas un désir que je dévoile sa vraie identité ? Un vrai dilemme. J’ai hésité à tout dire avant de renoncer. C’était son choix d’être un autre. Et je dois le respecter. ». Un mois après la découverte du cahier, je partais sans prévenir personne. Direction mon territoire d’origine.
Pour me retrouver dans une grande ville industrielle. Peuplée de centaines de milliers d’habitants. Rien à voir avec les descriptions du grand-père. La nature encore présente apprivoisée en squares ou en grands parcs.. Comme mon ancêtre, je suis allé frapper à des portes. Dans une démarche inverse à la sienne : venu pour recueillir des informations. En général, j’ai été très bien accueilli. Le frenchie à qui on demandait des nouvelles de Mbappé. Mais pas la moindre information sur la tribu indienne dont j’étais un des ascendants. «Pour ton truc, va chez l’instit à la retraite. C’est une vraie archiviste. Elle garde tout. « . La serveur m’a donné l’adresse. Elle vivait dans une vieille maison exiguë. L’une des dernières dans un quartier hérissé d’immeubles. Le seul jardin non entretenu de la rue.
Elle a hésité avant de m’ouvrir. Une vieille femme se tenant le plus droit possible sur son déambulateur. Un regard de petite fille dans une toile de rides. Difficile de lui donner un âge. Elle s’est repeigné du plat de la main, a vérifié la présence de ses boucles d’oreilles et que sa braguette n’était pas ouverte, avant de tourner la clef dans la serrure. Une odeur de tartine grillée flottait dans l'air. Elle m’a demandé de refermer la porte à double tour. Rarement vu un salon aussi embouteillé. Un vrai labyrinthe d’objets de toutes sortes, avec nombre de photos sur les murs. «Toi, tu viens de très loin. » Elle a pointé le doigt sur un cadre posé sur le manteau de la cheminée. « Tu viens de notre passé. ». Elle m’a dévisagé. « Qu’est-ce t’attends ? Que je t’apporte la photo dans tes mains ? ». Je me suis approché de la cheminée. Même visage que mon grand-père, mon père et moi. « Assieds-toi. On va causer ». J’ai poussé les piles de dossiers sur le canapé pour pouvoir m’installer. Elle s’est dirigée vers la fenêtre. Son dos comme horizon.
Elle a secoué la tête. « Que te dire ?Tu vois… ». Elle a fait un geste en arc devant la vitre. «Tout ça, c’était à nous. ». Elle a levé les yeux au ciel. « Même le vol des oiseaux. ». Puis elle est retournée s’assoir très lentement dans un fauteuil. Sans doute celui dont elle s’était extraite avec beaucoup de difficultés pour m’ouvrir. « Écoute, je… On va d’abord se prendre un p’tit remontant. Ce n’est pas tous les jours que le passé vient frapper à ma porte. Prends ce que tu veux dans la cuisine. Pour moi, ce sera un Scotch. ». J’ai choisi le même remontant que j’ai déposé sur la table basse. « Tu peux me remplir mon verre et me le donner. ». Je me suis exécuté. Elle a bu une gorgée et posé le verre sur un carton à sa droite. Puis elle s’est mise à parler. Dans sa voix et ses yeux, toute mon histoire. Et celle de tout peuple disloqué. Parmi eux, des fantômes avec des couvertures tueuses. Elle déroula plus de 250 années très chronologiquement et avec moult détails. Les traits de son visage changeaient souvent, parfois même le ton de sa voix. Comme si elle avait été chaque individu dont elle parlait. Dont « Ailes de papier » qui ouvrit la ronde de la mémoire.
Ses mots traversèrent la nuit jusqu’à l’aube. «Personne ne nous volera le vol des oiseaux. ». Elle ne cessait de le répéter.Je ne l’avais que très peu interrompu. « Bon, assez parlé. Faut que je dorme un peu. Pas envie que mon palpitant jette l'éponge aujourd'hui. ». La bouteille de scotch vide à côté de deux cadavres de bouteilles de vin et les restes d’une pizza. « Avant de partir, tu iras à la cave. Ce sont toutes mes archives sur notre histoire. Tu peux consulter ce que tu veux. Revenir quand tu veux t’y plonger. Ça t’est ouvert. Mais tu ne prends rien. Tout ça finira dans une benne, comme notre histoire.». Elle a un petit rire nerveux. « T’inquiète pas le Français, je déconne. Tout est légué à la bibliothèque de la ville. Elles me connaissent toutes. ». Elle a froncé les sourcils. La petite fille complètement effacée de son regard.
Elle s'est redressée. « Je voudrais que tu me rendes un service. Je crois que… Pas un hasard si tu es venu jusqu’à moi. ». Ses yeux rougis par la fatigue se sont à nouveau éclairés. « Dans le tiroir 22 de la cave, il y a une grande enveloppe. À l’intérieur, tu trouveras le texte du premier de notre famille à savoir écrire. Celui que ton grand-père a surnommé « Aile de papier. ». Je n’aime pas ce surnom qui… Bon, bref… Garde son écrit, le premier de notre tribu. Donne-le à un musée. Fais-en ce que tu veux. Bon, j’arrête de te faire des recommandations. Tu as été assez grand pour venir jusqu’ici. Je sais que tu en feras bon usage. ». Elle a tapoté son nez et son cœur. « Je te sens bien, le Français. ». Elle a glissé la main sous son fauteuil. Il s’est allongé dans un bruit de moteur. Elle a tendu la main. «Donne-moi cette couverture.» Nous avons éclaté de rire. J’avais l’impression d’être chez moi. Comme un gosse avec sa grand-mère
L’aile s’enfonça dans les nuages. Je détachais les yeux du hublot. Dans ma valise au-dessus de moi, un document intime et historique. Que faire de ces quelques pages manuscrites ? Tour à tour très heureux d’avoir remonté le cours de mon histoire et fort inquiet du poids, lourd, très lourd, sur mes épaules. Le seul de la famille à connaître la vérité. Réunir mes parents, mes filles, d’autres membres, pour tout déballer ? Faire comme ma grand-mère qui a respecté le choix du grand-père ? Devenir un archiviste du passé telle une vieille Indienne regardant les oiseaux voler au-dessus de la terre de ses ancêtres ? Les questions tournaient en boucle sous mon crâne. Sans la moindre réponse. Juste qu’une envie : chialer. Des larmes de colère et de joie. Avec l’impression qu’on venait de d’injecter un supplément d’histoire à la mienne. Un nouveau branchement à la multiprises des instants, tristes ou joyeux, sur le fil de ma naissance à ma cinquantième année. Un invité en moi déjà sous ma peau ?
Mon premier geste, arrivé en France, a été de lever les yeux. Debout dans la file d'attente des taxis. Absent. Dans mes yeux, les regards de «Ailes de papier », de mon grand-père, de la vieille archiviste, et de tous les hommes, les femmes, et les enfants, à qui on a volé leur histoire pour rallonger son territoire, pour aspirer de la terre conquise des gouttes de pétrole ou de gaz, pour détruire des cultures sur terre et dans les cœurs, pour... L'histoire de l'humanité n'est-elle qu'une suites d'expropriations et injustices. Combien d’autochtones expulsés pour bâtir cet aéroport ? Arrête de dire des conneries, me dit une petite voix. Elle vient souvent contrer mes bouffées de lucidité misanthrope. Souvent accentuées avec la fatigue et l'abus d'alcool. Elle a raison de m'engueuler. La lucidité ne protège que de sa peur d'être une nouvelle fois déçu. Toujours laisser sa chance à demain ?
Pas le moindre oiseau dans le ciel. Le seul à ne pas pouvoir les voir ? Fuient-ils mon regard ? Je fouille fébrilement le ciel d'un pays qui a réuni et uni un couple improbable dont je suis issu. Une patrie capable de s'alimenter de tous les sangs du monde. Dont celui versé pour quelle reste libre. Sans oublier le sang de chercheurs découvrant entre autres des vaccins, d'ouvriers d'artistes, etc. Et de jeunes « Indiens d'ici », parmi eux une joyeuse bande offrant deux étoiles à un maillot sans frontières de cœur et d'esprit. « Monsieur ! S’il vous plaît. ». Un couple s’impatientait derrière moi. Je me suis effacé pour les laisser passer. Et tous les autres. Déterminé à ne pas bouger jusqu’ à la vue d’un oiseau. Comme celui qui passa peu après au-dessus du parking. Une petite silhouette tenant dans son bec mon histoire. Et celle de toute l’humanité. Quelques mots irréductibles à rajouter aux pages du passé et en route pour l'avenir. Je l’ai suivi des yeux. Banal pigeon devenu ambassadeur du présent.« S’il vous plaît. ». Cette fois, je n’ai pas cédé ma place. Retour à domicile.
Avec un supplément d'histoire.
NB : Un couple d’amis a évoqué récemment des «couvertures porteuses de la variole » utilisées pour tuer. Au XVIIIe siècle, des militaires britanniques les proposaient à des indiens d'Amérique. Dans le but de les décimer. Jamais je n'avais entendu parler de cette histoire. L’homme est très imaginatif pour détruire son prochain. Pendant que d'autres découvrent des vaccins ( contre la variole, etc), soignent, transmettent un savoir, proposent des spectacles... Une fiction inspirée entre autres de cet article et de ce billet de blog.